Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Convergences et alliances

Québec solidaire trace les contours de ses avenirs possibles !

Les débats sur « l’ensemble des questions liées aux alliances, sociales et électorales ou pactes tactiques » auront des incidences politiques importantes sur l’avenir de Québec solidaire, sur son projet et sur sa place sur la scène politique. Ces débats sont parvenus à certaines conclusions, mais il reste que ces débats ne sont pas terminés et que c’est le prochain congrès qui aura à prendre « les décisions concernant les alliances stratégiques et électorales » [1]. Il s’agira ici de revenir sur les tenants et aboutissants de ces débats tant pour présenter les conclusions sur lesquels ils ont débouché que sur les implications de ces décisions auront sur l’avenir de Québec solidaire. Ces conclusions doivent également être évaluées à la lumière de leur réception par la direction du Parti québécois.

Les options 1 et 2 : des approches hétérogènes à un questionnement différent

L’option 1 partait de la caractérisation du Parti québécois, de ses politiques pour déduire qu’il était nécessaire de s’en démarquer radicalement. Le recul du vote péquiste n’est pas dû à la fragmentation du vote francophone dont serait responsable Québec solidaire, mais aux politiques néolibérales menées par le gouvernement Marois (déficit zéro, coupures des prestations sociales, subventions à l’exploitation pétrolière à Anticosti…), à l’absence de stratégie d’accession à l’indépendance du PQ qui conduit à remettre la lutte pour l’indépendance à un avenir indéterminé et à la campagne identitaire autour de la Charte des valeurs qui a fissuré la société québécoise et a discrédité encore plus la perspective indépendantiste dans les communautés culturelles. Le Parti québécois est le seul responsable de son affaiblissement et de sa défaite de 2014 et des reculs du soutien à l’indépendance. Il ne faut pas cesser de le répéter.

Il faut donc remettre radicalement en cause la prétention du PQ à diriger le mouvement souverainiste et Québec solidaire doit se présenter comme le seul parti capable d’offrir un projet d’accession à la souveraineté et une alternative véritable et sociale à la population. C’est à partir de cette perspective qu’on peut construire une majorité indépendantiste.

L’option 1 concluait donc que la participation au OUI-Québec est une réponse inadéquate, car le OUI-Québec est lié au PQ et que notre participation au OUI-Québec va donner le message que nous considérons le PQ comme un parti progressiste cautionnant la crédibilité de la perspective de changer le PQ. L’option 1 préfère avancer la perspective d’un front social dans lequel nous travaillerons de concert avec les secteurs de la population pour un changement de société et l’appropriation de notre territoire.

L’option 2 soulignait l’importance de répondre aux discours du PQ sur la fragmentation du vote francophone. Il faut donc obliger le PQ à faire des concessions majeures s’il souhaite une quelconque forme de convergence avec nous. Il faut accepter le dialogue avec le PQ et éviter d’apparaître comme un parti favorisant la réélection du PLQ nourrissant ainsi le vote stratégique pour le PQ et affaiblissant notre base électorale en la poussant à voter pour le PQ. C’est ainsi qu’on pourra éviter de payer le coût politique qu’il y aurait à refuser de participer au dialogue de la feuille de route dans le cadre du OUI-Québec. Ce refus permettrait en effet à nos adversaires de nous qualifier de sectaires et de dogmatiques. Ce refus détournerait de nous nos allié-e-s dans les mouvements sociaux et aurait un effet négatif sur notre base électorale et les segments électoraux que nous voulons attirer. C’est pourquoi l’option 2 propose de participer à la première étape du dialogue dans le cadre du OUI-Québec sur la feuille de route pour l’indépendance pour y défendre des éléments essentiels de notre programme : l’assemblée constituante, la pleine justice sociale et fiscale, la transition énergétique, la mise en place d’un système électoral comme des éléments de proportionnalité et l’abandon de toute politique identitaire. Et qu’aucun pacte électoral sous aucune forme ne soit abordé dans les discussions portant sur la feuille de route. Les décisions à ce niveau sont reportées au prochain congrès. C’est l’ensemble de cette option qui a été finalement adoptée par le Conseil national.

Malgré ce qui était mis en jeu politiquement, le Conseil national ne devait trancher que sur la participation au OUI-Québec. C’était déjà peu. L’évolution de la conjoncture allait bouleverser considérablement cette situation.

L’offensive de Jean-François Lisée contre Québec solidaire bouleverse les cadres du débat

L’élection de Jean-François Lisée s’est faite suite à une course à la chefferie dont le thème central était la promesse de ne pas tenir un référendum sur l’indépendance du Québec dans un premier mandat. Il redéfinissait le sens de la prochaine élection pour le PQ comme la nécessité de battre le gouvernement Couillard. Il ne s’agissait pas de construire une « convergence souverainiste » autour d’une feuille de route pour l’indépendance, mais bien de construire une « convergence progressiste » pour en finir avec le gouvernement libéral. D’ailleurs, le Oui Québec devait prendre en compte ce choix du Parti québécois et mettre de côté sa phase 2 portant sur les moyens de faire élire une majorité de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale lors de l’élection de 2018. De plus, l’élection partielle était l’occasion d’une manœuvre du chef péquiste qui a proposé une candidature commune (QS-PQ) et a lancé même un sondage auprès de l’électorat de la circonscription pour démontrer que la base électorale de QS était d’accord avec sa proposition. La réponse de Québec solidaire a été très défensive, se contentant d’argumenter que l’on était dans un processus de débat sur nos politiques d’alliances. Sans compter que l’apparition du dialogue politique ayant pour nom « Faut qu’on se parle » élargissait les débats.

Il apparaissait de plus en plus clairement que limiter la prise de décision à la participation ou non au OUI-Québec faisait fi des problèmes politiques soulevés par l’évolution de la conjoncture. C’est pourquoi le Comité de coordination nationale, bouleversant les procédures habituelles, mettait sur la table une nouvelle proposition dont l’essentiel consiste « à mandater 1. « le CCN d’ouvrir un chantier de réflexion et d’action sur les sujets suivants : les convergences et les alliances possibles entre Québec solidaire et les mouvements sociaux et politiques ainsi que des partis politiques porteurs d’un projet politique souverainiste inclusif, de valeur comme la justice sociale, l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de l’environnement, et mettant de l’avant la réforme du mode de scrutin ; la pertinence de candidatures indépendantes dans des élections partielles à venir. 2, que ce chantier soumette des propositions au congrès de mai 2017. [2]

Cette proposition élargissait le cadre de la discussion. Elle proposait que Québec solidaire passe à l’action et devienne un centre d’initiative. Elle fait une place à des alliances avec les mouvements sociaux. Elle pose une série de conditions politiques et programmatiques à l’insertion dans le chantier, mais jamais elle n’exclut explicitement le PQ, même si ces conditions sont perçues par nombre de militant-e-s comme des garde-fous à cet égard.

En fait, il y au moins trois niveaux d’interprétation à l’adoption de l’option 2 et de la proposition du CCN amendée :

Postures et diversité de positions différentes peu ou pas explicitées

Les débats sur la nouvelle proposition du CCN ont été reçus tardivement. Les débats ont été riches, mais ils sont le reflet de plusieurs positions et postures.

Les bases d’une démarche de communication

Pour beaucoup de délégué-e-s au Conseil national, notre maintien au OUI-Québec et la proposition du Chantier sont une démarche de communication démontrant notre ouverture au dialogue. Nous pouvons avancer notre démarche stratégique sur la Constituante et faire progresser son impact. Nous faisons ainsi preuve d’ouverture. Nous apparaissons comme partie prenante du camp souverainiste et progressiste. En même temps, nous présentons des principes qui sont largement partagés. Si le PQ n’accepte pas ces principes, il devra rejeter notre démarche. Et on pourra faire assumer au PQ la rupture. Il portera ainsi la responsabilité de la division. C’est la une posture gagnante au niveau de la communication politique.

Les bases d’une démarche de négociation qui peut porter fruit

Pour certain-e-s, le dialogue peut faire évoluer la situation. Sur le terrain, le rapport de force a changé en notre faveur. Ainsi, la volonté de changer le mode de scrutin est largement répandue.+ Le PQ est prêt à reculer sur ce point et l’adoption d’un nouveau mode de scrutin est à l’ordre du jour de son congrès. Sur la question de la constituante également nous avons déjà marqué des points. Le PQ peut changer. Nous ne reculerons pas sur nos principes, mais il y aura des accords concrets qui pourront peut-être se dégager et nous assurer une progression sur le terrain électoral nous permettant de renforcer le poids de notre députation. Le prochain congrès permettra de prendre une décision éclairée sur ces accords concrets.

Le chantier proposé, un pas vers une nouvelle convergence des indépendantistes

Pour d’autres, les principes et particulièrement le fait que Québec solidaire « mette de l’avant sa propre feuille de route pour préparer l’indépendance en vue des élections de 2018, qu’il mette de l’avant la potentialité rassembleuse et non partisane de l’assemblée constituante et qu’il commence dès maintenant à travailler à des alliances indépendantistes »[amendement, 4.1.11] constitue déjà une rupture assumée avec l’orientation proposée par Jean-François Lisée, orientation sur laquelle le PQ ne reviendra certainement pas… La conclusion du Chantier est donc prévisible. Le PQ ne pourra accepter nos principes. Et ce chantier de QS ouvre la voie à une nouvelle convergence.

Comme on peut le constater, la proposition de chantier adoptée est susceptibles de différentes lectures.

La perspective de la construction d’une convergence indépendantiste et progressiste a été jugée comme irrecevable

Des associations de QS (Jean Lesage et Hull) ont proposé une convergence indépendantiste et progressiste et « que Québec solidaire annonce dès maintenant son intention de faire de la question de l’indépendance du Québec un élément central de sa plate-forme électorale lors des élections générales ; que Québec solidaire invite Option nationale, collectif Faut qu’on se parle et tout autre organisation indépendantiste et progressiste intéressée à entamer de nouvelles discussions formelles en vue d’une alliance électorale lors des élections générales de 2018. » Ces associations proposaient également que Québec solidaire décline l’invitation du OUI-Québec. Il s’agissait donc d’opposer une convergence de gauche contre le projet péquiste de marginaliser la question de l’indépendance aux prochaines élections. Ces propositions ont été jugées irrecevables, car seuls des amendements à la nouvelle proposition du CCN pouvaient être recevables car ces propositions ont été considérées comme de nouvelles propositions.

La réception de la proposition de Chantier par les grands médias et le Parti québécois

Pour les médias, la seule question pertinente était : « Allez-vous vous unir ? La réponse des porte-parole de Québec solidaire à leur conférence de presse a été très claire : « La réponse est oui. Nous, on veut tenter de rallier les forces vives de la société québécoise, des personnes engagées et même des partis politiques car on veut battre les Libéraux et mettre au pouvoir des progressistes qui apporteront du changement. » Mais on promet que Québec solidaire exigera que les principes à la base des chantiers soient partagés par les gens qui veulent s’unir avec Québec solidaire. Mais, le dialogue est ouvert.

Jean-François Lisée s’est dit très satisfait de l’ouverture de Québec solidaire a des candidatures communes. Il accueille dit-il la main tendue à la main qu’il avait tendue envers Québec solidaire. Une lecture bien particulière de ce qui a été adopté par le Conseil national, n’est-ce pas !? Il minimise les divergences entre le PQ et QS. Il souligne les convergences. Il affirme être pour la fin de l’austérité, pour l’égalité des hommes et des femmes, pour la fin du développement des hydrocarbures et pour la réforme du mode de scrutin. Il insiste que le défi n’est pas d’assurer une convergence souverainiste, mais de bâtir une convergence progressiste contre le gouvernement Couillard. Sur la souveraineté, il avoue que Québec est plus pressé que le PQ sur la question du référendum ! Mais pour battre Couillard, il souligne que voter le PQ demeure la seule alternative.

Les coups fourrés de Jean-François Lisée vont se multiplier. La vigilance est de rigueur. Il a déjà écarté la convergence des forces pour l’indépendance aux prochaines élections. Une « Convergence progressiste dirigée par le PQ », c’est ni plus ni moins qu’un oxymore. Québec solidaire doit en faire la démonstration.

Un chantier de réflexion et d’action : construire d’une convergence pour un Québec indépendant et pour un projet de société égalitaire lors des prochaines élections

Le PQ a été l’instrument d’une fracture du Québec sur une base identitaire. Jean-François Lisée a arraché la direction en utilisant ce type de rhétorique. Il n’y aura pas d’élections gagnantes pour les personnes immigrantes tant que ne sera pas remise en question la domination du fédéral sur les politiques d’immigration et la remise en question des perspectives nationalistes qui traversent tant la CAQ que le Parti québécois.

Le dernier gouvernement péquiste a été le promoteur du déficit zéro et du recul des investissements dans les services publics. Il s’est refusé à hausser les impôts des entreprises. On verra bien si le PQ ne sera pas tenté à l’approche des élections par une nouvelle réduction d’impôt. Il n’y aura pas d’élections gagnantes pour les syndiqué-e-s et la majorité populaire si le PQ est reporté au pouvoir alors qu’il a mené des politiques d’austérité toutes les fois qu’il a formé le gouvernement depuis l’époque néolibérale.

Il n’y aura pas d’élections gagnantes sur le terrain énergétique tant que le gouvernement fédéral pourra nous imposer le passage de pipelines sur le territoire du Québec et que l’on fera confiance à un parti qui a inauguré et soutenu financièrement l’exploration pétrolière à Anticosti. Il n’y aura pas d’élections gagnantes pour les peuples autochtones tant qu’il n’y aura pas une reconnaissance de leurs droits ancestraux, reconnaissance que refuse l’État canadien.

Le Parti québécois n’a aucune stratégie pour la souveraineté. Le proposition du Chantier peut être l’objet de lectures diverses. Mais la défense des principes avancés dans le cadre du Chantier ne peut que nous orienter vers la nécessité de construire une nouvelle convergence qui fait de l’indépendance et d’un projet social émancipateur l’enjeu des élections qui viennent.


[1Cahier de proposition, 18-19-20 novembre 2016, présentation du Bloc 2 : Participation à la feuille de route de OUI-Québec (convergence)

[2Proposition initiale du CCN au Conseil national de novembre 2016

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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