Édition du 26 mars 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Haïti : La faillite de l’humanité

‘’Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice. ‘’ (Éric Arthur Blair)

Haïti est sous la menace d’un génocide planifié. Dans ce pays de près 12 millions d’habitants, l’État est inexistant. La Police nationale est impuissante. Elle ne peut garantir l’ordre et la sécurité de la population terrorisée par les gangs. Les Forces armées haïtiennes, en panne d’effectif (moins de 500 soldats) et sous-équipées ne peuvent non plus faire face à la violence des bandes criminelles qui contrôlent près de 50% du territoire. Ces dernières volent, violent, tuent à visage découvert sous le regard nonchalant sinon impuissant du pouvoir de facto soutenu par la communauté internationale.

Port-au-Prince devient une ville assiégée. Toutes les issues de cette capitale sont contrôlées et bloquées par des chefs de gang. Ses habitants sont pris en otage et menacés d’un génocide si l’on tient compte du nombre d’armes en circulation dans le pays : plus de 500 000 selon la Commission nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion (2021).

Une étude publiée le 3 mars dernier par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle que les armes en circulation en Haïti proviennent du marché américain. Il s’agit d’un commerce très lucratif qui a généré des profits faramineux. Les armes de poing vendues entre 400 et 500 dollars dans certaines villes aux États-Unis sont revendues jusqu’à 10.000 dollars en Haïti. Les fusils de plus grande puissance, comme les AK47, les AR15 et les fusils d’assaut Galil sont généralement plus demandés par les gangs, ce qui entraîne des prix plus élevés. L’ONUDC révèle également que des armes de calibres plus élevés, parfois des mitrailleuses lourdes, sont aujourd’hui importées illégalement. 

L’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a précipité le pays dans le chaos. Depuis deux ans, la direction exécutive de l’État est assurée par le Dr Ariel Henry, un Premier ministre de facto. Son nom est cité dans les rapports d’enquête du meurtre de l’ancien chef d’État. Entouré d’une bande d’incompétents, de vautours et sans aucun sens de leadership, ce neurochirurgien assiste comme un spectateur à la descente aux enfers du pays. L’insécurité atteint des proportions inquiétantes. Les rues de Port-au -Prince sont presque désertes aux heures habituelles de grande affluence. L’école, le commerce, le transport fonctionnement au ralenti.

La semaine dernière les quartiers Bel-Air, Fort National, Corridor Bastia, Solino, Cité Marc, Sans Fil etc. s’enflammaient. Le puissant chef de gang Kempès (ainsi connu) tente d’élargir sa sphère d’influence. Les affrontements ont déjà fait plus d’une centaine de morts et des dizaines de maisonnettes incendiées. Cette offensive vise à contrôler le cœur de la capitale pour se placer dans une position stratégique entre les communes Delmas et Port-au-Prince. Les zones dites résidentielles sont menacées et les riverains vivent dans la peur et l’anxiété. Chaque jour la situation s’empire et la capitale se rétrécit.

Les dix sénateurs formant le résidu du Corps législatif sont partis depuis le deuxième lundi de janvier dernier. Sans aucun dirigeant élu, sans aucune institution fonctionnelle, Haïti devient une exception dans le monde. Elle est sous l’emprise d’un regime qui n’est ni la démocratie ni la dictature.

Les affrontements au cœur de Port-au-Prince ont des incidences sur le secteur éducatif déjà bancal. Beaucoup d’établissements scolaires ont fermé leurs portes. Les enfants sont cloués chez eux dans la peur. En pleine chaire dans une école congréganiste de la capitale, un enseignant a reçu une balle à la clavicule, mercredi dernier. Un autre est tué à Granthier (nord-est de la capitale) deux jours plus tard. Toutes les couches sociales du pays sont ciblées, les avocats, les médecins, les journalistes, les riches etc. Personne n’est à l’abri du kidnapping et de l’insécurité. Pas même les plus modestes.

La ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Emmilie Prophète Milcé, a avoué l’inexistence sinon l’impuissance de l’État à faire face aux bandits. Elle a appelé la semaine dernière à l’auto-défense. Elle invite la population à se défendre en cas d’attaque des malfrats. Ce discours consacre la rupture du pacte hobbesien qui confie à l’État la mission de préserver les citoyens des dangers intérieurs et extérieurs.

Entre-temps, les dirigeants pillent les maigres ressources du Trésor public. Ils roulent sur l’or. Ils voyagent dans le luxe. Ils s’achètent de jolies maisons et entretiennent des maîtresses exigeantes au frais de la Princesse. Des scandales de corruption éclatent partout dans l’État. Certains officiels du Gouvernement sont sanctionnés par Ottawa et Washington pour complicité avec les gangs. On a l’impression que le pays est comme une ville prise d’assaut par une armée ennemie et livrée au pillage.

De jour en jour, la situation devient plus grave. Le sang coule partout ici. La population meurt de faim et de l’insécurité. Haïti est oubliée. Elle est laissée seule. Les grandes puissances font des dilatoires. Aucune d’entre elles ne souhaite prendre le commandement d’une opération militaire pour libérer le pays de la domination des bandes criminelles. L’inaction de communauté internationale est inquiétante. Les initiatives d’Ottawa font peur. Cela rappelle le fiasco de la mission du général Roméo Dallaire au Rwanda en 1994 où 800 000 Tutsis ont été massacrés par les Hutus sous le regard nonchalant des forces onusiennes. C’est en Haïti qu’on observe la faillite réelle de l’humanité.

Bleck Dieuseul Desroses, Professeur d’Histoire et de Géopolitique, Haïti.

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