Édition du 9 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pourquoi Élections Canada empêche-t-il les organismes de bienfaisance de parler de la crise climatique ?

Elections Canada a décrété récemment que le débat sur les changements climatiques sont de nature partisane et comme il existe un parti, le PPC du climatosceptique Maxime Bernier, qui remet en question le danger des changements climatiques eux-mêmes, les activités de mobilisation et sensibilisation à ce sujet tombe dans les activités politiques et les dépenses qui y sont reliées sont comptabilisées comme dépenses électorales avec un plafond de 500$. Or depuis cette révélation, on apprend qu’une compagnie de Toronto, KWG Resources et son PDG Frank Smeenk, mènent une campagne d’affichage et de propagande "contre l’immigration de masse" par le biais d’une société appellée True North Strong & Free Advertising Corp. Cette entreprises a dépensé 60000$ pour cette opération. Maxime Bernier plaide que ce n’est pas son parti qui pose ces pancartes, mais une « tierce partie sans lien avec le PPC ». Est-ce qu’Elections Canada y verra une dépense électorale dans cette campagne de désinformation à connotation raciste ? L’organisme interviendra t-il avec le zêle qu’on a lui prête dans le cas du débat sur les changements climatique ? En attendant la suite des choses voici une contribution au débat par une ancienne commissaire à l’environnement de l’Ontario, Dianne Saxe.

Il y a une grave érosion de la démocratie au Canada. Élections Canada empêche les organismes de bienfaisance oeuvrant dans le secteur de l’environnement de dire la vérité sur la crise climatique pendant la campagne électorale de cet automne, alors qu’il s’agit d’un enjeu crucial.

Le travail d’Élections Canada consiste à tenir des élections justes et dignes de confiance afin que le gouvernement choisi par les Canadiens ait le droit légitime de gouverner. Mais Élections Canada réduit la confiance que les Canadiens peuvent avoir dans l’élection de cet automne en empêchant les organismes de bienfaisant de faire leur travail de sensibilisation du public.

Ce qu’Élections Canada fait, c’est mal, nuisible pour ces élections et dangereux pour la démocratie canadienne.

L’élection du 21 octobre sera la première au Canada en vertu d’une nouvelle version de la Loi électorale du Canada. La loi a été modifiée en décembre, afin d’« améliorer la confiance des Canadiens dans le système électoral canadien » et pour interdire aux entités étrangères de dépenser pour influencer les élections.

Après l’ingérence étrangère flagrante dans l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis, le Canada avait de bonnes raisons de prendre des précautions. Le problème est le suivant : Élections Canada muselle les organismes de bienfaisance au sujet de la crise climatique, au moment même où il n’a jamais été aussi urgent pour le public de la comprendre.

Le plaidoyer public n’est pas une activité partisane

Comment le font-ils ? En vertu de la loi canadienne, les organismes de bienfaisance sont autorisés à se livrer à un certain nombre d’« activités politiques », mais ne peuvent se livrer à des « activités partisanes ». La Loi électorale du Canada définit clairement la différence - une différence qu’Élections Canada ignore.

Les « activités partisanes », que les organismes de bienfaisance ne peuvent pas faire, qu’une élection ait lieu ou non, concernent les partis et les candidats, et non la politique publique. Cela est clairement défini dans la Loi électorale du Canada. Par exemple :

activité partisane : Toute activité, notamment le porte-à-porte, les appels téléphoniques aux électeurs et l’organisation de rassemblements, qui est tenue par un tiers — personne ou groupe, sauf un parti politique enregistré en vertu d’une loi provinciale — et qui favorise ou contrecarre un parti enregistré ou un parti admissible ou l’élection d’un candidat potentiel, d’un candidat à l’investiture, d’un candidat ou d’un chef de parti enregistré ou de parti admissible autrement que par la prise d’une position sur une question à laquelle le parti ou la personne en cause est associé. La présente définition exclut la publicité électorale…

Par contre, les « activités politiques », que les organismes de bienfaisance peuvent mener, qu’une élection ait lieu ou non, ont trait à la politique publique. Cela comprend la défense des politiques ou les communications visant à changer les cœurs et les esprits à l’égard d’une cause comme la pauvreté ou la crise climatique, et de ses causes et remèdes.

Ces activités apportent une contribution précieuse à l’élaboration des politiques publiques au Canada. Dans la cause historique Canada sans pauvreté c. Procureur général du Canada, la Cour supérieure de l’Ontario a reconnu qu’il était « impératif que les organismes de bienfaisance s’engagent pleinement, et non de façon minimale, dans diverses formes d’action publique ».

La défense des politiques est protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté d’expression, et est essentielle à la réalisation de nombreuses fins de bienfaisance. Par exemple, la pauvreté, comme la crise climatique, ne peut être résolue par la seule action individuelle. Donner à quelqu’un une aumône ou une ampoule à DEL ne suffira jamais sans une action gouvernementale plus large.

Les affirmations factuelles sont maintenant partisanes

En période électorale, la publicité électorale, qui est expressément exclue des « activités partisanes », est un type d’activité politique que les organismes de bienfaisance et autres tiers sont autorisés à exercer. Cela comprend les annonces qui prennent position sur une question à laquelle un parti enregistré ou un candidat est associé.

Si l’organisme de bienfaisance dépense plus de 500 dollars, il doit s’enregistrer et faire rapport à Élections Canada de sa « publicité électorale » payée. Le coût et le fardeau administratif de l’enregistrement et de la tenue de registres découragent certains organismes de bienfaisance, mais il y a une raison d’être publique légitime pour cela.

Ce qui est nouveau et dangereux, c’est ceci : parce que Maxime Bernier et les membres de son Parti populaire du Canada sont des négationnistes du climat, Élections Canada insiste maintenant pour que les affirmations factuelles sur la science et la politique climatiques soient « partisanes ».

Si nous organisons une fête célébrant que la Terre est plate, la gravité et la forme du monde deviendront-elles « partisanes » ? Un parti anti-vaccin rendrait-il la médecine « partisane » ?

J’ai écrit cet article parce que deux organismes de bienfaisance m’ont dit qu’Élections Canada les avait prévenus que les affirmations factuelles sur le climat étaient « partisanes ». Ils ont dit que cet avertissement a été donné verbalement et lors d’un webinaire. La Presse canadienne a rapporté la même affirmation.

Élections Canada nie maintenant avoir laissé entendre que les affirmations factuelles sur le climat sont partisanes, bien qu’il n’y ait pas de désaveu explicite dans la déclaration publiée par le directeur général des élections à la suite des reportages dans les médias.

Le directeur général des élections devrait indiquer clairement, par écrit, que la publicité payante et les autres communications au public sur les changements climatiques ne sont pas des « activités partisanes » ou de la « publicité partisane ».

Audits politiques

Les organismes de bienfaisance du Canada sont hypersensibles à toute accusation de « partisanerie », parce qu’un grand nombre d’entre eux ont été harcelés et épuisés par les 60 « vérifications des activités politiques » que l’ancien premier ministre Stephen Harper a entreprises en 2012.

M. Harper a demandé à Revenu Canada de dépenser des millions de dollars de fonds publics pour mettre les organismes de bienfaisance - y compris les organismes de bienfaisance environnementaux - sous le microscope, peut-être dans l’espoir d’atténuer leur opposition aux oléoducs. Les années d’audits exhaustifs ont effrayé les donateurs mais n’ont rien trouvé d’important.

Un groupe de lutte contre la pauvreté a perdu son enregistrement d’organisme de bienfaisance, mais a gagné devant les tribunaux , qui a statué que la révocation de son enregistrement d’organisme de bienfaisance pour « activités politiques » (essayer de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils agissent contre la pauvreté) était une violation de son droit à la liberté d’expression garanti par la Charte. La restriction relative aux « activités politiques » a été entièrement abrogée le 31 décembre 2018.

La différence entre « partisan » et « politique » n’est peut-être pas évidente pour certains, mais elle n’est pas nouvelle et ne devrait pas être difficile à distinguer pour Élections Canada.

Pas neutre sur le plan de la politique publique

En tant que commissaire à l’environnement de l’Ontario, j’étais également tenu d’être non partisane (c’est-à-dire de ne pas appuyer ou m’opposer à un parti politique ou à des candidats), mais pas neutre en matière de politique publique ou de sensibilisation du public. Il n’était pas difficile de voir la différence.

L’insistance injustifiée d’Élections Canada à dire que la science et la politique climatiques sont « partisanes » nuit déjà à cette élection. Au moins un lieu de culte s’est retiré de l’organisation d’un débat sur l’environnement réunissant tous les candidats. Des organismes de bienfaisance environnementaux de premier plan, comme Environmental Defence, ont décidé qu’ils ne pouvaient pas prendre le risque et se sont retirés de la sensibilisation du public sur le climat jusqu’après l’élection.

Avec les gouvernements provinciaux, comme celui de l’Ontario, qui n’ont rien à voir avec la crise climatique, les négationnistes du climat sont libres de faire des déclarations trompeuses ou fausses, tout en muselant ceux qui consacrent leur vie à ce qui est exact.

Comment le public peut-il faire un choix éclairé lorsque les sources les plus fiables d’information impartiale sont réduites au silence ?

C’est un scandale.

Dianne Saxe

Ancienne commissaire à l’environnement de l’Ontario.

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