Édition du 26 mars 2024

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Économie

La finance et la bourse : pires ennemis de l’économie et… de l’environnement !

Ma précédente chronique montrait, comment et contrairement aux idées reçues et rabâchées, les milieux d’affaires sont ennemis de la relance économique. Celle d’aujourd’hui s’attaque, tel qu’annoncé, à un autre tabou tenace : montrer comment la finance et la bourse sont sans doute les pires ennemies, non seulement de l’économie et de la relance économique, mais aussi de l’environnement.

Préambule 1

Pour bien suivre et comprendre les chemins paradoxaux dans lesquels nous nous engageons ici, il faut tout d’abord cesser de confondre « santé financière » avec « santé économique »1, et ensuite sortir de la confusion, si soigneusement entretenue, entre multiplication - accumulation de « richesses » financières et bien être de ce que l’on dénomme « économie réelle ». Autrement dit, cesser en particulier, de confondre « valeurs à la bourse » avec « performances économiques ». Aujourd’hui, par exemple, savoir qu’une entité aussi irréelle – virtuelle que « Amazon » qui « vaut » en bourse plus de mille milliards de dollars (ou Yahoo –sans actifs ni bénéfices qui « valait » en 1999… 80 millions de dollars), devrait nous inciter infiniment plus au pessimisme et à la crainte qu’autre chose ! Tout simplement parce que cette « valeur à la bourse » ne représente rien de plus qu’une « mode », un engouement du moment, qui poussent de façon totalement instinctive-mimétique, des foules de gens à en acheter des actions (comme au 17ème siècle lorsque la mode était aux tulipes, un seul bulbe de cette plante « valait » des fortunes colossales). Une fois pour toutes, il convient de comprendre que ce qui se passe à la bourse – donc en finances en général- n’est que purs mouvements d’attractions – répulsions subjectives, provoqués par les manigances de ceux (les traders et autres agents de ventes-achats de titres, actions…) qui désignent au bon peuple, en spéculant de mille et une manières, ce qu’il convient de convoiter en bourse ou non.

Préambule 2

Il convient de se remémorer ce que nous avons établi auparavant, lors d’une analyse du « statut scientifique du profit » : nous ne « créons » absolument rien ! Au contraire, puisque nous ne faisons que « transformer », la thermodynamique nous enseigne que nous dégradons chaque fois plus (en termes d’énergie utile) que ce que nous prétendons créer. Ce qui s’énonce sous l’appellation d’entropie (second principe de la thermodynamique qui rend compte de la quantité d’énergie utile définitivement et irréversiblement perdue lors de toute action impliquant du travail, de la transformation). Il convient également de se souvenir que nous avons établi que cette quantité d’énergie utile « perdue » non seulement annihilait toute idée de création, mais au contraire indiquait – même infiniment approximativement- combien nous dégradons et détruisons, bien au-delà de ce que nos activités en économie dite « réelle » prétendent « produire ». C’est ce qui avait été démontré à l’aide de la comparaison des deux « boucles de rétroactions positives » provoquées par l’activité économique : celle ascendante des dits « profits » qui augmentent, et celle descendante, des dégâts écologiques exponentiels par laquelle la nature « compense » l’existence de cette « impossibilité thermodynamique » que nous dénommons « valeur ajoutée et profits ». Or, nous allons voir ici que les activités dites de l’économie « virtuelle » (services non marchands, économie de l’information, intérêts, spéculations, boursicotages…) sont infiniment plus « entropiques » (dégradeurs d’énergie utile) que les activités de l’économie issue de la transformation physique – matérielle ! Paradoxalement, et contrairement à ce qu’on penserait spontanément.

La « chrématistique » (finances) : destruction la plus dévastatrice de la qualité de vie et de l’environnement !

Le raisonnement en est un peu plus ardu que celui des précédentes analyses. Allons donc au plus simple possible : il existe en physique un principe connu comme « principe de conservation de l’énergie par le travail ». Ce principe signifie (simplifions) en gros, que toute activité impliquant du travail fourni (transformation, extraction…) laisse, à travers le « produit » concret « utile-utilisable » de ce travail une certaine quantité d’énergie conservée (conservée dans l’usage même que je peux, ainsi que souvent, des générations après, faire de ce qui a été produit). Si nous prenons l’exemple du menuisier qui transforme des arbres en chaises, cela serait l’usage (pour le repos, la détente, le travail intellectuel…) que ces chaises vont permettre à des générations d’humains. Or, notre trader, spéculateur boursier, faiseur de finances… lui, ne laisse absolument rien qui équivaudrait à cet usage ! Il ne laisse en fait qu’un « artificiel pouvoir d’achat » – tout aussi artificiellement démultiplié – de biens, d’objets, d’utilités… provenant des activités de transformations (voitures, meubles, bijoux, cellulaires, maisons, vêtements…). Utilisons une illustration simplificatrice : imaginons deux personnes (notre menuisier et notre spéculateur) qui s’en vont acheter une voiture. La même voiture chacun, valant disons 20 000 $. Notre menuisier, à travers l’existence et l’usage physiques des chaises qu’il nous lègue en transformant des arbres, « restitue » un certain équivalent d’une portion de l’énergie totale dépensée, sous forme de cet usage des chaises. Alors que le spéculateur, lui : Rien ! Si nous supposons que « l’équivalent énergie laissée par le travail » dans les chaises « vaut » 3000 $ ; alors le menuisier aura acheté, en termes nets, environ 17 000 $ d’équivalent entropie de l’automobile qui coûte 20 000, tandis que le financier, lui, en aura acheté pour 20 000 ! Pour ainsi dire, l’argent du financier, c’est pratiquement de l’entropie « pure et totale », alors que celui du menuisier est de l’entropie ni pure ni totale, puisqu’il faut en déduire l’équivalent « conservation d’énergie par le travail » transféré dans l’existence même des chaises qui lui survivent (les 3000 $ que nous supposons ici).

En conclusion : finances, bourses et milieux financiers, des armes de destruction massive à « brider » au plus vite !

La crise de 2008 a donné une alarme et des conséquences dont on ne se relève toujours pas. Mais hélas, ce sont (voir contributions antérieures) les milieux d’argent qui ont le pouvoir sur tous les autres, en particulier politique. Raison pour laquelle, nous en sommes aujourd’hui à refaire exactement – sinon pire- que ce qui a provoqué cette crise. Imaginons les dégâts si les actionnaires de Amazon décidaient de transformer soudainement leurs 1000 milliards de dollars en maisons, bijoux, bateaux, automobiles, avions, ordinateurs… : les quantités de minerais, terres rares (un ordinateur portable nécessite de remuer 8 tonnes de terre) eau, sable, terrains… que cela nécessiterait, mettrait une bonne partie notre pauvre planète en état de dépôt de bilan ! « Brider la finance » ce serait par exemple, mettre au point et en application des mécanismes qui empêcheraient la valeur totale des dividendes et actions de dépasser la valeur résiduelle comptable de l’entreprise. Ce serait aussi mettre en place une « taxe Tobin » sur les montants journaliers des transactions boursières qui serait utilisée à réparer, tant que faire se peut, les dommages causés par l’illusion de la croissance infinie : la dégradation continue de la nature et l’aggravation non moins continue des inégalités et des appauvrissements.

Omar Aktouf

Professeur titulaire, HEC Montréal.

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