Édition du 10 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le noir n’est pas une couleur

La discrimination sur la base de l’ethnicité, du statut ou de l’origine est un virus social qui connaît beaucoup de mutations, probablement autant, sinon plus que la COVID-19. Quand j’étais adolescent au Québec, la pire menace qu’on recevait au collège classique, alors un lieu de formation des élites, émanait des Juifs qui étaient à la fois de dangereux communistes et des ploutocrates sans foi ni loi. À l’époque , on voyait à Montréal quelques Noirs, surtout anglophones, dans le sud-ouest de la ville et des Asiatiques dans le microquartier chinois. Il y avait aussi les immigrants de l’Europe pauvre comme l’Italie et le Portugal qui étaient regardés en général comme des « étrangers », mais qui se sont relativement intégrés dans le tissu social montréalais.

Il y avait aussi les autochtones qu’on ignorait dans leur misère et leurs ghettos appelés « réserves ». On vivait alors dans un face-à-face Anglo-Franco où la majorité de ceux qu’on appelait à l’époque les « Canadiens-français » étaient dans la petite misère, le chômage et la discrimination. Pierre Vallières a raconté cela dans le livre que certaines personnes, peu au fait de l’histoire du Québec, voudraient censurer. Ce serait une grave erreur de penser que tout le monde réagit de la même façon. Des actions très courageuses ont été entreprises pour tendre la main aux immigrants. Michel Chartrand et Lea Roback, deux syndicalistes bien connus, nous rappelaient toujours qu’un peuple ne pouvait se libérer s’il était incapable de combattre ses propres comportements discriminatoires.

Le basculement

Plus tard, tout a basculé avec les arrivées en grand nombre d’Haïtiens et de Latino-américains, pour la plupart en fuite de pays sanguinaires que l’État canadien continuait d’appuyer, « business as usual ». Ces personnes nous ont beaucoup ouvert les yeux sur ces réalités qui, pour la plupart des gens, étaient nébuleuses. Les Haïtiens se sont implantés dans la société, notamment dans l’enseignement pour ceux qui avaient ces compétences et dans des secteurs industriels à bas salaires. C’est ce qui a mené à une concentration de pauvreté dans l’arrondissement Montréal-Nord. À partir des transformations provenant de la mondialisation néolibérale, tout a changé encore une fois. L’immigration haïtienne, caribéenne et centroaméricaine a augmenté au fur et à mesure que les crises s’accéléraient dans ces régions (guerres civiles, collapses économique et social, etc.). Dans les années 1990, la population maghrébine (Maroc, Algérie et Tunisie) a connu une forte poussée. Certains s’en tiraient bien, mais la majorité aboutissaient dans les niches de bas salaires et de conditions précaires. Un facteur qui a permis certains progrès a été la multiplication des interventions de solidarité créées par des groupes sociaux, des intellectuels et d’autres intervenants, ce qui a permis la mise en place d’un tissu associatif où les populations discriminées prennent le rôle, revendiquent, sortent de leur confinement en tant que « victimes ».

Les développements récents

Depuis une vingtaine d’années, des populations aboutissent ici de tous bords tous côtés, comme du Sri Lanka, des Philippines, de l’Inde, du Mexique, du Congo, de la Colombie, de la Chine, dans le sillon d’une mondialisation qui aggrave les conditions de vie. Le Canada, dont la réputation est d’être « accueillant », bénéfice de l’arrivée de personnes qui ont des compétences de haut niveau. Cependant, comme on le sait, on ne reconnaît pas leur valeur, en partie par les règlementations régressives, en partie par le corporatisme de certaines professions soucieuses de protéger leurs privilèges (les médecins notamment). Autrement, les gens qui envoient des CV pour des postes affichés et qui s’appellent Mohamed, Fatima ou Mamadou, passent souvent en bas de la pile. Finalement, il y a la vague plus récente de conflictualités promue avec le nationalisme identitaire, exacerbé par les médias poubelles et quelques politiciens en mal de popularité, comme cela a été le cas avec le Parti québécois et sa « charte des valeurs ». Un sérieux malaise a été causé par le caractère islamophobe de ce débat comme si les Maghrébins et surtout les Maghrébines représentaient une « menace ». La comparaison avec la discrimination envers les Juifs que j’ai connue dans le Québec des années 1950-60 me semble valable, même si les conditions sont différentes.

Que faire ?

Aujourd’hui, les discriminations systémiques continuent d’empoisonner l’atmosphère. À part quelques médiocres délirants comme Amir Attaran, on ne peut comparer le Québec et l’Alabama, même si de sérieux défis existent et nous confrontent. Inspirés par des interventions courageuses de la Ligue des droits et libertés, des mouvements sociaux, des syndicats et d’autres organismes se sont attelés à la tâche. Plusieurs priorités sont mises de l’avant :

• Un processus de reconnaissance clair, transparent et généreux des statuts et des compétences. Est-ce normal de faire attendre les gens 2 ou 3 ans avant de les accueillir en tant qu’immigrants reçus ? Est-ce normal de jouer au yoyo avec les Haïtiens en fonction des tractations entre l’État fédéral et la dictature à Port-au-Prince ?

• Il faut entreprendre des actions positives pour améliorer les conditions de vie des populations immigrantes dont on observe la précarité, notamment avec la COVID, à Montréal-Nord, Côte-des-Neiges, Parc-Extension et ailleurs. Ce ne sont pas quelques microprojets qui vont régler le problème de logement, de travail, de sécurité.

• Faut-il dompter les organes de coercition qui pratiquent le profilage dit racial pour les sanctionner quand cela est nécessaire et les contrôler en leur enlevant le pouvoir de s’autoréguler eux-mêmes ?

• L’accueil des immigrants et des réfugiés ne peut pas être, comme le dit François Legault, une « occasion d’affaires ». Certes, il faut chercher à une intégration harmonieuse et surtout éviter la création de ghettos ethniques, mais plutôt que de refouler des gens qui ont besoin de se réinstaller, il faut mettre à leur disposition de réels moyens de trouver leur place.

Tout cela et bien d’autres choses encore ne se feront pas avec les démagogues en place à Ottawa et à Québec. Sans une action politique concertée, il y aura très peu de progrès, et pire encore, des régressions dans une atmosphère malsaine chargée de haine et de mépris.

Adelante Québec Solidaire

Cette action politique ne peut que venir des mouvements sociaux et de leurs alliés politiques comme Québec solidaire. Elle se fait, mais elle pourrait aller plus loin encore.

• Tout un chacun doit s’efforcer de faire une plus grande place aux populations discriminées. Je ne pense pas que cela puisse se régler par de petites règles ni par des quotas. Elle doit se faire « naturellement ». Chaque fois qu’un organisme social élit son conseil d’administration et embauche des employé-es, il doit réfléchir à favoriser une plus grande intégration. Aussi, on peut et on doit travailler davantage avec les organismes implantés dans les communautés immigrantes. Par exemple, la Maison d’Haïti et d’autres font un travail formidable d’appui et de plaidoyer.

• Il y a des actes de « barbarie » qu’il faut combattre tout de suite et fortement : les violations de droits (le profilage, les violences policières, les actes et déclarations méprisants et insultants, les expulsions de logements, etc.)

• On doit accorder plus d’importance aux luttes et revendications des populations migrantes. Elles sont souvent dans des sites d’emplois précaires, à bas salaires, non-syndiquées. Pour autant, des organismes comme le Centre des travailleurs et travailleuses immigrant-es nous montrent la voie, en impulsant des campagnes reprises par les syndicats.

• La solidarité internationale avec les peuples en lutte fait partie totalement de cette posture proactive. Comment se battre pour les droits des Haïtiens et des Colombiens pendant que des peuples en lutte se révoltent contre les dictatures appuyées par l’État canadien ? On le sait, les gens n’immigrent pas quand ils peuvent vivre dans leur pays.

D’un point de vue de gauche, l’immigration massive est une conséquence de l’impérialisme et du capitalisme globalisé. Le racisme et la discrimination, au-delà de comportements aberrants et de préjugés, sont un sous-produit d’un système qui carbure à l’exploitation et la domination. Lutter contre la discrimination n’est donc pas fondamentalement une posture « morale » (même si elle comporte des éléments de moralité humaine essentiels). C’est une lutte politique, dans le cadre d’un système qui exclut, hiérarchise et organise et dans ce sens, cette lutte doit être intersectionnelle et intergénérationnelle. C’est un beau et grand chantier pour Québec Solidaire qui doit retenir toute notre attention.

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