Édition du 30 avril 2024

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Québec

Michael Sabia à la tête d'Hydro-Québec

Le loup dans la bergerie

Le premier août, Michael Sabia est entré en poste à la direction d’Hydro-Québec. Grand mandarin depuis longtemps, l’homme est passé maître dans l’art de passer sous le radar tout en étant intraitable voire impitoyable dans ses actions.

Martine Ouellet
Germain Dallaire

Sa feuille de route est longue et très explicite. Pas besoin de fouiller dans les poubelles. En ce qui le concerne, on aurait envie de dire : « What you see is what you get » et franchement, l’assurance qu’il a donné d’être capable de résister aux commandes politiques provoque un sourire narquois tant l’homme correspond au profil CAQ et même un peu plus.

Michael Sabia est spécialisé dans le va et vient entre les pouvoirs publics et semi-publics mais toujours dans l’optique de favoriser les intérêts du grand capital. Dès le début de sa carrière dans les années 80, on le trouve au ministère fédéral des finances où il a travaillé à la mise en place de la TPS, l’outil par excellence des néo-libéraux pour attaquer l’impôt et son caractère progressif. Les décennies qui ont suivi ont vu la multiplication des baisses d’impôt en même temps qu’une diminution du nombre de paliers d’imposition.

Privatiser des sociétés d’État est le nec plus ultra des néo-libéraux. Michael Sabia s’est fait les dents en privatisant le CN tel que décidé par Jean Chrétien (dont le gendre est André Desmarais). Il était un des maîtres d’œuvres importants. Depuis, le CN a réalisé des milliards en profit tout en coupant dans l’entretien ce qui fait que ce réseau de transport par train en est encore au Moyen Âge alors qu’il devrait être à l’avant-garde dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Dans la première décennie des années 2000, on le retrouve chez Bell où il se distingue par des coupures de poste par centaines avant de tenter une privatisation\acquisition pour le fond Teacher grandement critiquée par l’ensemble des actionnaires et qui a avorté à cause de la crise de 2008. Suite à cette crise, il s’est retrouvé à la direction de la Caisse de dépôts et de placements qui venait de connaître une année noire à l’image de l’ensemble du secteur financier avec la crise des subprimes. Après la pluie vient le beau temps et comme partout ailleurs les rendements de la Caisse se sont redressés suite à son arrivée. Toujours serviteur zélé de la mondialisation de la finance, il a fait passer la part d’investissements étrangers de la Caisse de 36% à 64% entre 2008 et 2019.

Son peu d’intérêt pour le développement de l’économie québécoise, on a pu le constater lors de la vente de Rona à Lowes. Comme dirigeant de la Caisse, il avait la capacité de bloquer vente. Fidèle à ses principes favorisant la circulation libre du capital et la mondialisation, il l’a au contraire encouragé. Regardez aujourd’hui où en est Rona. À la dérive depuis son achat par Lowes, ce quincailler a été revendu pour une fraction du prix d’achat et est aujourd’hui sur la voie du démantèlement.

Son intervention s’est raffinée avec la mise en chantier du REM. Il a réussi l’exploit de privatiser un service efficace sans qu’il n’y paraisse trop en instrumentalisant la Caisse. Le REM est venu cannibaliser le service de train de banlieue vers Rigaud et démanteler celui vers Deux Montagnes tout en s’accaparant le tunnel Mont-Royal portant un préjudice important à celui vers Mascouche. Le REM servira donc de vache à lait pour le privé, le tout au détriment des consommateurs qui devront payer plus cher étant donné que c’est privé. C’est une privatisation pure et simple d’un vaste réseau de transport public autant au niveau de son opération que de son financement. Une partie du financement est assuré par la Banque d’Infrastructure Canadienne (BIC) qui sert d’intermédiaire entre le maître d’œuvre et les grands fonds d’investissements tels Black Roch (https://lautjournal.info/20230622/michael-sabia-lhomme-des-partenariats-public-prive), ces derniers étant assurés d’un rendement de 8% tout comme la Caisse. La BIC et CPDQ infra c’est ça, un rendement avantageux garanti pour le privé et les risques totalement assumés par l’ensemble de la population. Et cela sans parler du surcoût à long terme associé au fait d’être locataire plutôt que propriétaire. C’est ainsi que l’institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a calculé que sur la durée de l’entente (99 ans), le gouvernement paierait trois fois l’investissement de la Caisse. Voilà résumé le génie financier de Michael Sabia : socialisation des risques et privatisation des profits ou l’État vache à lait du grand capital. Voilà où mène la démonisation du déficit public, une démonisation sans distinction entre la mauvaise dette et la bonne. La première étant celle qui sert à payer les
dépenses courantes et la deuxième celle qui sert à bâtir des infrastructures. Bâti et financé par l’État, un réseau comme le REM coûterait plusieurs fois moins cher. Tout ce que nous payons en plus sert à enrichir le grand capital.

Consécration ultime s’il en est, c’est probablement cette grande créativité dans l’invention de coups fourrés profitables au grand capital qui a valu à Michael Sabia d’être invité en 2018 et 2019 aux délibérations du groupe de Bilderberg. Ce groupe regroupant le gratin des grands agents du capital se réunit annuellement dans le plus grand secret question de raffiner les moyens de faire fructifier le capital. Un groupe dont l’influence sur plusieurs gouvernements occidentaux est évidente.

M. Sabia a de la suite dans les idées puisqu’après son long règne à la Caisse, on le retrouve au CA de la BIC. Parallèlement, ce qui en dit long sur ses affinités idéologiques, il dirige la Munk School of Global Affairs and Public Policies, un institut affilié à l’université de Toronto et créé par Peter Munk, sulfureux magnat de mines et propriétaire de Barrick Gold, la plus grande entreprise aurifère du monde.

Aujourd’hui décédé, Munk était un grand admirateur de Pinochet et s’est même permis de dire que le viol collectif faisait partie des habitudes culturelles des habitants de Papouasie Nouvelle Guinée alors que les forces de sécurité de sa compagnie étaient soupçonnées d’abus.

Juste avant sa nomination à la tête d’Hydro-Québec, on retrouve Michael Sabia au Ministère
canadien des finances où il concocte des crédits d’impôt de 15 et 30% pour les producteurs
d’énergie renouvelable. De la suite dans les idées vous dites ? Tout le préparait à sa nomination à la tête d’Hydro-Québec de façon à réaliser le mandat de la CAQ : poursuivre et accentuer la privatisation tranquille d’Hydro-Québec.

Il est important de le rappeler, cette privatisation faisait partie du programme original de la
CAQ. Aujourd’hui, on s’en défend. On a compris qu’on ne pouvait aborder cette question de
front compte tenu de l’image de marque de la société d’État . On s’y prend donc progressivement et sournoisement en poursuivant ce qui a débuté sous le règne de Jean Charest. Le développement massif de l’éolien par le privé va dans ce sens. Pour engraisser les p’tits copains, on fera payer le consommateur d’électricité, le tout sur le dos large d’Hydro-Québec. En entrant le loup dans la bergerie, on ne manquera pas également de couler des informations aux pigeons voyageurs sur la mauvaise organisation tout en ciblant naturellement les syndicats. Tout ça sur fond de culpabilisation du petit consommateur qui ne part pas son lave-vaiselle à 2 hres du matin. Non, il n’y a rien à attendre de l’arrivée de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec, que des mauvaises nouvelles.

Le réseau affairiste des Desmarais
Michael Sabia, un ami de longue date des Desmarais

Il l’a affirmé publiquement pour justifier son séjour de trois jours à Sagard à l’été 2011 alors qu’il était PDG de la Caisse de dépôt et placement en prétendant ne pas parler affaire avec les invités richissimes des Desmarais…

Cette amitié permettrait d’expliquer l’entêtement de la Caisse sous Sabia à investir massivement dans le pétrole bitumineux, alors que les Desmarais y étaient très actifs avec Total et Enbridge. Questionné en commission parlementaire afin de savoir s’il accepterait que la Caisse se retire du pétrole bitumineux en lien avec la crise climatique, retrait d’autant plus nécessaire que ses investissements pétroliers dopaient le dollar canadien nuisant grandement aux exportations du Québec. Il est resté inflexible.

Cette amitié pourrait également expliquer l’intérêt de la Caisse pour GazMétro/Énergir et les différents allers-retours avec des compagnies liées à PowerCo. (GDF Suez, Groupe Bruxelle-Lambert, Noverco, Enbridge). Un intérêt autrement inexplicable dans un contexte de changements climatiques. Les Desmarais ont d’ailleurs vendu progressivement toutes leurs participations dans Énergir au « profit » principalement de la Caisse alors que le marché de la distribution du gaz au Québec n’avait plus d’avenir avec la nécessité de diminuer drastiquement, voire d’interdire, le gaz pour diminuer nos GES. Ces deux exemples ne sont que la pointe de l’iceberg des convergences questionnables de la Caisse et de Power.

C’est suite à la démission d’Henri-Paul Rousseau qui s’est ensuite fait recruter par l’empire Power, que Michael Sabia a été nommé par Charest à la direction de la Caisse de dépôts et de placements. Il ne s’est pas gêné pour détourner la Caisse de son rôle afin d’en faire la vache à lait du grand capital en investissant principalement à l’étranger.

À la fin de son mandat, de façon très surprenante et même choquante, Pauline Marois alors première ministre du Québec, a choisi de le renommer pour un autre 5 ans reconduisant ainsi à la tête de la plus grande institution financière du Québec un individu aussi ouvertement au service des grandes corporations contre le bien commun et de surcroît fédéraliste notoire qui n’hésiterait pas une seconde à utiliser sa position pour saboter l’indépendance du Québec.

Hydro-Québec le fantasme pas si secret des Desmarais

L’Institut économique de Montréal, un think tank de droite, où les Desmarais sont très présents, fait la promotion de façon épisodique en formule ballon d’essais sur les avantages prétendus de la privatisation d’Hydro-Québec question de tester l’humeur de l’opinion publique.

En nommant Michael Sabia à la tête du navire amiral du Québec, la CAQ est cohérente avec sa position de départ visant la privatisation d’Hydro-Québec. Elle sait très bien ce qu’elle fait. Le loup saura très bien se régaler et partager son festin avec ses copains requins. Tout problème de la part d’Hydro servira de prétexte pour regarder du côté du privé plutôt que d’opérer des améliorations internes.

C’est un secret de polichinelle que les Desmarais ont les yeux sur Hydro-Québec depuis des années. Les citoyens devront avoir des yeux tout le tour de la tête s’ils veulent déjouer les ruses dont le nouveau patron d’Hydro ne manquera pas d’user au profit de ses amis cupides.

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