6 mai 2025 | tiré d’International View Point | Photo : Reform Party, parti europhobe et anti-immigrant
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Tous les sondages des derniers mois plaçant le Reform Party à égalité, voire devant les travaillistes et les conservateurs, se trouvent ainsi validés – voire surpassés. Avec plus de 120 000 membres, ce parti a déjà dépassé les conservateurs. De riches donateurs, notamment venus de la sphère trumpienne, ont renfloué ses caisses. Avoir des centaines de conseillers municipaux confère non seulement de la visibilité et des ressources matérielles, mais permet également d’implanter le parti localement, facilitant ainsi les campagnes futures.
Des journalistes ont noté une professionnalisation de l’organisation du Reform Party. Plus de 80 représentants et membres du personnel conservateurs ont fait défection. Cela se reflète aussi dans l’instauration d’un cordon sanitaire vis-à-vis des partisans de Tommy Robinson, malgré l’affinité idéologique de certains membres. Les voix les plus extrêmes ont été largement tenues à l’écart des médias pendant la campagne. Farage vise maintenant les élections des assemblées galloise et écossaise.
Conservateurs et travaillistes frappés durement
Comme ces sièges avaient été remportés au plus fort de la popularité de Boris Johnson, les conservateurs en ont perdu davantage que les travaillistes – 676 sièges au total. Leur direction, tout comme celle du Labour, est prise en étau entre la droite et la gauche. Par exemple, les Libéraux-démocrates les ont battus dans le sud-ouest et le Shropshire, et ont pris le contrôle de l’Oxfordshire et du Gloucestershire.
Beaucoup d’électeurs conservateurs, notamment pro-européens, n’ont pas apprécié que la direction penche vers les politiques du Reform Party. D’un autre côté, des figures comme Robert Jenrick, candidat malheureux à la direction, prônent un rapprochement avec le Reform Party.
Jacob Rees-Mogg (ancien député tory) a même déclaré que c’était une bonne soirée pour « la droite ». Pour ces gens, une recomposition de la droite avec le Reform Party comme partenaire égal, voire dominant, est une option envisageable. En Italie, la droite traditionnelle a fusionné avec les post-fascistes des Frères d’Italie dans une coalition dirigée avec succès par Giorgia Meloni.
Un Labour désorienté
Les porte-parole travaillistes semblaient abasourdis par les résultats. Ils affirment que la réticence de leur base traditionnelle à voter ou même à se déplacer provient du chaos laissé par les conservateurs après 14 années de pouvoir. Le Labour doit prendre des « décisions difficiles » à cause des Tories, donc ce n’est pas vraiment de leur faute…
Mais les électeurs ont évoqué, sur le pas de leur porte, des sujets tels que la suppression des aides au chauffage hivernal ou les coupes dans les allocations pour personnes handicapées. D’autres choix politiques étaient possibles : revenir sur le plafond de deux enfants pour les allocations, ne pas toucher aux aides hivernales, maintenir les prestations d’invalidité ou respecter les engagements écologiques.
Une fois qu’on exclut de taxer les riches, de modifier les règles fiscales arbitraires ou de collectiviser certaines ressources, on s’enferme soi-même. Surtout si l’on veut appliquer, ne serait-ce que partiellement, un programme social-démocrate.
La direction travailliste semble aussi croire que ses positions indéfendables sur la Palestine, l’aide internationale, les femmes WASPI ou les droits des personnes trans n’auront aucun effet négatif sur les électeurs. Normalement, un nouveau gouvernement bénéficie d’un état de grâce. Mais les règles fiscales strictes imposées par Rachel Reeves limitent considérablement la possibilité de mesures populaires.
La chute massive du nombre d’adhérents, conséquence de la purge contre la gauche, a visiblement affaibli la machine militante. Le Reform Party a réussi à concurrencer le Labour sur ce terrain lors de l’élection partielle de Runcorn – une tendance probablement répliquée dans plusieurs batailles locales.
Et maintenant ?
Deux orientations se dessinent au sein du Labour. Avant même la perte de Runcorn, la droite du parti – y compris dans ses organes centraux – y voyait une opportunité de se rapprocher davantage des politiques anti-migrants du Reform Party et d’imiter son programme « anti-woke ». Jonathan Hinder, député de Pendle et Clitheroe, déclarait récemment :« Trop de personnes de la classe ouvrière perçoivent Labour comme le parti des immigrés, des minorités, des allocataires. » « Le pays doit réduire drastiquement l’immigration, très rapidement, quitte à faire passer la souveraineté démocratique avant les obligations juridiques internationales. » À propos de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), il a ajouté : « Il est évident qu’elle ne fonctionne pas. »
D’autres au sein de la direction pensent qu’il n’est pas nécessaire de modifier la ligne, misant sur un réflexe progressiste « paniqué » qui pousserait l’électorat vers Labour pour contrer la menace « néofasciste » d’un gouvernement du Reform Party ou Reform Party/conservateurs. C’est le coup à la Macron : se faire élire en ralliant la gauche pour barrer la route à l’extrême droite. Problème : le système britannique uninominal à un tour ne génère pas ce type de panique avant qu’il ne soit trop tard.
Comme on l’a vu jeudi, le système majoritaire est profondément antidémocratique : il pénalise les petits partis jusqu’à ce qu’ils franchissent un certain seuil. Le Reform Party remporte des sièges avec bien moins de 50 % des voix, tout comme le Labour l’a fait lors de sa victoire historique avec seulement 34 % des suffrages. Reform pourrait très bien répéter l’exploit, surtout avec un accord avec les Tories.
Vers un tournant à gauche ?
Certain·es, même en dehors du Socialist Campaign Group, comme Rachael Maskell (députée de York Central), appellent Starmer à revenir sur des mesures comme la suppression des aides au chauffage ou les coupes dans les allocations handicap. Des pressions internes pourraient pousser à des ajustements symboliques pour répondre à ces critiques.
Diane Abbott est plus directe : le slogan de Starmer après les résultats, prônant « plus de rapidité et de fermeté » dans le Plan pour le changement, doit être abandonné. L’une des rares gagnantes, la mairesse de Doncaster Ros Jones, a rompu avec la ligne du parti en dénonçant ses politiques envers les retraité·es et les personnes handicapées. Elle a même fait campagne contre ces mesures, et mis en place des politiques locales pour en atténuer les effets. Cette indépendance a sans doute sauvé sa réélection face à l’assaut du Reform Party.
Pourquoi copier le Reform Party ne fonctionne pas
Pour la gauche, il est évident que des ajustements cosmétiques ne vaincront pas le Reform Party. Le dénoncer de manière abstraite comme raciste – ou pire, comme nazi – ne suffit pas. Face à la colère et à la désillusion des électeurs sur la vie chère et la politique, il faut proposer des solutions concrètes, pas couper les aides ou se contenter du statu quo.
Il faut expliquer où l’on prend l’argent pour améliorer la vie des gens. Tout le monde sait que la société regorge de richesses. Il faut être honnête : prévoir une taxe sur la richesse, taxer davantage les profits des grandes entreprises. Si la réponse de Starmer se résume à bricoler autour de la croissance, alors il continuera à nourrir ce monstre du Reform Party.
Lors des élections générales, le Labour a ménagé le Reform Party. Ils ont même retiré un·e candidat·e crédible face à Farage à Clacton. Très peu de matériel de campagne ciblait le Reform Party. Les stratèges comme Morgan McSweeney pensaient que le Reform Party nuirait aux Tories, ouvrant la voie à un raz-de-marée. Ce fut vrai… mais de courte durée. À peine neuf mois après cette victoire sans enthousiasme, les conséquences sont déjà visibles. Depuis que le Reform Party monte dans les sondages, le Labour est passé de l’ignorance à l’imitation de ses politiques.
Ainsi Yvette Cooper ne cesse de vanter le nombre de déportations effectuées et de pointer l’origine ethnique ou migrante des délinquants. À Runcorn, la candidate a été poussée à lancer une pétition contre un hôtel d’accueil pour demandeurs d’asile, malgré ses propos antérieurs favorables. Elle-même a fini par admettre que ce discours s’était retourné contre elle. Et lorsque Labour a perdu Runcorn, la déclaration officielle minimisait la défaite en parlant de « quelques voix » manquantes – quid des 15 000 autres ?
Un espace à gauche du Labour
Dans un contexte où le Labour perd 186 conseillers et un siège parlementaire ultra-sûr, les Verts ont bien résisté et gagné des sièges. Jessica Elgot, pourtant proche de Starmer, rapporte que le Labour perd plus de voix à sa gauche qu’au profit du Reform Party. Il existe un espace progressiste à gauche de Labour.
À Preston, Michael Lavalette et deux autres indépendant·es défendant une ligne pro-palestinienne et anti-austérité ont été élu·es. Dans les circonscriptions où la communauté musulmane est significative, le vote ne revient pas vers le Labour.
Les stratèges du parti pensent que la question palestinienne n’est qu’une vague pétition éphémère sur internet, et que ces électeurs « n’ont nulle part où aller ». Ils ne comprennent pas que le silence complice du gouvernement face au génocide, au blocage de l’aide humanitaire et à l’envoi d’armes britanniques entraînera une rupture durable.
L’expérience de Preston montre aussi le potentiel perdu d’une alternative politique à gauche du Labour. Le débat en cours sur la création d’un nouveau parti large de gauche – d’abord localement, avant une annonce nationale – a empêché une intervention électorale coordonnée. Pourtant, un tel développement est essentiel, y compris pour construire un mouvement de masse contre le Reform Party et son racisme anti-migrant.
Un système politique défaillant
Andrea Jenkins (du Reform Party), nouvelle mairessse du Lincolnshire, n’a pas perdu de temps pour afficher un discours violemment anti-migrant. Dans son discours de victoire, elle a déclaré qu’il ne devrait plus y avoir d’hôtels pour demandeurs d’asile : « Qu’ils vivent sous des tentes, comme en France. »
Le professeur John Curtice a raison : le système bipartisan ne fonctionne plus. Dans certaines circonscriptions, on se retrouve avec cinq partis majeurs, et des sièges sont gagnés avec des scores très éloignés de la majorité absolue. Un retour au bipartisme n’est pas à exclure – surtout si les Tories disparaissent ou fusionnent avec le Reform Paty – mais pour l’instant, l’instabilité politique est là pour durer.
Cette nouvelle réalité crée une opportunité favorable pour une nouvelle alternative électorale de masse à gauche. Une fois qu’un·e électeur·rice change de vote, il/elle peut le faire de nouveau, pour un parti plus progressiste. La gauche doit continuer à défendre un système de représentation proportionnelle – comme le congrès du Labour l’a lui-même approuvé. C’est plus démocratique, et cela pourrait atténuer la frustration massive (voire majoritaire, selon les résultats locaux) vis-à-vis du système politique. Cela donnerait une place équitable aux Verts et à toute nouvelle gauche alternative.
Résister au Reform Party : une responsabilité pour la gauche
Le Labour ne s’opposera pas vraiment au Reform Party. C’est à la gauche qu’incombe la tâche d’organiser la résistance dans la rue, dans les campagnes et sur le terrain électoral face à Farage et à son parti. Nous devons démonter les mensonges et les contradictions de leurs politiques. Cela commencera dès maintenant dans les conseils locaux qu’ils ont remportés jeudi. Farage promet déjà des coupes « façon Doge » et des attaques contre l’égalité des chances et les politiques de diversité.
Des campagnes locales, en lien avec les syndicats des travailleurs municipaux, seront nécessaires.
Bien que la réponse principale au Reform Party doive venir de militant·es hors du Labour, il faudra aussi s’appuyer sur tout·e député·e de gauche – ou même de gauche modérée – prêt·e à s’opposer à Farage et à aux politiques du gouvernement qui nourrissent sa popularité. Le succès du Reform Party rend la discussion sur un nouveau parti de gauche d’autant plus urgente.
Anticapitalist Resistance – 5 mai 2025
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