Édition du 17 juin 2025

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Israël - Palestine

Gaza : un terrorisme d'Etat

L’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 a été un acte terroriste et barbare. Mais la riposte du gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou, massacrant plus de soixante mille habitants de Gaza, en leur majorité des femmes, des enfants et des personnes agées, a été cent fois plus terroriste.

Tiré du blogue de l’auteur.

1) Qui gouverne Israël ?

Benjamin Netanyahou et sa clique sont les héritiers d’un mouvement qui n’a jamais occulté sa nature criminelle.

En décembre 1948, lors de la visite de Menahem Begin, un des principaux leaders du parti Hérout, aux États-Unis, une trentaine de Juifs américains, plutôt "sionistes de gauche", parmi lesquels Hannah Arendt et Albert Einstein, ont envoyé au New York Times une déclaration qui dénonce catégoriquement ce personnage et son mouvement :

"Aux éditeurs du New York Times"

Parmi les phénomènes politiques les plus inquiétants de notre époque, est l’émergence, à l’intérieur de l’État d’Israël nouvellement créé, du "Parti de la Liberté" (Tnuat Haherut), un parti politique qui ressemble beaucoup, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et ses prétentions sociales, aux partis politiques nazis et fascistes. Il a été créé par des membres et sympathisants de l’ancien Irgun Zvai Leumi, une organisation chauvine, droitière et terroriste, en Palestine. (...)

Un exemple choquant a été donné par ce qu’ils ont fait contre le village arabe de Deir Yassin. Ce village, situé à l’écart des routes principales et entouré de terres juives, n’a pris aucune part à la guerre et a même combattu des groupes arabes qui avaient l’intention d’y établir une base. Le 9 avril, selon le New York Times, des groupes terroristes ont attaqué ce paisible village, qui n’était en rien un objectif militaire dans ce conflit, tué la plupart de ses habitants (240 personnes, hommes, femmes et enfants), et gardé quelques-uns en vie, afin de les faire parader, en tant que prisonniers, dans les rues de Jérusalem. (...)

L’incident de Deir Yassin illustre le caractère et les actions du Parti de la Liberté. À l’intérieur de la communauté juive, ils prêchent un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale. (...)" [1]

Le gouvernement actuel d’Israël, hégémonisé par le Likoud (héritier direct du Hérout de Begin), a cependant dépassé, de loin, les crimes commis par ses ancêtres dénoncés comme "fascistes" par Albert Einstein. C’est un gouvernement qui comporte d’ailleurs des personnages comme Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui vont bien au-delà, dans leur ultra-nationalisme raciste, de leurs alliés fascistes du Likoud. Ce gouvernement était devenu assez impopulaire – notamment par sa tentative d’évincer la Cour suprême – et était au bord de l’écroulement, menacé par de larges manifestations dans toutes les villes du pays. Il a été sauvé par l’attaque du 7 octobre 2023.

2) Que s’est-il passé le 7 octobre 2023 ?

Le Hamas, mouvement fondamentaliste et réactionnaire qui gouvernait la bande de Gaza, avait été longtemps soutenu par Netanyahou pour diviser le mouvement national palestinien. Lors d’une réunion du Likoud en mars 2019, Benjamin Netanyahou déclarait : "Ceux qui veulent empêcher la création d’un État palestinien doivent soutenir le renforcement du Hamas (...)".

Que s’est-il donc passé le 7 octobre ? On a pu lire et entendre les propositions les plus contradictoires, dans la plus grande confusion. Enzo Traverso propose une analyse sobre et objective :

"L’attaque du 7 octobre, qui a tué des centaines de civils israéliens, peut évidemment être qualifiée d’acte terroriste. Il n’était pas nécessaire d’assassiner et de blesser des civils, et de tels actes ont de surcroît toujours nui à la cause palestinienne. C’est un crime que rien ne peut justifier et qui doit être condamné. La réprobation nécessaire de ces moyens d’action ne remet cependant pas en cause la légitimité – reconnue par le droit international – de la résistance à l’occupation, une résistance qui implique aussi le recours aux armes." [2]

Un des aspects les plus tragiques de cette attaque barbare a été le fait que beaucoup de victimes appartenaient à des kibbutzim de gauche, pacifistes, et étaient même parfois directement engagées dans des actes de solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Si le Hamas avait attaqué seulement les bases militaires et pris deux cents soldats israéliens comme otages, cela aurait pu être une victoire politique. Mais le Hamas, depuis longtemps, avait choisi d’ignorer la distinction entre militaires et civils comme méthode de lutte.

3) La réponse d’Israël est un terrorisme d’État.

La riposte du gouvernement israélien a été cent fois plus terroriste que l’attaque du Hamas. Elle a résulté dans la destruction de Gaza, de ses maisons, écoles, hôpitaux, universités, et dans le massacre de plus de soixante mille Gazaouis (des milliers de corps ensevelis sous les décombres n’ont pas encore été pris en compte), dont la majorité étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Parmi les civils ainsi assassinés, des médecins, des infirmières, des écrivains, des poètes, des musiciens, des journalistes, des cinéastes, des travailleurs des associations humanitaires, des employés des Nations Unies. On compte aussi plus de cent mille blessés, parmi lesquels de nombreux enfants mutilés. Netanyahou et sa clique ont aussi utilisé la faim comme arme de guerre, en bloquant l’entrée à Gaza des secours alimentaires et médicaux. Il s’agit, comme le constate dans son récent livre le politologue Gilbert Achcar, "du pire épisode du long calvaire du peuple palestinien". [3]

L’objectif maintenant déclaré de cette criminelle destruction est l’expulsion des deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza, un nettoyage ethnique sans précédent. Malgré le soutien de Donald Trump, ce projet est irréalisable, aucun pays n’étant disposé à recevoir tout un peuple expulsé de sa terre.

Il s’agit d’un crime de terrorisme d’État, un véritable crime contre l’humanité. De nombreux universitaires israéliens, comme Raz Segal, parlent de génocide. Lee Mordechai, professeur à l’université de Jérusalem, après avoir rejeté ce terme, a changé d’avis : il s’agit de génocide.

4) L’opposition à la guerre se renforce, en Israël même.

La politique d’extermination du gouvernement israélien a rencontré une opposition croissante dans l’opinion publique internationale, y compris la diaspora juive. Des milliers de jeunes juifs ont participé aux protestations, notamment aux États-Unis. Il est ridicule de les accuser d’"antisémitisme". Les gouvernements européens, après deux années de complicité, commencent à prendre leurs distances.

Mais à l’intérieur même de l’État d’Israël, l’opposition à cette guerre s’étend. Les médias se réfèrent surtout aux familles des otages qui exigent un cessez-le-feu et des négociations avec le Hamas. Ces négociations ont permis la libération de plusieurs otages et un nombre important de prisonniers palestiniens, mais pas Marwan Barghouti, le "Nelson Mandela palestinien"...

Cependant, le refus de cette guerre barbare ne se limite pas à ces familles : il est beaucoup plus profond et ample. Il inclut des ONG comme B’Tselem, qui défendent les prisonniers palestiniens, Standing Together, qui réunit juifs et palestiniens dans l’opposition à la guerre, ou Breaking the Silence, qui publie des témoignages sur les crimes commis à Gaza ; les journalistes du quotidien Haaretz, comme Gideon Levy et Amira Hass ; des milliers d’officiers et soldats réservistes, notamment de l’aviation, qui ont publié des déclarations refusant de participer à la guerre (l’état-major de l’armée reconnaît que près de 40 % des réservistes ne répondent pas à l’appel) ; 3600 Israéliens qui ont signé un appel demandant des sanctions contre Israël. Les manifestations se multiplient, notamment sur les campus, où on a pu voir des pancartes proclamant : "Stop the Genocide", "Palestinian Lives Matter".

La principale force politique dans cette opposition est le Parti communiste israélien (Hadash), dont plusieurs députés, juifs comme Ofer Kassif, qui a appelé les soldats à refuser d’obéir aux ordres de participer au génocide, ou arabes, comme Ayman Odeh et Aida Touma-Souleiman, ont été suspendus de la Knesset (parlement) pour avoir dénoncé la guerre. Pour les communistes et pour les Israéliens les plus critiques, c’est toute l’entreprise colonialiste en Cisjordanie et à Gaza qu’il faut rejeter.

5) Quel avenir ?

Au-delà de la guerre et des massacres, peut-on imaginer un avenir commun pour Juifs israéliens et Arabes palestiniens ?

Pour le grand écrivain palestinien Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, le premier pas serait "une reconnaissance pleine et anticipée de la Palestine" (dans les frontières de la ligne verte de juin 1967) :

"Qu’est-ce qui interdirait à des nations souveraines de reconnaître pleinement un pays même si la souveraineté de ce dernier est captive d’un puissant occupant ?" [4]

La gauche en France et ailleurs est divisée entre partisans d’un État, de deux États, d’une fédération binationale, etc. J’aimerais ajouter une autre idée : une confédération démocratique, socialiste et multinationale des peuples du Moyen-Orient. Est-ce un rêve ? Certes, mais comme disait Lénine, "il faut rêver"...

Michael Löwy

Notes

[1] Le journaliste grec Giorgo Mitralias a re-découvert et publié dans son blog ce document.

[2] Enzo Traverso, Gaza devant l’histoire, Québec, Lux, 2025, p. 88.

[3] Gilbert Achcar, Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l’histoire mondiale, Paris, La Dispute, 2025.

[4] Elias Sanbar, "La dernière guerre ?". Palestine, 7 octobre 2023 - 2 avril 2024, Paris, Gallimard, "Tracts", n° 56, 2024

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