Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Histoire

Le joli mai

Ce printemps-là...à l’Université Laval. Inoubliable ! Vous pensez à l’introduction d’une énième évocation du fameux printemps 2012 ?

Non.

Je fais référence à une lutte étudiante bien plus ancienne qui a eu lieu à l’Université Laval mais... en avril-mai 1977. Beaucoup de gens l’ignorent, y compris sans doute la plupart des actuels militants de la Cadeul, l’organisation étudiante générale qui a succédé au Rep (Regroupement des étudiants de premier cycle). Le Rep a « régné » sur le syndicalisme étudiant à l’Université Laval de 1975 à 1980. Il a livré la seule lutte étudiante pan-campus entre 1968 à 2012, en fait la seule lutte étudiante générale puisque ni en 1968, ni même en 2012 la majorité des étudiants de Laval n’a rejoint la contestation globale qui a alors secoué les institutions d’enseignement « supérieur » du Québec.

De quoi s’agit-il donc ? Du boycott des frais de scolarité par l’ensemble des étudiants et des étudiantes de l’Université Laval. Elle a été la conséquence de la grève des professeurs et professeures regroupés au sein du syndicat des professeurs de l’Université Laval (le Spul). Ce conflit de travail avait entraîné la suspension des cours et chambardé le régime d’aide financière aux étudiants et étudiantes. Ceux-ci ont voulu obtenir du ministère de l’Éducation (comme on l’appelait à l’époque) des accommodements qui tiendraient compte de la précarité de leur situation et de la direction universitaire un assouplissement dans le calendrier de deux sessions désormais resserrées.

Il s’est agi d’une lutte discrète mais intense, marquée cependant par un certain nombre de rebondissements et qui s’est terminée sur une injonction interlocutoire obtenue par la direction universitaire à la mi-mai 1977.

Ce combat majeur est depuis tombé dans l’oubli. Le seul historien du mouvement étudiant qui la relate est Pierre Bélanger dans sa monographie : « Le mouvement étudiant. Son passé, ses revendications et ses luttes (1960-1983) », paru aux Presses de l’Aneeq en 1984. Par ailleurs, ni Marc Simard dans son « Histoire du mouvement étudiant québécois 1956-2013. Des trois braves aux carrés rouges. », publié aux Presses de l’Université Laval, ni Arnaud Theurillat-Cloutier dans son ouvrage « Printemps de force. Une histoire engagée du mouvement étudiant au Québec (1958-2013 », sorti chez Lux n’y font la moindre allusion.

Question d’exactitude historique, je me propose dans ce texte de réparer cette curieuse absence.

Tout part de la grève des professeurs et professeures de l’Université Laval, qui s’est déroulée du 7 septembre au 23 décembre 1976. Les syndiqués, regroupés au sein du syndicat des professeurs de l’Université Laval (le Spul) réclamaient essentiellement de meilleures garanties et protections contre l’arbitraire patronal, en plus d’augmentations de salaire. Ils sont largement obtenu satisfaction après un long et âpre conflit de travail.

Le Rep avait accordé son appui au Spul.

Du côté étudiant, l’acteur était donc le Rep. Celui-ci s’était transformé en organisation étudiante de campus en avril 1975, après n’avoir été pendant les deux années précédentes que le simple Bureau du Collège électoral, une structure de participation bidon mise sur pied par la direction universitaire en 1968.

Le Rep reposait sur les associations locales, lesquelles envoyaient des délégués et déléguées à la Chambre des représentants qui élisait à son tour les membres de trois comités de direction, les comités de coordination, d’information et de griefs. Ces membres étaient responsables de leurs décisions et projets devant la Chambre. Ils lui en rendaient compte et la Chambre pouvait aussi leur donner des instructions. On se trouvait donc en présence d’une structure fédérative.

Au début assez dynamique (avril 1975-novembre 1975), le fonctionnement du Rep s’est grippé petit à petit à partir de novembre 1975. Une nouvelle équipe a été élue à ce moment-là, qui succédait à l’équipe initiale. Les membres des trois comités se sont mis à prendre moins d’initiatives, à moins informer la Chambre de leurs projets et à évoluer plus ou moins en circuit fermé. Bref, le fonctionnement interne du Rep devenait plus « bureaucratique ».

L’insatisfaction des membres de la Chambre à l’endroit des trois comités a grandi à mesure que le temps passait.

Le bruit sest mis à courir (et s’est vérifié par la suite) que des « poids lourds » des comités d’information et de grief appartenaient au Parti communiste du Canada marxiste-léniniste, le PCC(m-l) et qu’ils tentaient d’instrumentaliser le Rep au service de leur idéologie. Ces personnes distribuaient d’ailleurs le Quotidien du populaire, l’organe officiel du PCC(m-l). Le Carabin, le journal du Rep et quelques journaux de département (en sciences politiques particulièrement) étaient teintés de l’idéologie de ce parti.

On leur reprochait aussi une certaine inaction, voire de la passivité vis-à-vis des problèmes qui assaillaient les étudiants et étudiantes. Plus le temps passait et plus la distance se creusait entre les trois comités et le milieu étudiant.

Il faut ajouter que le financement du Rep laissait à désirer : le budget alloué au Rep a baissé depuis sa mutation en organisation étudiante. Il a été diminué, passant de 27,000$ en 1975-1976 à 15,000$ pour 1976-1977. On pensa donc à organiser une consultation populaire sur un financement autonome du Rep. Mais vu la grève, il ne serait pas possible de la tenir avant la reprise des cours (en janvier 1977).

L’automne 1976 fut pénible pour beaucoup d’étudiants et d’étudiantes : certains n’avaient pas travaillé le temps requis durant l’été pour toucher des prestations d’assurance-chômage (12 semaine à l’époque), la plupart n’avaient pas reçu de prêts et bourses à l’automne puisque l’Université était fermée et qu’ils n’étaient pas inscrits ; ils devaient en plus assumer une hausse du coût de l’inscription décrétée par la direction universitaire (de 260$ à 280$) pour une session d’automne qui se déroulerait inévitablement en hiver (mi-janvier-début avril 1977). La « session d’hiver » elle, devait se terminer le 8 juillet.

Durant le conflit, plusieurs étudiants se sentirent laissés pour compte par les parties en présence et le Rep ne leur inspirait guère confiance non plus.

Pourtant en dépit des lacunes de son fonctionnement, le Rep a tenté de rejoindre les étudiants et étudiantes durant le conflit. Il participa à un comité tripartite (professeurs et employés de soutien) pour préparer la rentrée et assurer les services essentiels durant le fermeture de l’Université à l,automne. Il organisa une assemblée générale d’information le 16 septembre et des assemblées générales d’information par facultés les 20, 21 et 22 septembre, qui ont rassemblé environ 2,000 étudiants et étudiantes. Des militants du Rep ont publié des textes dans les médias en faveur du syndicat des professeurs.

Le 4 octobre, le Rep a mis sur pied des rencontres entre sections syndicales et associations étudiantes correspondantes pour discuter des modalités de la rentrée. Les 5 et 6 octobre, il y eut des journées d’étude pour se pencher sur les problèmes que devraient affronter les étudiants lors de la rentrée comme le manque de fonds et les services essentiels . On y proposa de diminuer les frais de scolarité en proportion du temps perdu à cause de l’entêtement patronal dans le conflit.

Le Rep exerça aussi des pressions pour la réouverture du service alimentaire (fermé le 9 septembre) et pour un entretien convenable des résidences étudiantes.

Du 12 au 28 octobre, le Rep occupa les bureaux de Vie étudiante afin d’arracher le déblocage par la direction universitaire des certificats de prêts. Plus de 5,200 étudiants avaient demandé de l’aide financière à laquelle les certificats donnaient accès. Il obtint de la direction pour les étudiants et étudiantes la possibilité (qui s’avéra très éphémère) d’avoir un prêt sans intérêt et remboursable après le conflit.

Le 3 novembre, le Rep a convoqué une assemblée générale spéciale pour suggérer aux étudiants et étudiantes des moyens concrets pour sauver la session en perdition. 3,000 étudiants y participèrent. Mais le climat s’est révélé très tendu entre les partisans de l’appui aux professeurs et les autres, plus tièdes ou franchement hostiles. Toutefois, des étudiants ont avancé quelques propositions annonciatrices de la future lutte d’avril-mai 1977 : refus d’acquitter les frais de scolarité en cas d’annulation de la session d’automne, revendications d’une réduction de ces frais en cas de session écourtée et permission de payer les frais en cours de session et non obligatoirement au début. Mais ces propositions ont été noyées dans le brouhaha général.

Il faut signaler aussi la réaction de la droite étudiante durant le conflit. Elle s’est traduite par la mise sur pied du Rut (Regroupement des universitaires tannés) à la fin de septembre, mais le groupe s’est sabordé à la fin de septembre lors de sa première assemblée générale pour vice de procédure. Mais certains de ses membres se manifesteront lors du référendum sur la cotisation automatique non obligatoire tenu en janvier 1977 et aussi durant la lutte du printemps. Bien sûr, le Rut reprochait au Rep son appui à la grève. Il l’accusait de manipulation gauchiste des étudiants.

Lorsque l’université a enfin rouvert ses portes en janvier, la situation financière de plusieurs étudiants était piteuse.

Du côté du Rep, les événements se précipitèrent et pas dans le meilleur sens. En effet, l’organisation étudiante avait décidé de procéder au référendum sur la cotisation automatique non obligatoire à la fois pour asseoir sa légitimité auprès des étudiants et étudiantes et régler ses difficultés financières. La notion de cotisation automatique non obligatoire signifiait que les étudiants étaient invités à accepter de fournir chacun une petite somme (4$) au Rep qui serait prélevée sur ses frais d’inscription mais dont il pourrait réclamer le remboursement en se rendant au local du Rep. Le référendum eut lieu en même temps que l’inscription : les 10, 11 et 12 janvier 1977.

Ce fut un désaveu total à l’égard du Rep : 76.5% de non et à peine 22.1% de oui. Le coup était dur et il signifia à court terme le congédiement de l’équipe PCC(m-l) d’une partie des trois comités. De toute évidence, beaucoup d’étudiants et d’étudiantes n’avaient pas digéré le soutien du Rep au Spul.

La distance, déjà perceptible auparavant à la Chambre entre la majorité des délégués d’une part, et d’autre part l’équipe en place dans les comités et ses partisans se mua en scission. La direction du Rep demeurant sourde aux reproches et griefs que plusieurs déléguées et déléguées formulaient depuis des semaines, la Chambre procéda à un vote de destitution le 17 février. On remplaça les démis par un comité provisoire chargé de voir aux affaires courantes et de se pencher sur des modifications aux statuts du Rep.

On remarquait trois groupes au sein des délégués et déléguées qui se sont ligués pour évincer les PCC(m-l) : une masse de centristes, des membres du parti communiste ouvrier (le PCO) qui tentait de supplanter le PCC(m-l) au sein de l’extrême-gauche et des délégués de l’Aesl (Association des étudiants en sciences de Laval), de centre-droit. Le PCC(m-l) conservait pour sa part quelques partisans en Chambre.

Durant le boycott des frais de scolarité, les débats et tensions entre ces tendances vont ébranler la Chambre à plusieurs reprises.

La Chambre sentait l’urgence d’entreprendre une action efficace pour secourir les étudiants et étudiantes, ce dont l’ancienne équipe destituée n’avait donné aucun signe de comprendre, trop enfermée qu’elle était dans sa bulle idéologique.

Le temps de l’action approchait donc. Il y avait de quoi ruer dans les brancards.

Le ministère avait coupé dans le montant des bourses par rapport à l’année précédente ; le calcul d’aide aux étudiants pour 1976-1977 s’arrêtait au 1er mars 1977. Le calcul des dépenses subséquentes était calculé sur celui de l’année suivante, ce qui bien sûr nuisait aux finissants. De plus, le montant des dépenses pour la durée de la grève avait été sous-évalué de 30% par rapport aux dépenses hebdomadaires normales, ce qui entraînait une perte de 280$ comparé à l’année précédente, du moins pour quelqu’un qui n’avait bénéficié d’aucune rentrée d’argent à l’automne 1976. Plusieurs étudiants et étudiantes avaient emprunté lors de cette période avec l’espoir de rembourser cet emprunt par la bourse ou par un emploi à l’été 1977.

Pour ceux et celles qui avaient reçu de l’assurance-chômage, le ministère déduisait le montant d’aide des prestations reçues.

De plus, la surcharge de travail durant la session écourtée « d’automne » (en fait janvier-avril) et le stress qui en résultait accentuait parmi les étudiants et étudiantes le ressentiment envers les professeurs et le Rep qui les avait appuyés lors de la grève.

LA RÉACTION DU REP

Celui-ci devait donc réagir et vite pour regagner la confiance des étudiants et étudiantes.

Par conséquent, la Chambre forma le 24 mars le comité prêts-bourses pour formuler des revendications et ensuite les acheminer au ministère de l’Éducation dont le titulaire était Jacques-Yvan Morin (JYM pour les intimes).

Le comité était formé d’un représentant par association locale et d’un autre du comité provisoire. Il désigna un comité de négociation, redevable devant lui.

Pour rétablir le contact avec sa base étudiante et élaborer un cahier de revendications, le comité organisa des consultations et des sondages par l’intermédiaire des associations membres par des assemblées générales qui eurent lieu les 29, 30 et 31 mars. Ces instances adoptèrent les revendications proposées par le Rep et qui se déclinent ainsi :

1- Gratuité scolaire à la deuxième session pour tous les étudiants et étudiantes ;

2- Indemnisation adéquate pour les pertes financières subies durant la grève ;

3- Que les étudiants non-résidents sur le campus durant l’automne soient évalués au taux habituel qu’ils aient ou non travaillé à l’été 1976 ;

4- Que les prestations d’assurance-chômage soient considérées comme des revenus s’additionnant aux revenus d’été et qu’ils soient soumis aux mêmes critères que ceux provenant d’un emploi ;

5- Que le montant (350$) retenu sur la bourse pour les frais scolaires soit retourné à l’étudiant pour compenser le retard dans le versement des prêts gouvernementaux et afin de compenser les prêts personnels contractés durant la grève ;

6- Qu’un fond de dépannage soit maintenu tout au long de l’année scolaire 1977-1978 pour l’attribution de prêts sans intérêt ;

7- Que le ministère ne retienne aucune contribution d’emploi d’été pour tous les étudiants et les étudiantes (entre le 8 juillet et le début de septembre 1977) ;

8- Pour les finissants, que le ministère calcule 13 semaines de surplus de dépenses à 64.75$, soit 841.75$ et que leurs dépenses soient calculées sur 26 semaines plutôt que 13 (durée de la « session d’hiver ») qui finirait cette année-là le 8 juillet.

Ces revendications semblaient ambitieuses mais elles correspondaient à la situation financière très difficile de beaucoup d’étudiants, et même désespérée dans le cas de certains.

Le fait que quelques responsables du comité prêts-bourses étaient près du Parti québécois leur laissait espérer une réelle audience de la part du gouvernement péquiste nouvellement élu.

Ce fut une grande déception. Le ministère de l’Éducation se montra intraitable. Il faut dire que Jacques-Yvan Morin appartenait à l’aile conservatrice du parti et que celui-ci, pour juguler la baisse des revenus causée par la crise économique persistante n’avait pas du tout l’intention d’accorder la gratuité scolaire aux étudiants de l’Université Laval, même pour une session, afin d’éviter de créer un précédent pour les autres étudiants universitaires.

LE REP SE PRÉPARE AU COMBAT

Le 1er avril, le Rep fit parvenir un ultimatum au ministère et à la direction de l’Université ; l’organisation exigeait l’ouverture de négociations entre les parties concernées par ses revendications et une réponse favorable au plus tard le 8 avril.

Le 2 avril, le reteur Paquet (dont le mandat allait bientôt débuter) refusa d’appuyer les exigences du Rep, une ligne de conduite que les membres de la direction universitaire (surtout le conseil exécutif dominé par le recteur et dans une moindre mesure, le Conseil de l’Université) allaient suivre tout au long du conflit imminent.

La question des moyens à employer pour faire aboutir ces revendications posait un problème aigu. L’inscription pour la seconde session étant le 12 avril, les militants et militantes du comité prêts-bourses ne disposaient que de peu de temps pour le résoudre, même chose pour informer les étudiants et étudiantes (surchargés de travail et peu attentifs aux affaires du Rep) des demandes du Rep et les convaincre d’adopter des moyens appropriés pour faire pression sur le gouvernement.

Plutôt que de proposer une grève générale, limitée ou illimitée, une tactique qui aurait rebuté par des étudiants et étudiantes déjà insécures devant l’avenir et surchagés de travail, les stratèges du comité prêts-bourses optèrent pour un boycott des frais de scolarité. Une tactique qui présentait l’avantage de ne pas paralyser l’Université (les cours continueraient à être dispensés) tout en exerçant une pression efficace sur le gouvernement, du moins le souhaitait-on.

Le comité prêts-bourses résolut donc de bloquer le processus d’inscription du 12 avril au Peps (Pavillon de l’éducation physique et des sports) par des lignes de piquetage et de rediriger les masses étudiantes vers la grande salle du Peps, où l’assemblée était prévue.

Apprenant la nouvelle, la direction universitaire (le cabinet du recteur en fait) s’empressa d’annuler l’inscription afin d’éviter des incidents disgracieux ; sans doute espérait-elle que la majorité des étudiants et des étudiantes refuse d’adhérer à la proposition de boycott du Rep. Les événements parurent lui donner raison au début.

En effet, beaucoup d’étudiants et d’étudiantes ignoraient jusqu’à l’existence du comité prêts-bourses et par conséquent sa décision de convoquer une assemblée décisionnelle au sujet de son cahier de revendications.

L’Assemblée débuta sous les plus mauvais auspices pour le comité prêts-bourses. La plupart des intervenants et intervenantes au micro démontrèrent la plus virulente hostilité à l’endroit du Rep, quelques-uns proposant même de le dissoudre !

Jean Baillargeon, le responsable et porte-parole du comité prêts-bourses eut donc fort à faire pour calmer le jeu. Ensuite, des partisans du boycott se sont succédé au micro en expliquant posément le bien-fondé des revendications du Rep, et en insistant sur le fait que les cours continueraient à se tenir, suite à un accord entre le Rep et le Spul.

On garantit aussi aux étudiants qu’il y aurait une assemblée générale aux deux semaines, question de leur démontrer que le Rep ne leur demandait pas un chèque en blanc et donc qu’il les consulterait avec régularité. Le dernier mot devrait toujours revenir à l’assemblée générale.

Contre toute attente, l’assemblée se rallia en cours de route à la position défendue par le comité prêts-bourses. Elle en appuya les revendications par 939 pour, 220 contre et 144 abstentions. La majorité en faveur du boycott fut moins grande, mais tout de même décisive : 831 pour, 712 contre et 88 abstentions.

Le Rep détenait donc enfin un mandat clair pour agir.

LA LUTTE DÉBUTE

Par ailleurs, la direction universitaire (en fait le conseil exécutif et le recteur) a résolu de suspendre indéfiniment le processus d’inscription et surtout refusé d’émettre une nouvelle carte étudiante, indispensable pour pouvoir sortir des livres de la bibliothèque, pratiquer des activités sportives au Peps et avoir accès aux activités socio-culturelles. Plus précisément, les étudiants et étudiantes avaient accès à la bibliothèque mais pour consultation sur place seulement. Impossible donc de sortir des bouquins !

Cette tactique bien sûr nuisait aux étudiants et étudiantes. Elle allait d’ailleurs pousser les militants et militantes à des actions plus radicales que de simples manifs ou des négociations de coulisses.

Si les cours continuaient à se donner et que tout paraissait calme sur le campus, une lutte au couteau opposait par ailleurs les trois parties en présence : le Rep d’une part, le ministère de l’Éducation et la direction universitaire d’autre part.

Le 14 avril, il y eut une rencontre entre le comité de négociation du comité prêts-bourses et des représentants du ministère. Chaque partie campa sur ses positions.

Le 18 avril, nouvelle assemblée générale qui confirma le boycott par 855 voix, 418 contre et 68 abstentions.

Le 19 avril, le Conseil de l’Université donna son appui de principe aux revendications étudiantes mais encore une fois, le recteur Larkin Kerwin (qui finissait son mandat et allait le céder bientôt au nouveau recteur Paquet) et le vice-recteur Marcel Daneau se dissocièrent de ce soutien, invoquant de prétendus inconvénients techniques censés nuire au bon fonctionnement de l’Université à cause du boycott, arguments rejetés par le Rep. La direction reconnut toutefois l’ancienne carte étudiante pour les activités socio-culturelles parce qu’elle rertirait des revenus de certaines de ces activités, et aussi pour le Peps ; mais dans ce dernier cas, elle se garda d’en informer les étudiants et le Rep dut s’en charger.

Le 29 avril, seconde rencontre entre le comité de négociation et des fonctonnaires du ministère, là encore sans résultat.

LES ÉVÉNEMENTS DE PRÉCIPITENT

La tension croissait sur le campus en raison de ce blocage et des inconvénients qui en découlaient. Le 2 mai, une troisième assemblée générale confirma le boycott par 1240 voix, 713 contre et une centaine d’abstentions. À cette étape, la lutte entra dans une phase plus dynamique : une proposition d’occupation des bureaux du rectorat fut adoptée par 727 voix, 100 contre et 100 abstentions.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Après l’assemblée, environ 600 étudiants et étudiantes ont appliqué le mandat voté et sont allés occuper les deux étages du rectorat, déserts évidemment, les adminsitrateurs ayant décampé avant l’arrivée des étudiants. Après la « conquête », environ 25 étudiants et étudiantes y sont restés en permanence. Ils ont formé le comité d’occupation, qui a été le centre de plusieurs discussions enflammées sur le sens qu’il convenait de conférer à la lutte. Une partie des occupants et d’autres militants allèrent à leur tour occuper le 9 mai les services administratifs logés à la Bibliothèque générale, et ce jusqu’au 13 mai.

Samedi le 7 mai, le Conseil de l’Université se rallia à la ligne dure du conseil exécutif par 29 voix contre 14. Le Rep perdait un « allié » en théorie mais en pratique cette décision ne changeait pas grand chose puisque le conseil exécutif avait la haute (et la basse) main sur la gestion de l’institution universitaire.

Le Rep dut bientôt affronter une tactique autrement plus périlleuse pour le maintien de la solidarité étudiante : l’inscription par la poste. La direction avait décidé de contourner le boycott. Elle fit insérer dans le numéro du 12 au 17 mai du Fil des événements (organe d’information hebdomadaire) une fiche d’inscription que l’étudiant devait remplir et retourner par la poste avec les documents appropriés.

Le Rep dut donc réagir vite d’autant plus qu’une manifesttion était prévue ce jour même (le 12) devant l’Assemblée nationale pour réclamer une rencontre entre le ministre Morin et le comité de négociation.

Un commando ad hoc fut donc formé pour faire disparaître les exemplaires de l’édition du 12 au 17 mai du Fil. Il frappa en coup de vent : les 10,000 exemplaires furent cueillis le matin même de la distribution dans les présentoirs et éliminés. Quelques heures plus tard, la direction universitaire, prise au dépourvu, en fit imprimer à la hâte 10,000 autres et les distribua mais cette fois sous haute surveillance du service de sécurité. Quelques groupes de militants réussirent à en faire disparaître un certain nombre mais à une échelle beaucoup plus modeste que la première fois. Les forces vives du Rep étaient alors concentrées sur la manif.

Celle-ci s’est déroulée comme prévu devant la porte de l’Assemblée nationale. Environ 300 étudiants et étudiantes se sont massés là. Lorsqu’ils ont appris que Morin ne verrait pas leurs représentants, ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres ou plus exactement aux pancartes ; en effet, sur la sugestion de quelques militants, on entassa contre la porte plusieurs pancartes qu’on incendia. La porte fut endommagée mais la direction du comité eut la sagesse de faire retirer les pancartes en feu, ce qui épargna la porte d’une destruction totale. Une escouade de policiers de la Sûreté du Québec attendait non loin de là, mais le grabuge n’atteignit pas une ampleur suffisante pour qu’elle intervienne.

Le gouvernement transmit tout de même par la suite au Rep une facture de 5,000$ que l’organisation refusa d’acquitter. L’affaire n’alla pas plus loin, sans doute parce qu’aucun responsable du Rep n’avait donné l’ordre de brûler la porte ; au contraire, ils avaient fait retirer le modeste brasier.

Par ailleurs, durant cette semaine agitée, le Rep a tenu des assemblées consultatives dans toutes les facultés les mercredi 11 et jeudi 12 mai, auxquelles environ 1,500 étudiants et étudiantes ont décidé de boycotter l’inscription par la poste. Mais cette initiative n’eut guère d’influence sur la suite des choses, comme on le verra.

Nouvelle tuile pour le Rep le 11 mai : le juge Gaston Harvey de la Cour supérieure de Québec accordait à l’Université une injonction interlocutoire ordonnant aux occupants des bureaux du rectorat de vider les lieux et au Rep de cesser de nuire au bon fonctionnement des activités universitaires. Le document fut remis aux occupants et occupantes le 13. L’occupation cessa donc à ce moment-là. Elle avait duré dix jours et demi (du 2 mai en après-midi au 13 à midi).

Le 17 mai, dernière assemblée générale : elle vota de ne plus en tenir tant que le gouvernement ne ferait pas une offre satisfaisante aux étudiants. Mais sur le campus, le coeur n’était plus guère à la lutte. On comptait moins de participants et de participantes que d’habitude : tout au plus 900 personnes qui ont voté la poursuite du boycott par 680 voix, 66 la cessation et 142 abstentions. Dans un geste de défi à l’injonction, l’assemblée a aussi résolu d’aller occuper des services administratifs situés aux étages supérieurs de la Bibliothèque, évacués depuis le 13 mai. L’action (tranquille) a duré deux heures, avant que les occupants et occupantes ne vident les lieux avec l’arrivée de 25 policiers municipaux de Sainte-Foy.

La résistance étudiante s’effritait à vue d’oeil : entre le 12 et le 17 mai (première date-limite), à peu près 12,00 étudiants et étudiantes sur 18,000 ont cédé au chantage de la direction et envoyé par la poste leur coupon d’inscription. Voyant qu’il n’y avait rien d’autre d’entrepris par le Rep après l’occupation du 17, plusieurs ont à leur tour « capitulé » ; le 30 mai, ultime date-limite imposée par la direction universitaire, le dernier carré de résistants a cédé lui aussi.

Lors de sa séance (fort houleuse) du 18 mai, la Chambre des représentants accepta de mettre fin au boycott sur recommandation du comité prêts-bourses et de respecter l’injonction tout en décidant de la contester par des voies légales. Pour sa part, le comité prêts-bourses déclarait la fin du boycott le 19 mai.

Donc au total, la lutte a duré du 12 avril au 19 mai, en fait du 12 avril au 17 mai.
BILAN

La lutte des prêts-bourses a duré plus d’un mois et fut marquée par quelques passes d’armes, en plus d’aiguiser certaines divisions politiques au sein du mouvement étudiant à Laval. Par exemple, des membres de la direction congédiée le 17 février ont souvent harcelé les représentants du comité prêts-bourses en Chambre parce qu’ils jugeaient que ceux-ci refusaient de radicaliser la lutte et d’en faire un combat anti-capitaliste. Ils ont même demandé que la direction de la lutte soit transférée au comité d’occupation, où eux et leurs sympathisants excerçaient une influence prédominante, ce qui aurait eu pour effet d’enlever la direction de la lutte au comité prêts-bourses, responsable devant la Chambre et l’assemblée générale. Une exigence que la plupart des représentants et représentantes étudiants ont repoussé bien entendu, mais la minorité communiste a continué son opposition radicale envers le comité. Elle aurait voulu aussi que tout un chacun puisse faire partie du comité prêts-bourses, au mépris de la structure définie par la Chambre. Ce qui fut aussi refusé par la Chambre. Les querelles étaient fréquentes aussi entre eux et les délégués de l’Aesl (Association des étudiants en sciences de l’Université Laval), lesquels se situaient nettement plus à droite sur l’échiquier politique, même s’ils soutenaient la lutte mais dans une optique « corporatiste ». Cependant, le comité prêst-bourses est parvenu à garder le cap et à ne se pas laisser déborder sur sa gauche ni sur sa droite.

Les sucesseurs du défunt Rut eux, ont constamment attaqué le Rep et son boycott dans les médias de la capitale et utilisé sur le campus toutes les occasions qui se présentaient à eux pour faire passer leur message réactionnaire.

Le Rep a quand même regagné une certaine crédibilité auprès des étudiants avec ce combat ; une réalisation d’autant plus remarquable qu’il avait encaissé une brutale rebuffade lors du référendum raté sur la cotisation automatique non obligatoire en janvier. Mais la modération de certains responsables du comité prêts-bourses a peut-être entraîné une reddition facile devant l’inscription par la poste, qui les a de toute évidence désarçonnés. Au lieu de tenter de rassembler les étudiants et étudiantes qui avaient bravé le délai du 17 mai, ils ont platement résolu de mettre fin au boycott le 18 mai, en dépit du vote contraire de l’assemblée de la veille et de respecter l’injonction.

Auraient-ils pu persévér avec une chance de succès ? L’interrogation demeure posée. Il faut convenir que le ministère de l’Éducation et la direction universitaire profitaient d’une situation de force vis-à-vis des étudiants et qu’il leur suffisait d’attendre que le temps fasse son oeuvre, c’est-à-dire que l’angoisse devant la fin de la session qui approchait ne continue à gruger leur volonté de résistance. Dans ce contexte défavorable, on peut se demander si la prolongation de la lutte par une minorité toujours plus restreinte d’étudiants et d’étudiantes n’aurait pas constitué un « baroud d’honneur » sans lendemain.

Le Rep a cependant obtenu quelques concessions de la partie gouvernementale.

1- Un prêt sans intérêt équivalant aux frais de scolarité accordé à tout étudiant qui en ferait la demande, avec remboursement obligé 6 mois après la fin des études ou au plus tard le 1er novembre 1979 ;

2- Une indemnisation des étudiants par l’octroi d’une somme supplémentaire aux bourses ;

Des miettes, mais c’était mieux que rien, d’autant plus que de la direction universitaire n’a consenti quant à elle à aucune concession pour un réaménagement plus accommodant de l’échéance de la session.

CONCLUSION

Le boycott des frais de scolarité par les étudiants de l’université Laval fut la première lutte étudiante après l’arrivée-surprise du Parti québécois au pouvoir en novembre 1976. Elle s’est déroulée dans un contexte économique assez défavorable : 9.8% de chômage au Québec, 25% des jeunes de 17 à 25 ans se trouvaient sans emploi et près de 25% es chômeurs avaient moins de 25 ans.

L’intransigeance du gouvernement péquiste à l’égard des contestataires de l’Université Laval annonçait déjà celle qu’il afficherait lors de son second mandat (1981-1985) à l’endroit des travailleurs et travailleuses de la fonction publique et parapublique.

Cette lutte étudiante fut assez modeste comparée à d’autres qui ont suivi. Pourtant au départ, c’était la plus improbable des luttes. Le Rep, qui était déjà largement discrédité auprès de la plupart des étudiants à cause de son fonctionnement bureaucratique et de l’orientation idéologique de sa direction de novembre 1975 à février 1977 a cependant démontré une remarquable capacité de résilience après la grève du corps enseignant de Laval mais avec une nouvelle équipe dirigeante, plus pragmatique que la précédente, avec les avantages et les inconvénients qui en découlaient.

Ce combat eut plus de points communs avec la contestation de 1968 qu’avec les grands conflits de 2005 et de 2012. Elle dura toutefois plus longtemps que la première, plus d’un mois et s’avéra aussi plus consistante. Mais la tactique de la direction universitaire fut fondamentalement la même : un mélange sournois de « souplesse » et de brutalité vers la fin. Ce qui témoigne d’une remarquable tradition administrative dans la gestion des conflits .étudiants importants sur le campus.

Dès le début, la direction a refusé les formes ouvertes d’affrontement. Elle a annulé l’inscription, puis a procédé par menaces et pressions mesquines mais très enquiquinantes pour la masse étudiante (en particulier le refus de reconnaître la validité de l’ancienne carte étudiante). Lorsque le Rep a accentué son offensive (occupation des bureaux du rectorat et de la Bibliothèque, suppression des exemplaires du Fil des événements du 12 au 17 mai), elle a alors frappé le « grand coup » de l’injonction. Néanmoins, il ne se produisit guère d’affrontement brutal entre les parties en conflit. La police fut peu présente sur le campus (mis à part une autopatrouille de la police de Sainte-Foy qui s’y promenait de temps à autre, mais rarement). Il n’y eut aucune poursuite devant les tribunaux. De même, la direction n’ouvrit aucune enquête pour tenter de découvrir les auteurs de « l’enlèvement » du Fil, ce qui aurait provoqué une dégradation supplémentaire de la situation et risqué de galvaniser les étudiants et étudiantes autour du Rep. De ce point de vue, le boycott de 1977 contraste avec la grève de 2012. On ne nota aucune arrestation en avril-mai 1977. Même les dommages causés par l’incendie de la porte de l’Assemblée nationale n’ont entraîné aucune poursuite. Il est vrai que le gouvernement péquiste préparait son référendum sur la souveraineté et qu’il a peut-être voulu ménager dans une certaine mesure ses alliés naturels de l’époque, les étudiants.

On peut quand même se demander dans l’hypothèse où le Rep aurait été mieux implanté parmi les étudiants et étudiantes et qu’il leur avait paru plus inspirant, si les contestaires de 1977 n’auraient pas alors fait preuve de plus de ténacité et d’intrépidité. Mais la côte à remonter était longue, abrupte et le temps manquait au Rep pour nouer un contact étroit avec ses commettants et commettantes avant le déclenchement du boycott. Toutefois, il a tenu tête au gouvernement et à la direction universitaire durant plus d’un mois, un exploit dans les circonstances.

Pourquoi cette lutte a-t-elle sombré dans l’oubli ? Après tout, elle a mobilisé l’ensemble des étudiants et étudiantes du campus, même durant une période de temps assez courte, et elle a connu divers rebondissements.

Selon moi, pour deux raisons : tout d’abord, elle n’a concerné que les étudiants de l’Université Laval et ensuite elle fut relativement peu spectaculaire, vu qu’il s’il s’agissait d’un boycott et non d’une grève. En apparence, tout fonctionnait normalement sdur le campus. Les médias « nationaux » (lire : montréalais) ne s’y sont pas intéressés, à supposer même qu’ils aient été au courant de son existence, à l’inverse de ceux de Québec. Il faut admettre aussi que l’installation au pouvoir du Parti québécois attirait toute leur attention et ce au détriment d’une lutte aussi « mineure » que le boycott des frais de scolarité par les étudiants et étudiantes de l’Université Laval. Si elle s’était produite à l’Uqam ou à l’Université de Montréal, les choses auraient été différentes. Mais à Québec...

J’ai voulu par ce texte remettre à l’honneur le devoir de mémoire. Avis aux militants et militantes étudiantes. Aussi aux historiens du mouvement étudiant québécois.

Jean-François Delisle

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