Tiré de GMob
Serge Proulx, biologiste, M. Sc. (Hydrologie forestière)
La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) est un traité international adopté lors du sommet de la Terre, à Rio de Janeiro, en 1992. Son objectif est de développer des stratégies nationales pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.
Les trois buts principaux de la CDB sont :
- la conservation de la biodiversité ;
- l’utilisation durable de ses éléments ;
- le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. l’exploitation des ressources
Trente-deux ans plus tard, nous venons de vivre la COP16 dont les objectifs étaient de s’entendre sur les moyens à prendre d’ici 2030 pour respecter les engagements pris en décembre 2022 lors de la COP15 à Montréal (Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal), soit protéger 30 % des milieux naturels de la planète (terrestres et marins), freiner l’extinction des espèces, réduire les risques liés aux pesticides et financer au moins 200 milliards de dollars par an pour aider les nations plus pauvres à préserver les écosystèmes.
D’ici 2030, il ne reste que 5 ans, et pourtant, seulement 17,6 % des terres et des eaux intérieures (Canada 13,7 % en 2023) et 8,4 % des océans et zones côtières (Canada 9,1 % en 2023) se trouvent dans des zones « protégées » et aucune entente pour les fonds considérés comme nécessaires, soit 200 milliards par année, n’a été obtenue.
Comme ordre de grandeur, rappelons les profits pour le dernier trimestre de trois des GAMAM (Google, Apple, Meta, Amazon et Microsoft) : Google gagne désormais 26 milliards de dollars par trimestre, Microsoft, 25 milliards, et Meta, 15 milliards. Donc, les profits pour trois trimestres de ces trois compagnies seulement sont l’équivalent du besoin pour la planète entière. Et on ne parle pas ici des actifs de ces 5 compagnies dont la valeur combinée dépasse maintenant les 10 000 milliards de dollars. Rappelons aussi que selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), le total des dépenses militaires mondiales s’élève à 2 443 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de 6,8 % par rapport à 2022. Juste l’augmentation des dépenses militaires se rapproche du 200 milliards jugé nécessaire. Le pire est que l’orgie de destruction qui se trouve derrière ces chiffres est souvent vendue comme le moteur de notre « croissance économique », par ces usines qui produisent l’armement et la reconstruction ensuite.
Pendant ce temps, le gouvernement du Canada se vante sur son site de faire preuve de leadership et d’ambition à l’échelle internationale en matière de protection de la nature et de la biodiversité en annonçant à Cali « un financement total de 62 millions de dollars pour sept projets visant à protéger la biodiversité partout dans le monde ». À titre de comparaison du « leadership et de l’ambition » du Canada, rappelons qu’un simple tronçon de 11 km de l’autoroute 20 (de Cacouna à L’Isle-Verte) a couté 69 millions de dollars en 2011. Du côté du Québec, il est le premier État fédéré au monde à avoir contribué au Fonds-cadre de la biodiversité à hauteur de 2 millions de dollars… soit environ 300 mètres d’autoroute, valeur de 2011.
Notons aussi que seulement 44 pays ont remis leur stratégie nationale sur la biodiversité, et 119 autres n’ont remis que de grands objectifs, sur les 195 parties membres de la COP. Mais le bilan de ces feuilles de route et objectifs, ainsi que la façon de les suivre dans le temps, n’ont pas fait l’objet d’accords qui, de toute manière, sont généralement non contraignants. Autre exemple risible, par rapport aux besoins : dans un communiqué, huit gouvernements ont annoncé des promesses de contributions portant à quelque 400 millions de dollars la dotation du fonds mondial pour la biodiversité, soit 2 millièmes des besoins annuels. Les 23 000 participants annoncés à cette COP ont donc probablement plus contribué au réchauffement planétaire qu’à la conservation de la biodiversité.
Comment s’en étonner alors que sur les 15.000 participants, on trouvait seulement 12 chefs d’État et 103 ministres de l’environnement, mais plus de 1.000 journalistes du monde entier ? Les 196 pays présents peuvent bien, depuis le 21 octobre, avoir tenté d’accorder leurs positions pour les objectifs définis de 2030, mais en l’absence générale des décideurs politiques, les délégations sont restées sur leurs mandats. Par exemple, le Canada n’y a envoyé aucun représentant parlementaire, tous les partis étant probablement plus préoccupés des enjeux parlementaires que du sort de la biodiversité et de la planète, tout comme pour notre ministre de l’environnement du Québec, Benoit Charette, absent lui aussi. Ils ont donc oublié, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs, que l’oxygène de chacune de nos respirations a été produit par les plantes, qu’elles soient terrestres ou marines comme le phytoplancton, et que chaque bouchée de notre alimentation provient de cette nature. Les mandats portaient probablement pour la plupart sur la défense des intérêts nationaux, intérêts qui se concentrent surtout sur la croissance économique, si l’on se fie aux discours que l’on entend ici, autant aux niveaux fédéral que provinciaux.
Si l’évolution biologique est indissociable du fait que des espèces disparaissent et que de nouvelles apparaissent, jamais la perte de biodiversité n’a été aussi massive et fulgurante que ces deux derniers siècles : de 10 à 1000 fois plus rapide que le rythme naturel, ce qui nous fait entrer de plain-pied dans une 6e extinction de masse, capable de mener à l’effondrement de nombreux écosystèmes de manière irrémédiable et d’être une menace pour la « civilisation », menace « existentielle », comme l’a dit à Cali le secrétaire général de l’ONU António Guterres.
Ce qui a changé ces deux cents dernières années ? La pression de l’Homme, la première et la seule cause directe de cet effondrement fulgurant de la biodiversité ! L’espèce humaine ne représente pourtant que 0,01% de l’ensemble du poids de tout le monde vivant sur la terre. Mais notre impact sur les écosystèmes est démesuré et ne cesse de s’accroître. D’ailleurs, même lorsque l’on regarde l’ensemble de la biomasse des mammifères, l’humain (n’oublions jamais que nous sommes des mammifères) représente 36% de cette biomasse ; les mammifères que nous élevons (surtout les bovins) en représentent 58%. Le reste de tous les autres mammifères, ce que l’on appelle la nature « sauvage », ne représente que 6% du total (2% terrestre et 4% marin, principalement les baleines). Si l’on considère les oiseaux, la biomasse pour toute la planète Terre de nos oiseaux d’élevage, principalement le poulet, compte pour 75% du total. Côté végétal, 38% des espèces d’arbres sont maintenant inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui répertorie les espèces en fonction de leur risque de disparition.
En 2019, un effort gigantesque d’inventaire à l’échelle mondiale a permis d’identifier 435 000 espèces de plantes (2 sur la planète, dont 36,5 % étant qualifiées de « rares » (observées moins de cinq fois), et 28,3 % « d’extrêmement rares » (observées moins de trois fois). Le drame est que les zones où se concentrent ces plantes rares sont généralement les zones les plus impactées par les changements provoqués par l’homme, directement (urbanisation, développement de l’agriculture intensive et déforestation) ou indirectement via les changements climatiques. De plus, au-delà de 30 % des espèces végétales mondiales sont natives des îles, comme à Madagascar, un trésor de biodiversité, qui arrive en tête de cette liste, avec pas moins de 9 318 espèces végétales qui ne se trouvent nulle part ailleurs. Pour les plus petites îles, les menaces aux écosystèmes sont multiples, mais les principales actuellement sont les événements climatiques extrêmes qui se multiplient et sont de plus en plus intenses, et, évidemment, la hausse du niveau des océans, conséquence directe et irréversible pour plusieurs milliers d’années du réchauffement planétaire que nous provoquons. Pour revenir à notre exemple, c’est aussi à Madagascar que la proportion d’espèces menacées d’arbres est la plus élevée (59%). En mars 2023, le territoire malgache n’est plus qu’à environ 10% recouvert de forêt, contrairement à environ 50% au début des années ‘70.
Concernant la biodiversité, nous sommes très loin de tout connaître. Selon MUSÉUM, « à ce jour, environ 2 millions d’espèces ont été inventoriées, mais on estime qu’il en existe entre 8 et 20 millions ! » Toujours pour Madagascar, des chercheurs ont découvert récemment dans ce 10% résiduel sept nouvelles espèces de grenouilles arboricoles, qu’ils ont nommées d’après les noms des capitaines de Star Trek en raison de leurs sifflements uniques et fantastiques. Combien d’autres sont disparues avec les forêts avant même d’être connues ? Mais avec l’échec à la COP16 des négociations sur le financement, la mise en place d’aires protégées y est problématique, comme partout ailleurs dans les pays en développement.
Comme si ce n’était pas maintenant évident, à Cali, Greenpeace a tenu à alerter sur le lien entre la crise de la biodiversité et la crise climatique. La COP29 se tient cette année à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan et de son gouvernement autocratique, autre haut lieu du dieu pétrole, et pour laquelle l’ONG Transparency International et le collectif Anti-corruption data collective nous rappellent que « La corruption et la kleptocratie menacent aussi l’intégrité des conférences sur le climat, y compris la prochaine COP29 à Bakou ». Selon eux, il y a un risque sérieux que la COP29 soit cooptée par les élites politiques azerbaïdjanaises, les compagnies pétrolières et gazières, et les lobbyistes pour promouvoir une industrie profossile, situation déjà dénoncée par des organisations non gouvernementales à l’occasion de la COP 28 de Dubaï. Rien pour être optimiste, autant pour la lutte au réchauffement planétaire que pour la préservation de la biodiversité et l’atténuation des crises sociales, trois enjeux très interreliés, mais toujours traités en silo, autant par les instances internationales que par nos gouvernements.
Si elles ont toujours existé, les nombreuses menaces qui pèsent sur le monde vivant sont de plus en plus aggravées par nos activités humaines. Les activités généralement mentionnées sont les changements d’usage des milieux naturels et leur morcellement, les différents types de pollutions de plus en plus planétaires, la surexploitation des ressources (l’extractivisme débridé de notre supposée « transition ») et l’introduction exacerbée par la mondialisation d’espèces invasives. À présent, le réchauffement planétaire est déjà considéré par plusieurs comme l’une des raisons principales de la disparition des espèces, car l’intensité et la rapidité des changements climatiques mettent en péril la faculté d’adaptation de nombreuses espèces animales et végétales.
Pire, une étude récente menée par des chercheurs du NIOZ Royal Netherlands Institute for Sea Research et des universités d’Utrecht et de Bristol montre que le doublement des niveaux de CO2 atmosphérique pourrait augmenter la température moyenne de la Terre de 7 à 14 degrés Celsius. Ces valeurs sont nettement supérieures aux estimations du GIEC sur le réchauffement planétaire. Ironiquement (mais ce n’est pas drôle), une vingtaine de régions du Québec ont connu leur journée d’Halloween 2024 la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures atteignant jusqu’à 26 °C.
Concernant l’impact du réchauffement planétaire, le 8e rapport de la revue médicale The Lancet montre que 10 des 15 indicateurs mesurant l’impact des changements climatiques sur la santé ont enregistré de nouveaux records en 2023. Fruit du travail d’une centaine de chercheurs du monde entier, ce document est publié chaque année depuis l’Accord de Paris en 2015. Ces impacts ne se font pas uniquement sentir sur les humains, mais aussi sur toute la faune et la flore qui, eux, n’ont pas de climatiseurs. Nous savons que pendant près de deux mille ans, la température moyenne à la surface du globe est restée stable. Au maximum, celle-ci a pu varier de quelques dixièmes de degré. Mais depuis le début de la révolution industrielle, le consensus scientifique est clair : l’activité humaine a un impact direct sur le climat, car en émettant des gaz à effet de serre, l’humanité réchauffe la planète.
Au Nord, les écosystèmes et les réseaux trophiques sont bouleversés, le caribou migrateur agonise, espèce centrale dans les modes de vie traditionnels des habitants du nord. Plus au sud, ici même au Québec, le caribou des bois est au bord de l’extinction, principalement par la perte de son habitat, les forêts anciennes, elles aussi écosystèmes menacés, qui sont détruites pour le crédo de la nécessité de préserver nos emplois dans l’exploitation forestière alors que rien n’a été fait pendant toutes les dernières décennies pour diversifier l’économie des communautés concernées et sans réponses positives de notre ministère de l’environnement quant aux demandes des premières Nations d’y créer des aires protégées.
Ailleurs, conséquences aussi du réchauffement planétaire, les forêts brûlent (Canada, Sibérie, Amazonie) ou se dessèchent (Portugal, Grèce, etc.), devenant des sources de carbone au lieu d’être des puits, ce qui évidemment bouleverse aussi les écosystèmes de ces milieux. Les événements climatiques extrêmes sont aussi localement très destructeurs pour les écosystèmes. Les pluies torrentielles dans la région de Valence en sont un dramatique exemple. Le « Protected Planet Report 2024 » rapporte que malgré que des progrès aient été réalisés pour ce qui est d’accroître la couverture des aires protégées et conservées (progrès très maigres d’ailleurs), ces progrès doivent être considérablement accélérés si l’on veut atteindre l’objectif de 30% d’ici 2030.
Mais l’accélération de la couverture doit aller de pair avec des efforts encore plus importants pour répondre aux autres éléments de la cible, soit de s’assurer de la qualité des systèmes des zones protégées et conservées. D’autres aspects importants à considérer lors de l’expansion des zones protégées et conservées sont d’inclure le respect des engagements de la cible en matière de droits de la personne, une gouvernance équitable et la reconnaissance des territoires autochtones et traditionnels. Mais que signifie une « aire protégée » quand, par exemple, le gouvernement albanais, pays signataire de toutes les conventions, autorise la construction d’un aéroport à l’intérieur des limites de l’aire protégée Vjosë-Nartë en Albanie, paradis des oiseaux migrateurs de l’Europe en bordure de la mer Adriatique, et que Jared Kushner, neveu d’un certain Donald Trump, y planifie un grand complexe hôtelier aussi à l’intérieur du parc ? Objectif : soutenir l’industrie touristique qui explose en Albanie. Que signifie « le respect des engagements de la cible en matière de droits de la personne, et la reconnaissance des territoires autochtones et traditionnels » quand, en Colombie, pays hôte de la COP16, 361 défenseurs de l’environnement y ont été assassinés ces six dernières années, révèle l’ONG colombienne Fondation Paix et Réconciliation (PARES) ?
À la lueur de ces constats, nous n’avons que peu de choix : obliger toutes les instances politiques - municipales, provinciales et fédérales - à tenir compte de l’existence de ces situations dramatiques et à poser des gestes concrets pour y faire face. Nous, individuellement, avons tous des gestes à poser envers nos élu.e.s. Nous devons tous et toutes être vigilant.e.s et mettre l’épaule à la roue afin qu’ils et elles posent les gestes nécessaires, et que ce ne soit pas des gestes d’écoblanchiment ou contradictoires l’un par rapport à l’autre.
Ces gestes doivent répondre aux enjeux de justice sociale, de respect de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques, conséquences du réchauffement planétaire. Ces gestes sont d’autant plus nécessaires et urgents suite aux récents résultats de l’élection américaine. À n’écouter que les discours et comptes-rendus qui ne mettent pas de l’avant les vrais enjeux, à savoir la survie de l’humanité, nous oublions que de nous préoccuper que de la fin du prochain mois nous condamne à en vivre des centaines qui viennent qui ne seront que pires. Cette fameuse fixation pour la fin de mois semble avoir aussi dominé les élections américaines, et nous en vivrons tous et toutes les conséquences.
GMob, GroupMobilisation, a mis de l’avant un plan d’action GOUVERNEMENTAL, MUNICIPAL et CITOYEN, le Plan de la DUC, pour s’attaquer à la réduction des gaz à effet de serre. Ce plan devrait servir de base à nos actions et être adapté afin de devenir des réponses de résilience et de sauvegarde de nos environnements de vie et des écosystèmes.
Des objectifs de décroissance, ou mieux d’un autre type de croissance (le PIB n’étant pas le meilleur indicateur de la santé des économies et des sociétés), donc des objectifs pouvant mesurer l’équité et la résilience devraient être mis de l’avant dans différents secteurs d’activité humaine (j’évite volontairement les mots « secteurs économiques » qui justifient toutes sortes de dérives) et à différentes échelles, comme les biorégions.
Faisons pression sur tous les élu-e-s, à tous les niveaux, pour qu’ils cessent de ne se préoccuper que de la fin de leur mandat (leur « fin de mois » à eux et elles), et s’attaquent aux enjeux existentiels auxquels nous faisons tous face ! Au travail, parce qu’il y a urgence !
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