Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

L’approfondissement sans limite de l’identitarisme nationaliste par la CAQ

Après la prise en otage de la laïcité, c’est le tour de la langue française

L’affaire du Chemin Roxham est brandie plus que jamais par la CAQ dans le scénario traditionnel de la lutte contre Ottawa avec comme allié non seulement le PQ et le Bloc mais aussi le parti Conservateur canadien qui rallie tout ce qu’il y a de réactionnaire tant au Québec qu’au Canada anglais. Cette nouvelle foire d’empoigne fait suite au coup en bas de la ceinture de l’alliance Libéral-NPD à la tête du gouvernement canadien, toujours prête à prendre le Québec en souricière, qui a envoyé dans les pattes du Québec une Quebec basher comme représentante spéciale du Canada pour la lutte contre l’islamophobie. Cerise sur le gâteau, celle-ci avait critiqué les manifestations canadiennes contre le gouvernement iranien comme visant les femmes portant le voile. Ainsi va l’hypocrisie centriste et centre-gauche canadienne.

Le bloc identitaire CAQ-PQ-BQ tombe dans le piège islamophobe dont QS tente de se déprendre

Ottawa savait fort bien que le bloc nationaliste identitaire CAQ-PQ-BQ tomberait dans le piège islamophobe entachant avec lui tout le peuple québécois. Pourtant, selon la revue web progressiste The Conversation, le « deep federal » Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est le premier à cibler les personnes musulmanes. Est-ce la raison pour laquelle « [a]u cours des dernières années, le Canada a enregistré le plus grand nombre de personnes musulmanes tuées dans des attaques motivées par la haine parmi tous les pays du G7 » y inclus les assassinats de la mosquée de Québec et ceux de London en Ontario ? Nul doute que l’islamophobe loi 21 y a contribué au nom du renforcement de la laïcité... et pour la plus grande joie des Quebec bashers. Finalement Trudeau et Legault sont autant islamophobes que pro- pétrole.

Québec solidaire (QS), pris entre deux feux, s’est finalement rallié aux autres partis de l’Assemblée nationale pour réclamer le départ d’Amira Elghawaby, trop heureux d’invoquer son refus de rencontrer le parti en temps voulu pour ne pas analyser le fond de l’affaire. Comme revers de la médaille,

[p]our « ramener le débat au Québec », comme le disait plus tôt Gabriel Nadeau-Dubois, QS a déposé une motion à l’Assemblée nationale, mardi après-midi, pour que le Québec se dote de son propre plan de lutte contre l’islamophobie. Le gouvernement caquiste a toutefois refusé de donner son consentement pour en débattre. La motion déposée par le député de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla, demandait que « l’Assemblée nationale du Québec reconnaisse l’existence de l’islamophobie au Québec ». Elle appelait également le gouvernement Legault à mettre en place rapidement un plan de lutte contre l’islamophobie. [... De dire le porte-parole Solidaire] « L’attentat à la mosquée de Québec, c’était un attentat islamophobe. Le reconnaître ne veut pas dire faire le procès du peuple québécois. Ça veut dire reconnaître que le problème existe. »

Le Chemin Roxham sert aussi de diversion à la crise sociale, ce que QS ne relève pas

En ce qui concerne le Chemin Roxham, le porte-parole Solidaire

...dénonce la « surenchère » politique, notamment le gazouillis de vendredi du Bloc québécois qui affirme que le Québec n’est pas un « tout-inclus ». [...] « Un tout-inclus, c’est un endroit où on va s’écraser sur la plage boire des margaritas. Les gens qui entrent au Québec pour faire des demandes d’asile, c’est des gens qui fuient la violence, l’exploitation, la persécution. Ce n’est pas du monde qui veut se la couler douce », a-t-il ajouté. D’après lui, « ces comparaisons-là n’ont pas leur place ». Dans les dernières semaines, le Parti québécois a aussi suggéré d’appeler la police, de distribuer des tracts et de créer une « enclave » pour barrer la route aux migrants. « Je m’inquiète de la surenchère à laquelle on assiste », a déclaré dimanche M. Nadeau-Dubois en marge du conseil national de QS à Montréal. [...] QS propose de suspendre cette entente, le temps de la renégocier. Cela permettrait de demander l’asile à n’importe quel point d’entrée frontalier canadien, selon M. Cliche-Rivard [candidat Solidaire pour l’élection complémentaire de Saint- Henri–Sainte-Anne et avocat en droit de l’immigration]. « Ils vont pouvoir aller en Ontario ou en Colombie-Britannique s’ils le veulent. On va diluer la pression et ça va être bénéfique pour tout le monde », a-t-il affirmé.

La stratégie de la CAQ est manifestement celle d’aiguiser à fond les contradictions identitaires tous azimuts pour faire diversion — le député de Maurice-Richard n’avait pas tort même s’il ne faut pas esquiver la critique de l’identitarisme pour autant — et encore pire, ce que montre la lettre du Premier ministre québécois à son homologue fédéral : ce serait les personnes réfugiées qui causeraient le débordement des services publics et communautaires et même le déclin du français à Montréal. La CAQ veut faire oublier l’échec retentissant du front des provinces, et encore plus l’alliance Legault-Ford, pour forcer Ottawa à hausser sa contribution en santé à 35%. Sans compter qu’elle veut faire oublier la crise du logement qu’elle reconnaît à peine et dont elle fait fi, tout comme sa promesse ratée de « 2600 classes de maternelles 4 ans – un engagement phare de la CAQ pour lequel le premier ministre a mis son siège en jeu en 2018. »

La CAQ promet plutôt des hôpitaux privés et comme mesure phare de son prochain budget d’importantes baisses d’impôt par ailleurs vivement dénoncées. Jusqu’à argumenter que vaut mieux remettre l’argent aux contribuables que l’investir dans des services publics dont abuseraient les personnes réfugiées et immigrantes il n’y a qu’un pas qui pourrait être franchi quand se crispera sous peu le débat sur la nécessité des augmentations de salaires et des conditions de travail du demi-million des personnes employées dans les services publics. La résistance des personnes employées par les agences privées à la loi bidon qui veut en limiter le recours en croissance exponentielle démontre la nécessité de cette ample bonification.

On aurait aimé que le député Solidaire responsable de ce dossier, contrairement au responsable Libéral, fasse le lien évident entre la bonification substantielle des salaires et conditions de travail dans le secteur public et la probabilité que les personnes employées par les agences retournent dans le secteur public. Cette pirouette Solidaire est-elle due à la modestie des attentes du parti vis-à-vis le prochain budget où il n’est nullement question de cette bonification dont les impacts budgétaires crèvent les yeux. L’aile parlementaire Solidaire se satisfait de réclamer la mise à niveau prépandémie des budgets du transport en commun — Vision 2030 où te caches-tu ? — et le rattrapage de la construction de logements sociaux déjà promise — Adieu l’engagement traditionnel Solidaire de 10 000 logements sociaux écoénergétiques l’an. Comme mesure innovante, QS comme la CAQ met l’accent sur la distribution d’argent au profit du marché, même si celle Solidaire est plus juste, au lieu d’étendre et améliorer les services publics.

Le recul du français est dû au patronat et privilèges scolaires anglophones, non aux gens réfugiés

Quant à la francisation, mettre la responsabilité sur le dos large des nouveaux arrivants, c’est commode pour ne pas pointer du doigt un gouvernement, de la CAQ aujourd’hui mais Libéral ou du PQ hier, qui n’a jamais voulu ni toucher au système scolaire post-secondaire privilégié de la minorité anglophone, pas plus d’ailleurs que Québec solidaire, ni surtout au sacro-saint patronat ce que les Solidaires semblent vouloir faire :

La responsable solidaire en matière de Langue française, Ruba Ghazal, a souligné le « manque de courage » de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui « ne veut pas imposer des mesures en francisation pour le monde des affaires. Si on ne s’occupe pas de cet enjeu, on est en train de manquer notre coup en matière de protection de la langue française. Les actions qui ont été mises en place par le gouvernement sont timides par rapport à la francisation en milieu professionnel, qui n’est pas obligatoire », a-t-elle expliqué en entrevue. [...] Selon elle, le projet de loi 96, adopté en mai 2022, n’est pas suffisant pour soutenir la vitalité du français dans le monde des affaires. « Contrairement aux prétentions du gouvernement, le projet n’a pas tout réglé pour la langue du travail. On voit une progression de l’usage de l’anglais dans les milieux de travail – surtout à Montréal, mais pas seulement – et aussi une baisse du français. On ne peut pas avoir un plan d’action ou des recommandations qui ne tiennent pas compte des affaires », a soutenu Mme Ghazal. Depuis 2016, la proportion de personnes utilisant le plus souvent le français au travail a diminué pour s’établir à 79,7 % en 2021. Celle de personnes utilisant le plus souvent l’anglais a pour sa part augmenté, pour atteindre 13,9 % en 2021. [...] Le projet de loi 96 avait soulevé un tollé chez les gens d’affaires, notamment au sein de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) qui déplorait « un énième alourdissement du fardeau administratif » des PME québécoises. « La CAQ ne veut pas recevoir encore plus de critiques en demandant au monde des affaires plus d’efforts en matière de langue française. Elle préfère donc se tourner vers les immigrants. [...] À Québec solidaire, on n’est pas d’accord avec le modèle d’immigration temporaire du gouvernement, surtout avec la pénurie de main-d’œuvre et les enjeux actuels de francisation », a déclaré la députée de Mercier.

Ne reste plus qu’à débarrasser la loi 96 de ses clauses anti-immigrant et anti-autochtone qui n’ont rien à voir avec cette loi sensée protéger le français et qui le fait à peine. On se demande quelle mouche a piqué l’aile parlementaire Solidaire d’avoir voté pour cette loi qui visait pernicieusement davantage les populations immigrante et autochtone que la protection du français. Ah ! le pouvoir d’attraction de ce nationalisme identitaire baignant dans l’électoralisme. On comprendra que cette odeur de putréfaction n’a rien pour légitimer la défense de la clause nonobstant malgré le bon vouloir Solidaire : « On n’est pas d’accord avec la loi 21, mais la disposition de dérogation, c’est un outil démocratique important pour le Parlement du Québec pour le peuple québécois et là-dessus, on a toujours été très clairs à Québec solidaire que ces débats-là allaient se faire et se régler ici au Québec. »

Le nationalisme identitaire anti-communiste de Duplessis tournait autour du catholicisme contre les Anglo-protestants (Affaire Coffin) et contre les Témoins de Jéhovah. Celui néolibéral tout aussi autonomiste de la CAQ, soutenu par ses compères péquiste et bloquiste, tourne autour de l’immigration racisée venue corrompre la race. Les tergiversations Solidaire aidant, on comprendra que le fond de l’air n’est pas propice à faire apparaître l’indépendance comme libération nationale soutenant l’émancipation sociale et vice-versa. « L’indépendance du Québec en est une autre qu’on dit vouloir « réaffirmer », mais la proposition qui déplorait son absence dans le discours électoral de QS a été rejetée. De toute évidence, on n’en parlera pas davantage durant la campagne en vue de l’élection partielle du 13 mars. » On attend toujours ce projet d’une société écoféministe de prendre soin tant des gens que de la terre-mère se libérant du Canada pétrolier et fédéral.

Marc Bonhomme, 25 février 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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