Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

La carte électorale avec vote pondéré :

Une solution ingénieuse mais serait-elle praticable ?

Participant au débat en cours sur le remodelage de la carte électorale en vue des prochaines élections québécoises, M. Louis Bernard a proposé une solution ingénieuse dans un texte publié dans Le Devoir le 18 mars.

S’inspirant de la méthode dite du vote fractionnaire, il a suggéré de remplacer le système actuel par une carte électorale avec vote pondéré. Cette dernière aurait notamment l’avantage d’être permanente ; ce qui permettrait d’éviter le psychodrame qui. à tous les dix ans, secoue la scène politique québécoise. Elle aurait aussi comme avantage de respecter le principe fondamental de l’égalité des électeurs tout en sauvegardant théoriquement le poids politique des régions.

C’est ainsi qu’on pourrait maintenir une Assemblée nationale comptant 125 députés sans modifier la délimitation actuelle des circonscriptions. Le poids du vote de chaque député à l’Assemblée nationale serait proportionnel au nombre d’électeurs inscrits dans sa circonscription par rapport à l’ensemble de l’électorat. Dans les circonscriptions en dessous de la moyenne provinciale d’électeurs, ce poids serait inférieur à la valeur 1. Dans celles au-dessus il serait supérieur à cette valeur 1.

A priori, cette formule pourrait sortir le débat actuel de l’enlisement dans lequel l’a plongé les propositions à courte vue et antidémocratiques formulées de part et d’autre par le gouvernement libéral et l’opposition péquiste. Mais avant de la considérer comme une solution miracle il faut être conscient des inconvénients qu’elle comporte dont certains, selon moi, sont capitaux.

Le poids du vote des députés varierait du simple au sextuple

Le premier serait la grande amplitude de l’échelle de valeur attribuée aux votes des députés. Ainsi, la moyenne provinciale actuelle -obtenue en divisant le nombre total d’électeurs par 125- se chiffre à 46 579 électeurs. Cela signifie que le député représentant la circonscription des Iles-de-la- Madeleine, qui comptait seulement 10 722 électeurs lors des dernières élections, se verrait attribuer un poids d’une valeur de 0.23 tandis que celui de la circonscription de Masson située en banlieue nord de Montréal, se verrait attribuer un poids d’une valeur de 1.37 à cause des 63 675 électeurs qu’elle compte. Cette disparité signifie que le vote d’un électeur des Iles-de-la-Madeleine a actuellement six 6 fois plus de poids que celui d’un électeur de Masson !

Certes, il s’agit là d’un exemple extrême puisque ce sont les circonscriptions la moins et la plus populeuse du Québec. De plus, la circonscription des Iles-de-la-Madeleine en est une circonscription dite d’exception à cause de sa situation géographique qui l’isole. Mais des exemples semblables sont nombreux. Ainsi, la circonscription de Gaspé compte 27 610 électeurs, Le vote de son député aurait un poids d’une valeur 0.59. Cela signifie donc que le vote d’un électeur de Gaspé pèse présentement 2,3 fois plus que celui d’un électeur de Masson.

Une trentaine de circonscriptions sur les 125 existantes dépassent présentement l’écart permis par la loi de plus ou moins 25% de la moyenne provinciale d’électeurs en vue afin d’établir une égalité relative. Si cette règle était respectée le poids des votes des députés se situerait donc entre les valeurs 0.75 et 1.25. Il faut noter que les libéraux et les péquistes désirent abolir cette règle, introduite par le gouvernement Lévesque lors de sa réforme électorale de la fin des années 1970, sous le prétexte fallacieux qu’elle serait arbitraire. Il s’agit pourtant de l’écart communément appliqué dans les démocraties occidentales. On l’a même réduit à 15% dans certains pays.

Pas étonnant alors de constater que le Québec ait la pire carte électorale en Amérique du Nord, comme l’a souligné le politicologue Louis Massicotte. Il faut aussi craindre, comme l’a écrit Louis Bernard, qu’une élections générale tenue en vertu de la carte actuelle ne soit invalidée par les tribunaux. Cela risquerait de se produire à fortiori si les propositions libérales et péquistes avaient force de loi, La carte actuelle deviendrait encore plus inégalitaire afin d’avantager les circonscriptions rurales par rapport aux urbaines en établissant un barème différent pour fixer le nombre d’électeurs.

Des députés inégaux et des régions affaiblies

La principale faiblesse de la méthode dite du vote fractionnaire -dont découle le système du vote pondéré proposé par Louis Bernard- tient au fait qu’en ayant comme objectif exclusif d’assurer l’égalité du vote des électeurs elle néglige d’autres facteurs essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie représentative.

Ainsi, les votes des députés, et aussi des ministres, seraient loin d’être égaux au Parlement. On pourrait même gloser en disant que l’Assemblée nationale compterait des membres à 23% ou à 59% côtoyant ceux à 137%, à 125% ou à 100%. Cette disparité, qui a pris des proportions incroyables au niveau provincial, réduirait certes l’influence des premiers surtout s’ils sont d’arrière-ban.

On pourrait également craindre une dilution encore plus grande du rôle de législateur dévolu aux députés. On sait que cette fonction est de moins en moins importante face à un exécutif omnipuissant qui les transforme souvent en béni-oui-oui ou en pions à cause d’une discipline de parti étouffante. Accaparés exclusivement par la satisfaction des besoins immédiats de leurs électeurs -souvent cuisants faut-il admettre- les députés se transformeraient de plus en plus en ombudsmans patentés. D’ailleurs c’est comme cela que plusieurs se considèrent présentement,

Paradoxalement, on peut également craindre qu’un tel système diminue davantage le poids politique des régions. Les députés agiraient presque exclusivement comme les représentants de leur circonscription et la prédominance des problèmes locaux éclipserait le sentiment d’appartenance régionale.

La meilleure position à adopter présentement dans le cas du gouvernement et de l’opposition péquiste serait, à mon avis, de conserver le statu quo quant au processus de mise à jour périodique de la carte prévu dans la loi depuis1979. Il faut donc que l’Assemblée nationale mette fin le plus vite possible à l’odieuse suspension des pouvoirs de l’organisme indépendant qu’est la Commission de la représentation électorale, décidée l’automne dernier par le gouvernement Charest,

Mais il faut surtout que l’Assemblée nationale se dépêche d’instaurer un mode de scrutin mixte qui permettrait d’élire sur une base régionale 40% des députés à la proportionnelle tandis que 60% le seraient comme maintenant en se servant du scrutin majoritaire qui, comme on le sait, est la cause d’importantes distorsions dans la représentation au Parlement. Deux partis, Québec solidaire et l’ADQ, qui sont de tendance idéologique opposée, proposent cette solution pour sortir d’une crise qui menace de ramener la démocratie québécoise à l’ère duplessiste.

Paul Cliche, auteur du livre Pour réduire le déficit démocratie : le scrutin proportionnel

Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle.

Il a été responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques à l’Union des forces progressistes (UFP).

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