Édition du 8 octobre 2024

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Canada

Où est le pipeline de Trudeau pour l’eau vers les Premières nations ?

Un nouveau rapport de la Vérificatrice générale du Canada révèle que le gouvernement actuel n’a pas tenu ses propres promesses politiques. Le chef Hector Shorting expose l’eau contaminée de sa collectivité à l’extérieur de sa maison de la Première nation de Little Saskatchewan. Photo gracieuseté de la Première nation de Little Saskatchewan.

26 février 2021 | tiré du site de Canadian dimension

En 1995, Santé Canada et Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) ont constaté que 25 p. 100 des systèmes d’approvisionnement en eau des Premières nations présentaient des risques pour la santé et la sécurité. En 2001, AINC a constaté un « risque important » pour la qualité et la sécurité de l’eau dans 75 p. 100 des systèmes d’approvisionnement en eau des Premières nations. En 2011, AINC a signalé au vérificateur général que plus de 50 p. 100 des systèmes d’approvisionnement en eau des Premières nations représentaient un risque important pour les membres de la collectivité.

Nous voici de nouveau en 2021, avec un autre rapport de la Vérificatrice générale (VG) qui constate que 43 p. 100 de tous les systèmes d’approvisionnement en eau dans les réserves sont à risque moyen ou élevé , soit le même niveau de risque qu’en 2014. En d’autres termes, il ne s’est pas amélioré.

Le rôle de la vérificatrice générale est important. Il vise à fournir des renseignements objectifs sur la gestion des ressources et de ses programmes et services par le gouvernement. La VG fournit également des conseils sous forme de recommandations sur la meilleure façon de remédier à toute lacune. L’objectif du plus récent rapport était de déterminer si Services autochtones Canada (anciennement AINC) fournit un soutien adéquat aux Premières nations pour s’assurer qu’elles ont accès à de l’eau potable. La réponse était un « non » clair :

Dans l’ensemble, Services autochtones Canada n’a pas fourni le soutien nécessaire pour s’assurer que les collectivités des Premières nations ont un accès continu à l’eau potable. Les avis sur l’eau potable sont demeurés constants pour de nombreuses collectivités, près de la moitié des avis existants ayant été mis en place pendant plus d’une décennie.

Mais le rapport en révèle beaucoup plus sur le fait que le gouvernement actuel n’a pas tenu ses propres promesses politiques — il révèle également certaines des causes profondes des avis de longue date sur l’eau potable des Premières nations partout au pays.

Par exemple, Service aux Autochtones Canada (SAC) n’a pas modifié sa formule de financement pour les besoins d’exploitation et d’entretien des systèmes d’approvisionnement en eau des Premières nations depuis plus de 30 ans. Cela signifie que la formule ne tient pas compte des nouvelles technologies ou des coûts réels d’exploitation et d’entretien des systèmes d’approvisionnement en eau. Il est également à noter que le SAC finance les exploitants d’eau des Premières nations à des taux inférieurs de 30 p. 100 à ceux des exploitants d’eau canadiens. De plus, la politique de SAC ne fournit que 80 p.100 des besoins en service de maintenance, dans certains cas, elle ne fournit même pas autant. Comment les Premières nations sont-elles censées trouver le reste des fonds, alors que bon nombre d’entre elles sont également confrontées à une crise du logement ?

Pire encore, la formule de financement désuète du SAC ne tient pas compte de l’état réel du réseau d’approvisionnement en eau tel que déterminé par ses propres évaluations des risques. Ainsi, le financement de 80 pour cent pour des opérations de maintenance pour un système d’eau qu’ils présument est en bon ordre est une recette pour la catastrophe. Selon le rapport :

Cette constatation est importante parce que si le financement des opérations et de l’entretien est insuffisant, l’infrastructure liée à l’eau pourrait continuer de se détériorer à un rythme plus rapide que prévu, et que les coûts globaux pourraient continuer d’augmenter avec le âge de l’infrastructure.

En d’autres termes, chaque année où le SAC sous-finance les systèmes d’approvisionnement en eau dans les réserves, plus le risque pour la santé des membres de la collectivité est élevé et plus les coûts seront élevés pour les réparer plus tard. Il est également important de noter ici que ce rapport ne traite que des Premières nations qui ont des systèmes publics d’eau potable. Il n’y a pas de financement de SAC pour ceux qui dépendent de puits, de citernes ou qui manquent complétement d’eau courante, ce qui représente le tiers de tous les ménages des Premières nations. Le SAC a été en mesure de contourner cette question et n’a pas pris en compte les familles des Premières nations vivant sans eau courante du tout. En d’autres termes, le rapport de la VG n’est que la pointe de l’iceberg d’une crise beaucoup plus grande.

En 2019, lorsque le Service aux Autochtones Canada (SAC) a été confronté à des reportages dans les médias au sujet de la Première nation de Garden Hill, au Manitoba, qui compte 180 maisons sans eau courante ni plomberie intérieure, le directeur adjoint Michel Burrowes a refusé de fournir des fonds pour régler le problème. Il a répondu aux médias en suggérant que : « Franchement, les gens devraient vivre ailleurs. » Cela vient d’un ministère dont le mandat est d’améliorer les conditions socioéconomiques des Premières nations et qui a l’obligation légale et fiduciaire d’agir dans leur meilleur intérêt. Il y a plus qu’une politique dépassée en jeu ici. Les actions du SAC ne sont rien de moins que du racisme systémique et le problème est beaucoup plus grand que les chiffres ne le laissent entendre.

Même la norme selon laquelle SAC mesure son rendement en matière d’eau potable dans les Premières nations est en quelque sorte un jeu de manipulations. Sur les plus de 600 Premières nations, il y a environ 1 050 systèmes d’approvisionnement en eau. La VG signale que 60 d’avis concernant l’eau potable à long terme demeurent en place dans 41 Premières nations. Ce qui attire moins l’attention, ce sont les avertissements à court terme, dont il y en a eu 1 281 au cours de la période visée par le rapport. Environ 11 p. 100 d’entre eux ont duré plus de deux mois et 19 systèmes d’approvisionnement en eau avaient une moyenne pondérée quotidenne cumulative à court terme qui s’est élevé à plus d’un an. En d’autres termes, de nombreux avertissements devraient être considérés comme à long terme, selon la façon dont dont la longueur moyenne pondérée est calculée. De même, la VG a fait remarquer que SAC considère qu’un avertissement de long terme est levé s’il fournit une solution provisoire, comme le camionnage d’eau, mais ne parvient pas à combler la lacune du réseau d’approvisionnement en eau. Si nous excluions toutes ces situations et ajoutions les avertissements successifs à court terme, les Canadiens verraient que le problème bien pire que celui présenté par le SAC. Quand passons-nous au-delà des jeux relevant de la manipulation et traiterons-nous cela comme l’urgence nationale qu’il est ?

Tous les quelques années, le manque d’eau potable dans les Premières nations attire l’attention des médias et le public canadien est outré. Aucune famille canadienne ne se contenterait de se baigner une fois par semaine ou d’aller 10 ans sans eau potable. Elle ne serait tout simplement pas tolérée. Le fait que nous sommes en pandémie rend le manque d’eau potable encore plus grave. Les principales mesures pandémiques qui mettent l’accent sur l’isolement à la maison, la distanciation sociale et le lavage des mains ne sont souvent pas possibles pour tous les membres des Premières nations, dont certains vivent dans des maisons surpeuplées frappées par la moisissure sans eau potable ni plomberie intérieure. C’est quelque chose que les Nations Unies ont signalé dès le début de la pandémie comme une priorité pour les États ayant des populations autochtones : assurer l’accès à l’eau potable.

Ce n’est pas comme si le Canada n’avait pas les ressources humaines nécessaires pour approvisionnement en eau des Premières nations. L’armée a été envoyée dans des foyers de soins de longue durée pendant la pandémie afin de sauver des vies. Le Canada a également envoyé l’armée dans d’autres pays pour fournir de l’eau potable, du logement, de la nourriture et des soins de santé en temps de crise. Par exemple, la DART (l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe), composée de forces armées canadiennes et d’experts civils, est régulièrement dépêchée dans d’autres pays pour fournir une aide d’urgence comme de l’eau potable. En 2015, la DART a fourni de l’eau potable, des unités de filtration de l’eau et des soins de santé au Népal après un tremblement de terre. En 2013, elle a fourni de la nourriture, de l’eau potable et un abri aux habitants des Philippines après un typhon. La DART a fourni des millions de litres d’eau potable à d’autres pays, dont Haïti en 2010, le Pakistan en 2005, le Sri Lanka en 2004, la Turquie en 1999 et le Honduras en 1998.

Même si je ne dis pas qu’une réponse militaire est la bonne, ce que je dis, c’est que le Canada a toujours eu les moyens de mettre fin à cette crise. Des milliards de dollars sont apparus littéralement du jour au lendemain pour soulager la pandémie, ce qui montre où il y a une volonté politique, il y a un moyen. Il ne va pas sans préavis que le gouvernement Trudeau n’a eu aucun problème à trouver 7 milliards de dollars pressés d’acheter le pipeline Trans Mountain. En parlant de pipelines, aucun des camps d’hommes associés à la construction de pipelines, aux travaux miniers ou à d’autres projets d’infrastructure au Canada ne semble manquer de logements sécuritaires, d’eau potable, de nourriture saine et d’accès aux soins de santé. Selon le gouvernement fédéral, il y a plus de 840 000 kilomètres de pipelines au Canada qui desservent l’industrie pétrolière et gazière. Alors, où sont les pipelines d’eau dans les Premières nations ?

La question qu’il faut se poser est de savoir quel état d’esprit permet à cette crise de se poursuivre. Cela ne peut s’expliquer par l’orientation politique, car les gouvernements conservateur et libéral n’ont pas réussi à remédier à la question depuis des décennies. Peut-être devrions-nous revenir sur la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées qui ont constaté que les gouvernements du Canada traitent les peuples autochtones comme moins dignes des droits fondamentaux de la personne. Tant que nous n’aurons pas fait face aux fondements racistes des lois et des politiques gouvernementales, comme les politiques de financement des systèmes d’approvisionnement en eau dans les réserves, nous ne mettrons jamais fin à la crise de l’eau dans les Premières nations.

Pam Palmater est une citoyenne mi’kmaw et membre de la Première nation d’Eel River Bar, dans le nord du Nouveau-Brunswick. Chroniqueuse de longue date de Canadian Dimension, elle est avocate depuis 20 ans. À l’heure actuelle, Pam est professeure et titulaire de la Chaire en gouvernance autochtone de l’Université Ryerson.

Pamela Palmater

Préside la chaire de Gouvernance autochtone à l’Université Ryerson et c’est une militante autochtone au sein du mouvement Idle No More.

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