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Négociation dans les secteurs public et parapublic

La CSQ lance un pavé dans la mare qui contraste nettement avec la lecture ministérielle pessimiste et dramatique sur l’état des finances publiques…


À chaque ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic il est régulièrement question de la « Capacité de payer » des contribuables. Les gouvernements qui se sont succédé à Québec, depuis au moins 1979, nous chantent le même refrain.

Ce fut d’abord Jacques Parizeau qui, devant la hausse du prix du baril de pétrole, s’est mis à dire que l’argent qui s’en allait vers les coffres des pays producteurs de l’OPEP n’était plus disponible pour protéger le pouvoir d’achat des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic[1]. Ensuite, en 1982, ce fut la découverte d’un trou de 800 millions de dollars dans les finances publiques, voire même, en 2003, de 4 milliards de dollars (montant jamais véritablement prouvé), qui ont eu pour effet de fausser et de miner la dynamique des négociations dans ces deux secteurs pourtant vitaux de notre vie en société. Bref, quand vient le temps des négociations dans les secteurs public et parapublic, le réflexe premier des dirigeantEs politiques consiste à dresser un portrait sombre et apocalyptique de l’état des finances publiques. Le but de l’opération vise l’atteinte de la fin suivante : accorder, au total, des hausses monétaires qui depuis les années quatre-vingt-dix ne dépassent jamais (à une exception près) 2% d’augmentation par année. Fatalité inévitable ou choix politique gouvernemental indécent et contestable ? La CSQ vient de publier une étude fort intéressante - que je vous encourage fortement à lire - qui nous invite à ne pas céder à la lecture catastrophique d’un ministre des Finances qui n’a pas pour objectif la protection du pouvoir d’achat des 560 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à 75% des femmes.

https://www.lacsq.org/actualites/toutes-les-actualites/nouvelle/news/negociations-du-secteur-public-face-a-la-crise-des-conditions-de-travail-le-quebec-a-les-moyens-d/. Consulté le 11 novembre 2020.

http://www.lequebecalesmoyens.lacsq.org/

13 fiches qui portent sur quatre thèmes

Un mot au sujet de cette étude, elle comporte treize fiches réparties en quatre thématiques (des revendications nécessaires ; une économie qui résiste à la crise ; des finances publiques robustes et la « capacité de payer » présentée comme un authentique « choix politique »). Vous aurez compris qu’il s’agit ici d’un document qui s’attaque aux fondements mêmes de certains mythes économiques persistants à propos des services publics, de l’économie et de la capacité de payer de l’État.

Tout au long de ma lecture de cette brochure, je me suis posé les grandes questions suivantes : À quoi doivent servir les taxes et les impôts ? À payer le coût des services publics et les programmes d’emprunts pour les projets d’infrastructure ou à baisser les impôts et à accumuler un pactole, dans le Fonds des générations, pour permettre au gouvernement d’effectuer des emprunts à un faible taux d’intérêt ?

Une situation statistique peu enviable

Depuis le milieu des années quatre-vingt, d’abord avec l’Institut de recherche et d’information sur la rémunération et ensuite avec l’Institut de la statistique du Québec, nous avons droit à un portrait statistique de la rémunération globale par secteurs d’activités économiques (privé et public). Depuis des décennies, autour du 30 novembre, nous apprenons que la rémunération des employéEs syndiquéEs de l’administration québécoise accuse un retard gênant face à la plupart des autres secteurs. Bref, la condition salariale n’a rien d’enviable chez celles et ceux que l’État-patron présente comme étant des « gras dur ». En lisant l’étude de la CSQ vous vous direz que le gouvernement a fait des choix qui n’ont pas été, dans le passé, sans conséquence tristes pour ses salariéEs syndiquéEs. Ce sont surtout elles et eux qui ont toujours été mises et mis d’abord à contribution pour accélérer ou réaliser le sacro-saint dogme de l’équilibre budgétaire.

Conclusion : Un « Boy’s club » à la base d’un État phallocrate

Il faudrait peut-être un jour que, du côté du gouvernement en général et du côté du Conseil du trésor en particulier, quelqu’unE se dise : dans une société (capitaliste ou non) le travail, ça se paie… Mais d’ici là, rappelez-vous que les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic sont des personnes qui n’ont qu’une seule vie à vivre. Elles travaillent en échange d’un salaire qui ne se situe pas à la hauteur de sa valeur réelle. Cette situation injuste et inéquitable a un nom en science économique : « EXPLOITATION ». Rappelez-vous aussi que ce sont 560 000 salariéEs syndiquéEs qui sont des femmes à 75% que le gouvernement traite ainsi. Comment qualifier une telle politique de rémunération en provenance d’un gouvernement que Martine Delvaux associe à un Boy’s club ?

Je me souviens d’avoir entendu un jour une femme parler d’un « État phallocrate ». Alors, posons la question suivante : se peut-il que nous soyons ici en face d’une politique de rémunération salariale de type machiste de la part d’un État phallocrate[2] ? Il me semble qu’il appartient au gouvernement du Québec de nous expliquer pourquoi ses propres salariéEs syndiquéEs sont annuellement identifiéEs comme recevant un salaire moins élevé que celui qui est versé aux personnes qui occupent des postes similaires dans les grandes entreprises syndiquéEs, dans la fonction publique fédérale et dans le secteur municipal. Il me semble qu’il revient aux députéEs de l’opposition de poser des questions à ce sujet lors de la période des questions à l’Assemblée nationale.

Yvan Perrier

12 novembre 2020

17 h.

yvan_perrier@hotmail.com

Annexe 1
Dans une dissidence solidement argumentée, la juge Abella de la Cour suprême du Canada a indiqué la voie à emprunter pour permettre aux salariéEs des secteurs public et parapublic d’obtenir une rémunération juste et équitable. Il me semble que ces paragraphes sont à approfondir du côté des négociatrices et des négociateurs toutes parties confondues :
[65]
[…]
Dans Re British Columbia Railway Co. and General Truck Drivers and Helpers Union, Local No. 31 (non publiée, le 1er juin 1976), le président Owen Shime a exposé ce que l’on considère maintenant comme les six critères pour évaluer l’équité des règlements salariaux des employés du secteur public régis par des conventions collectives. La liste des considérations qu’il a dressée, résumée dans Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re), [2005] N.B.L.E.B.D. No. 60 (QL), comprenait les critères suivants qui sont particulièrement pertinents en l’espèce :
[traduction] [l]es employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [. . .] [t]out compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres. S’il est nécessaire d’économiser pour atténuer le fardeau fiscal, il faudrait le faire en réduisant certains éléments du service offert, plutôt qu’en réduisant les salaires et les conditions de travail.
[. . .]
. . . Il faut prendre en compte les taux de rémunération des travailleurs qui accomplissent les tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Quelles comparaisons peuvent être faites avec ce qui existe dans d’autres secteurs de l’économie ? [. . .] [q]uelles tendances peut‑on observer dans des emplois semblables dans les entreprises du secteur privé ? [par. 26]

La juge Abella

Robert Meredith et Brian Roach c. Procureur général du Canada. [2015] 1 R.C.S., p. 65 et 67.

1. Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, ministre du Revenu et président du Conseil du trésor, avait avoué avoir été tenté par un gel des salaires pour l’année 1979. Imaginez la conséquence d’une telle mesure auprès des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublique et ce une année avant la tenue du référendum de 1980. Cela aurait eu un effet nettement démobilisateur sur les troupes syndicales sympathiques à la cause de la souveraineté-association. Ce qui apparaissait comme une éventualité hypothétique en 1979, se permutera en coupure drastique des salaires dans les secteurs public et parapublic trois années plus tard. L’année parlementaire de 1982 s’est terminée par l’imposition autoritaire du projet de loi 105 qui prévoyait une coupure de 19,5% pour les trois premiers mois de l’année 1983, accompagné, pour la première année d’application du décret, d’une augmentation salariale de 0% et d’un gel universel d’avancement d’échelon. Ajoutons que le projet de loi 68 (sanctionné en juin 1982) avait pour effet de modifier unilatéralement certaines dispositions du régime de retraite des employéEs du gouvernement et des organismes publics au niveau du partage des coûts du régime et entraînait, à partir de 1983, une diminution automatique de la future rente de retraite face à l’inflation. Cet odieux et inique projet de loi avait été piloté par le nouveau président du Conseil du trésor de l’époque, Yves Bérubé.

2. Phallocratie : du grec phallos (« pénis en érection ») et cratos (« pouvoir »). Ce mot désigne la domination sociale, culturelle et symbolique exercée par les hommes sur les femmes. Par extension, il est également utilisé pour désigner une structure sociale misogyne et patriarcale. N’est-ce pas une structure sociale misogyne et patriarcale que des femmes endurent dans les secteurs public et parapublic ?

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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