Édition du 16 avril 2024

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Québec

Le jovialisme magique du ministre Barette

Un an après l’élection de Donald Trump, les médias ne cessent de s’émouvoir de ses twits où il attaque ses opposants en les dénigrant, où ses « faits alternatifs » réinventent la réalité.

tiré de :MON ŒIL !... La chronique du coordonnateur de la Coalition solidarité santé Édition du 30 octobre 2017

Il est vrai que les propos du dirigeant de la plus grande puissance mondiale peuvent avoir de dangereux impacts sur la diplomatie, voire sur la sécurité du monde.

Peut-être devrions-nous nous estimer heureux au Québec que le ministre Barrette ne soit pas aussi puissant que son maître américain.
Cependant, le pouvoir qu’il s’est approprié depuis trois ans à travers ses projets de loi (PL) dépasse tout ce qu’on avait vu antérieurement de la part d’un ministre de la Santé et des Services sociaux (SSS), mettant en danger tout l’aspect démocratique si important dans toutes les lois votées antérieurement par le législateur et fondant notre réseau public de SSS.

Ce pouvoir du ministre de décider de tout s’accompagne de celui d’en évaluer les résultats. Encore là, on voit le ministre Barrette montrer les mêmes qualités jovialistes que le président américain.

Trois exemples des dernières semaines en témoignent, surtout si on les considère en remontant le temps.

Le premier, un sondage rendu public le week-end dernier par la Fédération interprofessionnelle de la Santé (FIQ) concernant la perception de la population des réformes du ministre.

À la question sur les craintes du public concernant le temps supplémentaire accompli trop souvent par les infirmières, le ministre répond qu’« il y a de la littérature scientifique qui dit que jusqu’à 16 heures, il n’y a pas de risques. Ce qui peut poser problème, c’est plus de 16 heures. » Il est pour le moins surprenant de voir le ministre Barrette s’appuyer sur de la littérature scientifique, lui qui était pourtant resté de marbre en commission parlementaire quand la majorité des intervenant.e.s sont venu.e.s lui dire, littérature scientifique à l’appui, que son PL 10 allait dans le mauvais sens. Il avait même déclaré qu’il n’avait pas besoin des autres pour savoir quoi faire : lui savait, et ça lui suffisait.

À la question « diriez-vous que la situation est meilleure, pareille ou pire actuellement qu’il y a 3 ans », le sondage montre que 12 % la trouvent meilleure, 49 % pareille et 40 % pire. Réplique du ministre : selon lui, il n’y a pas de détérioration puisque « 61 % des répondants considèrent que le système est stable ou amélioré », additionnant sans rire le 12 % (meilleure) et le 49 % (pareille). Soyons clairs : les mots « pareille » et « stable » n’ont pas tout à fait la même signification dépendant du comparatif : par exemple, l’état stable de quelqu’un à l’article de la mort ne peut pas vraiment être interprété comme une bonne nouvelle. Mais le ministre passe ainsi sous silence le fait qu’il jugeait luimême la situation d’il y a trois ans problématique, au point d’affirmer en conférence de presse que « la raison fondamentale qui m’a fait faire le saut en politique était justement ça, pouvoir agir sur les éléments qui étaient facilement identifiables, qui étaient problématiques dans notre système de santé. Et vous en avez vu, des résultats depuis que nous sommes en poste… »

Si aujourd’hui 49 % des gens considèrent que la situation est pareille, et 40 % la jugent pire, le ministre devrait peut-être se garder une petite gêne.

* * * * *

Cette conférence de presse, le ministre Barrette l’a tenue la semaine dernière pour annoncer ce qu’il a nommé « la grande inscription », une astuce pour faire passer l’échec de sa promesse phare d’un médecin de famille pour 85 % de la population.

C’est mon deuxième exemple de réinvention de la réalité.

Après avoir fait tout un plat il y a deux ans avec son PL 20 qui allait obliger les médecins de famille à des quotas de patients, sous peine de diminution salariale jusqu’à 30 %, après s’être dit convaincu que 85 % de la population serait inscrite auprès d’un médecin de famille au plus tard le 31 décembre 2017, sinon les pénalités s’appliqueraient, le ministre s’est présenté pour nous dire que ça allait tellement bien qu’il allait changer la façon de faire de même que les dates des pénalités.

Et là, le ministre s’est creusé les méninges pour nous trouver des raisons à son recul : d’abord, lui, le médecin, n’avait pas prévu, semble-t-il, que des médecins prenaient leur retraite et qu’il fallait prendre en charge leurs patient.e.s. Ensuite, le Québec « a une culture particulière […] la période de déménagement du 1er juillet ». C’est une balise dont il faut également tenir compte dans le départ à la retraite de 225 médecins, mais aussi dans l’arrivée de 400 nouveaux. Ces nouveaux, il ne faudrait pas non plus les surcharger « de patients lourds » ; et il faut leur laisser le temps de s’installer, disons jusqu’au 1er septembre. Ah oui, un dernier détail : il reste encore 460 000 personnes en attente d’avoir un médecin ! Tenant compte de TOUTES ces raisons, la solution serait : plutôt que d’inscrire ces 460 000 avant le 31 décembre comme prévu dans la loi, elles pourront s’inscrire en continu. « Ce n’est pas une grande inscription une fois, c’est tout le temps. […] À chaque année il y aura une grande inscription. » Et pouf ! Voilà notre jovialiste ministre se transformant en magicien ! On peut se demander si le personnel (cadre et non-cadre) du réseau peut en faire autant avec les cibles qu’il leur impose !

À cette même conférence, le ministre a pris la peine de mentionner les économies découlant de son entente de cet été avec les pharmaceutiques, 305 M$ par année récurrents à investir dans nos services, a-t-il dit, ajoutant qu’une première tranche avait été investie dans le deuxième bain en CHSLD. Une bien petite tranche puisqu’à 36 M$, on parle de moins de 12 % du total. Quant à l’effet réel de cet investissement, des témoignages semblent montrer qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, surtout quand le personnel est manquant.

* * * * *

Mon troisième et dernier exemple concerne justement ce manque de personnel. C’était le 12 octobre, lors d’une entrevue du ministre à Radio-Canada. L’animatrice lui demandant quand allait se concrétiser sa promesse d’il y a un an d’engager 1200 nouvelles préposées dans les CHSLD, le ministre a expliqué qu’une des raisons majeures du fait qu’il n’en est qu’à la moitié du nombre, c’est que son gouvernement est tellement bon au niveau économique, que le taux de chômage est trop bas, qu’il n’y a pas assez de chômeur.e.s pour combler les postes offerts.

En d’autres mots, si ça va si mal, c’est parce que ça va trop bien !

Du jovialisme magique !

Jacques Benoit.

Jacques Benoit

Coordonnateur de la Coalition solidarité santé.

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