Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Blogues

Le blogue de Pierre Beaudet

Le nouveau temps des bouffons

Pierre Falardeau avait filmé sous ce titre un pamphlet sulfureux où on voyait une infiniment triste élite montréalaise s’empiffrer : PDG crasseux, ambassadeurs obséquieux, journalistes véreux, politiciens les poches pleines. Des vrais et des faux riches contents d’eux-mêmes, laids à mourir. On aurait pu penser que c’était du théâtre, à mi-chemin entre Chaplin et Fellini. Et bien non, c’était du « vrai ». À l’époque, ce petit film avait circulé presque clandestinement. Falardeau avec le langage ordurier qu’il a utilisé toute sa vie ne les manquait pas. Cela fait maintenant 23 ans. C’était hier. C’est aujourd’hui. Vous pouvez le regarder encore (sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=jSfC9hc4ZfI).

Et maintenant, la bouffonnerie atteint des nouveaux sommets, probablement plus encore dans la sphère politique. En comparaison, les anciennes élites de l’après-guerre avaient un certain panache. C’était probablement parce que la reconstruction du capitalisme, sous l’égide du keynésianisme et de la social-démocratie exigeait des hommes (et rarement des femmes) de tête : De Gaulle, Roosevelt, Mitterrand, Willy Brandt. Plus près de chez nous, on a eu les hommes de la révolution tranquille, René Lévesque, Paul-Gérin-Lajoie et d’autres. Ce n’étaient pas des clowns. Ils croyaient sincèrement aux réformes qu’ils pensaient nécessaire pour à la fois renflouer le système et répondre aux aspirations populaires : c’était le « grand compromis ». Ils pensaient que leur rôle de « grand commis » de l’État devait se faire avec une certaine dignité.
 
Ce n’est plus le même jeu avec le capitalisme ratatiné sous la forme néolibérale. Le temps des bouffons est revenu, sous différentes formes.
 
Il y d’abord les bouffons « vulgaires et méchants » : leur méchanceté est explicite. Pensons à George W. Bush, à Harper, à Berlusconi. Aujourd’hui on a le premier ministre indien, un dangereux personnage du nom de Narendra Modi, aussi, le hongrois Viktor Orbán. Demain cela pourrait être Ted Cruz aux États-Unis. Ce sont des gens dont le projet est d’humilier, de faire mal et d’aller jusqu’au bout dans une logique d’oppression. Cela va avec des niveaux inédits de mensonges, de manipulations et d’utilisations malveillantes de l’État et au-delà de cela, des guerres « sans fin », comme l’avait prédit George W. Ces bouffons commettent souvent la même erreur de braquer contre eux trop de monde en même temps.
 
Il y a ensuite les bouffons « gestionnaires » et austéritaires. En m’entendant, je suis sûr que vous pensez tout de suite à Couillard. On pourrait ajouter le duo Obama-Clinton, Angela Merkel, Xi Jinping, sans compter des sociaux-libéraux comme François Hollande et Tony Blair. Ces bouffons se présentent comme des gens sérieux, mesurés. Ils n’ont aucun projet sinon de protéger le 1% en disant aux 99% qu’il faut se « serrer la ceinture ». Ils sont secondés par une armée de comptables et de diplômés des HEC qui nous mentent à la longueur de jour dans les médias-mercenaires. Comme leurs collègues vulgaires, ils sont prêts à tout pour préserver l’Empire, mais ils ne vont pas s’en vanter pour autant.
 
Je qualifierais le troisième groupe bouffon d’« aventuriers ». Ce sont quelquefois des enfants un peu illégitimes du 1%, qui veulent monter en haut trop vite. Au Québec, on a plusieurs de ces « aventuriers » qui aspirent à remplacer les autres bouffons en se présentant comme des hommes du changement. Pensez-y un peu, et vous allez tomber sur deux personnes : un certain Lucien par exemple, ou encore, un certain Pierre-Karl… Un peu plus loin, on va trouver Donald Trump, Marine Le Pen et d’autres, qui ont, temporairement au moins, « réussi », tels Vladimir Poutine et le mexicain Enrique Peña Nieto.
 
Cela serait une erreur d’être nostalgique du temps où il y avait autre chose que des bouffons. Car, cette époque est révolue. Aussi, on ne doit pas avoir d’illusion. Confronter les bouffons dans leur diversité et leur hybridité ne sera pas une tâche facile, cela implique de bousculer le système qui les produit, et pas seulement de les remplacer par des individualités plus respectables.
 
Le capitalisme d’aujourd’hui répand sa crasse nauséabonde. Il doit pour survivre aller vers toutes sortes d’excentricités, car les fondements mêmes du système sont pourris. Il n’est plus réparable. Le rôle des bouffons, quel qu’ils soient, n’est plus que, par la brutalité, les assauts contre les classes populaires, le mensonge et la corruption, de cacher les trous, même pas de les boucher.
 
Cela n’est pas la première fois que cela se produit dans l’histoire. Par exemple, durant la première moitié du vingtième siècle, les bouffons ont mené le monde à la catastrophe. Pour autant, nos ancêtres, qui ont passé un mauvais quart d’heure, ont résisté. Ils se sont entêtés et ils sont finalement parvenus à passer à travers, contre le capitalisme sauvage, contre le fascisme, contre l’occupation coloniale. On peut s’en inspirer.

Sur le même thème : Blogues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...