Édition du 23 avril 2024

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Mesures d’assouplissements dans les universités et les cégeps du Québec

« Briser l’isolement des étudiantEs » ou « Exposer inconsciemment des vies humaines à un virus létal » ?

La ministre de l’Enseignement supérieur, madame Danielle McCann, a précisé le 4 février 2021, son plan visant à accroître le nombre d’activités en présentiel dans les universités et les collèges du Québec, notamment dans le but de « briser l’isolement » pour les étudiantes et les étudiants. Mais, qu’en est-il du personnel qui œuvre dans ces établissements ? Qu’est-ce qui doit primer dans le choix des politiques publiques à mettre en oeuvre en ce moment ? « Briser l’isolement des étudiantEs » ? Mettre des vies à risque ? Ou imposer des mesures pour sauver des vies et réduire la pression sur le personnel du réseau de la santé ?

Nous convenons qu’il n’est pas vraiment sexy de confiner des personnes à domicile et de leur imposer un couvre-feu et autres mesures restrictives. Que nous soyons en 2021 ou non, la science n’a pas encore trouvé le moyen d’annihiler ce terrifiant et mortel virus. Il faut donc agir en conséquence, que cela tombe sur les nerfs ou non de certaines personnes qui piaffent d’impatience, parce que confinées à domicile, depuis trop longtemps, à leurs yeux. Il n’y a pas lieu de baisser la garde ou de faire une concession devant les impatientEs. C’est le « principe de précaution » qui doit être décisif dans l’orientation arrêtée ! C’est la protection de la vie de tous les êtres humains, ainsi que de toutes les personnes qui ont un lien d’étude ou d’emploi dans un établissement d’enseignement supérieur, qui doivent être protégéEs. C’est la vie et la santé qui doivent être posées en tête de liste dans la prise de décision.

L’individu, la société et la responsabilité…

Autrement dit, être responsable individuellement suppose aussi d’être responsable socialement, du moins selon un certain point de vue. Mais cette assertion subit des assauts depuis les débuts de la crise sanitaire, puisque cette idéalité semble être un mirage par rapport à la réalité. Dans le discours de la ministre McCann s’expose une confiance en la bonne tenue des étudiantEs, pour ne pas dire en la responsabilisation individuelle de ces jeunes. Dans ce contexte, comme dans d’autres, il s’agit pourtant d’une notion néolibérale plutôt que sociale et souvent associée au désengagement de l’État, dans le but de laisser cours aux règles du marché. Or, nous sommes présentement en situation extraordinaire n’ayant que faire des lois économiques.

Vivre dans un régime qui guide notre destinée signifie d’agir pour le maintenir coûte que coûte, et toutes actions effectuées dans le but de vaincre la pandémie tiennent compte aussi d’une volonté de soutenir le régime. En ce sens, offrir l’opportunité aux jeunes de renouer pour peu de temps avec les relations sociales en mode présentiel dans les universités et les cégeps s’accompagne d’un intérêt corrélatif : non seulement ils pourront revenir dans les établissements d’enseignement, pour consommer des cours et/ou utiliser des services, mais parcourront aussi les rues et consommeront dans les alentours, compte tenu du fait que cette permission survient en même temps que l’ouverture des commerces. Aussi bien dire qu’une logique marchande ou néolibérale s’expose, bien que l’accent soit mis sur la santé mentale des « clientEs » des services d’enseignement post-secondaires et futurEs travailleurEUSEs de demain.

Si le marché obtient ainsi un coup de main, alors tout va pour le mieux dans notre société et son régime, puisque les actions individuelles aideront à les soutenir ; responsabilité individuelle rimant donc avec responsabilité sociale… En revanche, il faudrait plutôt corriger le tir et affirmer ceci : responsabilité individuelle rimant avec responsabilité économique. Cela dit, notre régime est aujourd’hui attaqué, justement parce que tous les individus le sont à cause d’un virus, voire un ennemi de guerre. Et en cas de guerre, il faut s’unir pour mieux combattre, ce qui signifie une responsabilisation sociale, voire une conscience de l’Autre.

Quoi ajouter de plus, sinon de considérer notre régime tel un système économique productiviste plus soucieux de l’accumulation du capital que d’un équilibre bénéfique entre les individus, la société et la nature. Selon nous, c’est la préservation du futur qui devrait constituer exclusivement une exigence de croissance et d’accumulation de richesses. Et c’est ainsi que maintenant, d’abus en abus, il faut réellement commencer à envisager de mettre un terme à ce paradigme en vertu duquel « L’homme doit se comporter comme maître et possesseur de la nature » (René Descartes). Si nous avons été à ce point "bons" pour faire rouler cette machine économique, nous devons tout autant être d’accord pour entreprendre ensemble un virage drastique et évaluer la manière dont nous pouvons profiter de notre existence et de notre liberté conférée en commun. Nous vivons un moment historique terriblement dramatique. Les mesures restrictives visent à rendre plus complexes les rassemblements égoïstes, justement pour rappeler que nous avons un devoir envers nos semblables. La liberté implique la santé et notre société est présentement malade. À nous de faire des efforts pour la guérir, en acceptant certaines contraintes. En définitive, les limitations à notre liberté sont un moindre mal ; en temps de crise, il faut savoir mettre de côté nos caprices, relever nos manches et faire de notre mieux pour changer certaines choses afin d’entrevoir l’avenir avec cette prise de conscience nécessaire, c’est-à-dire sur la fragilité de la vie si précieuse qui mérite des sacrifices pour être préservée. Voilà comment, selon nous, la responsabilité individuelle rime avec la responsabilité sociale.

Il faut être très prudentE avant de se lancer dans des mesures d’assouplissements. D’autant plus, que pour le moment, l’incertitude règne au sujet de l’approvisionnement du vaccin et le nombre de personnes vaccinées ne permet pas de déclarer la totalité du Québec « Zone verte ». Le Québec est plutôt en Zone rouge et en Zone orange. La prudence est de mise. Il faut se montrer inlassable et attendre que plus de 70 % de la population soit vaccinée avant d’envisager l’amorce d’un véritable retour à la vie normale.

Quelques observations conclusives avant de dégager une morale de tout ceci

Rappelons en terminant que les conséquences du virus, pour la population, peuvent être irréversibles. Pour l’affronter, la population doit porter un couvre-visage, se laver fréquemment les mains et pratiquer la distanciation physique et sociale, surtout dans ces lieux où l’activité humaine est dense, comme cela est le cas dans les pavillons des universités et des cégeps. Nous sommes maintenant rendus à la deuxième vague. Le virus est variant. D’autres vagues, au cours des prochains mois, surgiront. Se pourrait-il que le « relâchement » de la période du temps des fêtes soit à l’origine de cette deuxième vague que nous traversons présentement ? Si oui, il nous semble que le moment est vraiment mal choisi pour baisser la garde et d’assouplir les mesures restrictives et de contrôle de la population pour les universités et les cégeps. Ce n’est vraiment pas le temps de faire des concessions populaires. La décision d’autoriser un retour de la fréquentation des établissements post-secondaires semble trouver, en partie, sa justification dans un sondage d’opinion. Shocking ! Vraiment Shocking, comme dirait l’Autre.

https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/entrevue/342224/enseignement-superieur-covid-etude-presentiel. Consulté le 5 février 2021.

Ailleurs, certains gouvernements accompagnent leurs mesures d’assouplissement d’un solide investissement pour engager des gens, doubler le personnel en place et fournir le matériel de protection approprié. L’annonce de la ministre McCann s’accompagne, pour le moment, d’aucune somme additionnelle. Normale probablement dans une société qui ne rémunère pas son personnel de l’éducation à la hauteur de la valeur de sa prestation de travail. C’est ce que cela donne quand le travail salarié est traité comme une marchandise…

Morale de cette histoire

L’asticot regarde la chauve-souris et dit : « Quel animal bête » !

La chauve-souris passe devant son habitacle naturel, dévasté par l’activité humaine de déboisement et se dit : « L’humain, quel animal bête » !

Yvan Perrier

Guylain Bernier

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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