Édition du 26 mars 2024

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Environnement

L’industrie du pétrole, un lobby hyperactif

Il est légitime de se demander pourquoi le gouvernement Trudeau tient tant à l’oléoduc Trans Mountain. Pendant la dernière campagne électorale, ce sujet a agi comme une épine au pied. On y voyait une contradiction flagrante. Les prétentions environnementalistes de Justin Trudeau disparaissaient devant son désir d’exporter plus de pétrole des sables bitumineux. Peut-être faut-il chercher une des clés du mystère du côté des lobbyistes ?

Tiré du site d’Alternatives.

Le nombre de rencontres entre les représentants de l’industrie du pétrole et l’appareil gouvernemental au Canada dépasse en effet tout ce qu’on pourrait imaginer. Pendant une période de 7 ans, allant de 2011 à 2018, il y a eu pas moins de 11 452 rencontres entre des lobbyistes et des élus ou des fonctionnaires. Ce qui correspond à 6 contacts par jour ouvrable. Il est difficile de croire que des liens aussi soutenus n’aient pas donné des résultats concrets au bénéfice de l’entreprise.

Ces chiffres nous proviennent d’une étude du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA), Big Oil’s Political Reach, qui a plongé dans le registre des lobbyistes pour répertorier et cartographier ces rencontres. Ce qui ressemble un peu à la collecte de métadonnées : on sait qui est entré en contact avec telle personne, sans avoir une idée précise de ce qui s’est dit dans l’échange. C’est un réseau qu’on met à jour, mais pas les propos choisis pour faire plier les gouvernements.

Toutefois, ne sommes-nous pas tous un peu lobbyistes ? N’est-ce pas un désir partagé que de vouloir informer un gouvernement et le rallier à une cause chère ? Peu d’entreprises ou d’organisations ont cependant des opportunités aussi extraordinaires que l’industrie pétrolière. Les représentants des énergies renouvelables, par exemple, ont eu 30 fois moins de rencontres. Pour les écologistes, syndicalistes ou autres défenseurs de la transition énergétique, les échanges significatifs sur l’environnement avec des élus ou leurs représentants demeurent exceptionnels.

L’étude nous montre que les lobbyistes se sont acharnés tout autant sur le gouvernement Trudeau que sur le gouvernement Harper. Mais leur stratégie s’est modifiée. Alors qu’avec les conservateurs, on visait surtout les élus, avec les libéraux, la cible de prédilection demeure les grands fonctionnaires. Ce qui explique peut-être un programme mi-figue mi-raisin en matière d’environnement.

Le travail des lobbyistes est subtil et dans l’ombre. Mais en constatant la lenteur avec laquelle se met en place la transition énergétique ainsi que notre incapacité d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, il semble être d’une redoutable efficacité.

Le chercheur Timothy G. Sutton, cité dans l’étude du CCPA, a bien résumé en quoi consiste l’approche des lobbyistes : ils interviennent le plus tôt possible dans la conception d’une loi, lors de sa première esquisse, et avant même la rédaction de cette esquisse. Ils parviennent ainsi à s’assurer que les décisions qui les concernent seront nécessairement à leur avantage. Il leur faut pour y arriver de gros investissements et une connaissance exceptionnelle des coulisses du pouvoir.

Les nouveaux accords de libre-échange signés par le Canada leur facilitent encore plus les choses. Par ce qu’on appelle la « coopération règlementaire » ou les « bonnes pratiques de réglementation », ils profitent de lieux de rencontres officiellement reconnus pour exercer leurs pressions : les règlementations sont discutées en petits comités, les portes closes, alors que seuls les intéressés qui brassent de grosses affaires sont conviés.

Pendant ce temps, la grande majorité de la population préoccupée par les changements climatiques ne sait plus comment se faire entendre. Steven Guilbeault, l’écologiste fièrement recruté par le Parti libéral du Canada, est nommé ministre du Patrimoine, afin qu’il ne dérange pas trop. Le gouvernement Legault fait la sourde oreille devant les 500 000 manifestants dans les rues de Montréal en septembre dernier demandant des actions concrètes pour le climat. Et l’oléoduc Trans Mountain demeure un projet intouchable du gouvernement Trudeau.

Décidément, quelque chose de va pas. Le lobbyisme des compagnies pétrolières nous montre une fois de plus à quel point cette pratique demeure anti-démocratique. Il s’agit là d’un cas parmi d’autres, si énorme soit-il. C’est toute cette pratique qu’il faudra un jour, le plus rapidement possible, remettre en cause. Mais pourquoi cela semble-t-il tellement improbable ?

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