Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Retour sur le dernier Conseil national de Québec solidaire (Deuxième partie)

Québec solidaire est à une croisée des chemins

Dans une première partie de cet article, nous avons pointé quatre défis posés par la situation actuelle à Québec solidaire : a. nécessité de proposer des réponses adéquates à la situation marquée par l’offensive néolibérale et le tournant pétrolier afin de concrétiser une perspective de transformation sociale ; b. parvenir à une caractérisation adéquate du PQ et définir une politique d’alliance apte à gagner une majorité indépendantiste en faisant le lien entre le projet social et le projet national tout en se basant sur une démarche de souveraineté populaire ; c. bien évaluer les priorités économiques à avancer dans un contexte de nécessaire réponse à l’offensive menée par la classe dominante contre les classes ouvrière et populaires au-delà de la seule mise au point d’un discours électoralement rentable ; d. contester le caractère très inégal du travail d’enracinement du parti dans le mouvement syndical et dans les autres mouvements sociaux face à l’avancée du travail parlementaire.

La première partie de l’article.

Dans cette deuxième partie, nous allons aborder

 les discussions sur la révision du programme

 le lancement de l’enjeu 5 portant sur la justice, les territoires, l’agroalimentaire et l’altermondialisme

 et la discussion sur les statuts

et expliciter notre affirmation comme quoi Québec solidaire est à la croisée des chemins.

Que signifie ce débat sur la révision du programme ?

Réviser le programme n’a rien d’un simple toilettage. Le concept de révision porte l’idée que le programme ou certaines de ces parties sont jugés inadéquats et ont besoin d’être revus. À son sixième congrès de mars 2011, Québec solidaire adoptait la définition suivante du programme : il “trace :

 une analyse des problématiques qui traversent la société dans laquelle nous vivons que ce soit aux niveaux local, national ou international ;

 les orientations et les propositions que nous faisons à la population pour répondre à ces problématiques dans une perspective de transformation sociale répondant aux aspirations et aux revendications de la population ;

 les stratégies de transformation qui vont permettre à Québec solidaire de travailler dès maintenant à la réalisation de son projet de société de concert avec les mouvements sociaux et la population ;

 les grands axes de notre projet de société.”

Les demandes de révision du programme ont été si importantes, qu’un congrès a été planifié pour répondre à ces demandes. En effet, à la demande du Comité de coordination nationale (CCN), de faire parvenir à la commission politique (CP) leurs demandes de révision, 68 propositions de modification de programme ont été envoyées par les circonscriptions et les organisations régionales du parti.

Cela reflète une importante hétérogénéisation de Québec solidaire sur un grand nombre de questions touchant la question nationale et la politique d’alliance, la laïcité, la lutte au réchauffement climatique, l’intégration et la lutte antiraciste, l’économie, les questions de formes et des institutions de la démocratie. ...

Un comité ad hoc conjoint de la Commission politique et du comité de synthèse a retenu 23 sujets des 68 propositions reçues. Il a proposé de retenir quatre priorités tirées de ces 23 sujets ; 1 Mandat pour l’assemblée constituante ; 2. Port des signes religieux ; 3 Cibles de réduction des GES ;4. Écofiscalité du carbone. Le débat au Conseil national visait à adopter ou à proposer au débat du congrès de révision le choix des priorités.

Après de longs débats et de nombreux votes, les thèmes suivants furent jugés prioritaires :

 clarification du mandat de l’assemblée constituante

 cibles de réduction des GES

 Écofiscalité du carbone

 intégration des communautés culturelles et des personnes immigrantes à la nation québécoise

 La richesse, PIB, bien commun et définition des quatre secteurs de l’économie.

Contrairement à la proposition originale du comité ad hoc, la question des signes religieux (et de la laïcité) n’a pas été remise en discussion, la proposition sur l’intégration est devenue une priorité et la définition de l’économie et de ses secteurs a été rajoutée.

Sur la question des signes religieux, une majorité a craint un débat stérile, polarisant, qui ne mènerait qu’à exacerber inutilement des tensions. La formulation du sujet mis en débat apparaissait comme le plus mauvais biais pour rouvrir le débat sur la laïcité. Pour les partisans du comité laïcité de Québec solidaire, le refus de rouvrir un tel débat constituait l’évitement d’une discussion incontournable. On verra.

Le contexte de guerre, la question des réfugiéEs, la montée de l’islamophobie et du racisme dans les pays européens et nord-américains, Canada et Québec compris, ont fait de la question de l’intégration une question essentielle à débattre et la révision du programme qui est extrêmement rachitique à ce niveau mérite d’être développée. Comme l’écrivent les auteurEs d’un texte distribué au Conseil national : “De quel antiracisme se chauffe QS ?” [L’unité d’un peuple] “devra aussi (1) prendre en considération l’impact des aléas politiques mondiaux sur notre quotidien (tant dans la solidarité avec les êtres humains à l’étranger (ex : les régufié-e-s) que leurs conséquences matérielles et économiques) et (2) pour canaliser la frustration réelle et légitime des peuples vers l’adversaire approprié : le capitalisme international” (M-J et A. Z.) Des militant-Es de Québec solidaire sensibles à cette question ont su gagner une majorité pour en faire un thème prioritaire au prochain congrès.

La priorité sur la question de l’économie a gagné une majorité en regroupant tant les positions de ceux et de celles qui espèrent un certain recentrage des positions économiques du parti que des partisanEs d’une position plus clairement et ouvertement anti-capitalistes qui désirent surmonter l’ambiguïté des positions actuelles du programme. À ce niveau également, les débats risquent d’être très révélateurs de l’avenir de Québec solidaire.

Sur chaque thème des propositions opposées sont présentées ou surgiront du débat. Les réponses apportées seront déterminantes du profil à venir de Québec solidaire. C’est pourquoi ce congrès est porteur de possibles réorientations du parti qui nous fait dire que Québec solidaire est à une croisée des chemins. Nous rendrons compte de ces débats au fur et à mesure de leur déroulement.

L’élaboration du programme continue – lancement de l’enjeu 5 sur l’agriculture, les territoires, la justice et la solidarité dans le monde.

Amorcée dès sa naissance en 2006, l’élaboration du programme du parti a été un processus long qui avait l’ambition de faire participer pleinement les membres du parti, avec un processus d’aller-retour dans une visée de démocratie participative assumée, mais très exigeante. Le programme a été structuré autour de cinq enjeux :

 Enjeu : 1 Démocratie, pluralisme et souveraineté du Québec - Un pays démocratique et pluriel
 Enjeu 2 : Écologie, économie et travail - Pour une économie solidaire, écologique et démocratique
 Enjeu 3 : Services publics (justice sociale, éducation, santé et culture) -Les services publics dans un Québec solidaire
 Enjeu 4 : Égalité économique et politique des femmes, femmes et familles, hypersexualisation et prostitution et diversité des orientations et des identités sexuelles.

Le débat autour de l’enjeu 5 est lancé avec la publication du « Cahier de participation » en vue d’élaborer le programme de Québec solidaire, intitulé Semer la justice et la solidarité dans le monde qui permettra de discuter des thèmes suivants

 Justice et sécurité publique
 Territoire et municipalités
 Agroalimentaire et ruralité
 Altermondialisation et solidarités internationales

La discussion sur les statuts, une discussion qui s’amorce…

Le Conseil national a été l’occasion de l’ouverture d’une discussion sur la réforme des statuts. Des ateliers ont discuté de différents sujets : la parité, les porte-parole au Comité de coordination national, la Commission politique, la Commission nationale des femmes et les instances nationales. Il ne s’agissait pas de parvenir à des propositions à adopter, mais d’un échange sur des questions précises autour de ces thèmes…

On peut espérer que le comité des statuts formé pour animer cette discussion identifie, comment des statuts peuvent nous permettre de contrer des tendances qu’on a pu constater dans nombre de partis politiques : centralisation très forte du pouvoir, manque de démocratie interne, développement de pouvoirs informels au-delà d’instances formelles, passage du contrôle des membres au contrôle de l’aile parlementaire sur la dynamique d’évolution du parti, pression vers la domination masculine, bureaucratisation facilitant la perte du pouvoir des membres…
Les débats sur les statuts s’amorcent, mais écarter ces problématiques du revers de la main sous prétexte de discussions plus concrètes pourrait nous préparer de mauvaises surprises qu’il est possible d’éviter.

Des raisons d’être inquiets et en colère et des raisons d’espérer

Dans son discours de clôture du Conseil national, Françoise David n’est pas revenue sur les débats du Conseil national et sur leur importance. Elle d’abord insisté sur la nécessité d’écouter et de parler à la population du Québec. Elle a d’abord rappelé que les gens qu’elle rencontre dans tous les coins du Québec sont inquiets et en colère. Car il y a des coupures sévères en éducation, dans les centres de la petite enfance et dans les services sociaux. Les gens sont inquiets de voir les attaques contre les travailleuses et travailleurs du secteur public. Les gens sont inquiets, insiste-t-elle, du déficit environnemental. Ils sont inquiets de voir des pipelines qui passent sur les terres, qu’on veut faire passer sous le Saint-Laurent. Et, il y a d’autres motifs d’inquiétudes : les attentats de Paris, de Beyrouth, de Bamako dans lesquels on a tué indifféremment les enfants, les jeunes, les vieillards.

Si Françoise David trace un tableau sombre de la situation, elle rappelle qu’il y a quand même des raisons d’espérer. La première raison, c’est que la population du Québec et du Canada a réussi à se débarrasser du Parti conservateur. On est passé de l’obscurantisme au XXIe siècle.

Il y a aussi Québec solidaire qui est un motif d’espoir. Elle n’en doute pas. Et elle donne plusieurs exemples pour confirmer son affirmation. Québec solidaire, c’est le seul parti qui dit non aux pipelines et qui propose une vision pour sortir de la dépendance au pétrole. Québec solidaire est le seul parti qui veut véritablement combattre toute manifestation de racisme et d’islamophobie. Québec solidaire est le seul parti qui est contre toutes les coupes. Il est le seul parti qui ne fait pas un dogme de la lutte contre le déficit, qui fait des propositions pour aller chercher de nouveaux revenus. Québec solidaire se bat contre l’austérité. Québec solidaire c’est le seul parti qui affirme que la souveraineté ou l’indépendance doit être liée à un projet de société qui améliorera le sort de la population. On est, souligne Françoise David, le parti qui intéresse de plus en plus les jeunes, la jeunesse progressiste. Et Québec solidaire leur dit que si elle veut venir, elle est bienvenue.

2018 s’en vient. Elle demande aux associations de Québec solidaire de participer aux luttes sociales et d’être proche des gens qui se battent. Il faut s’intéresser aux gens sur le terrain, participer aux activités, dans toutes les régions. Il faut continuer d’expliquer notre vision de la société, celle de notre projet social et démocratique, celle d’un Québec plus juste, plus égalitaire.

Elle a conclu en rappelant que les membres de Québec solidaire vont se revoir bientôt en congrès et qu’à ce moment, Québec solidaire en sera au dixième anniversaire. Les membres de Québec solidaire vont être heureux de fêter ensemble. Un discours rassembleur, mobilisant au-delà des clarifications programmatiques que ce parti s’apprête à opérer et qui définiront son nouveau profil.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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