Édition du 12 mars 2024

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Canada

Violences racistes contre les Mi'kmaq du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse

Un front mi’kmaq-acadien-pêcheurs contre Ottawa-Clearwater-banques. Les événements du comté de Digby en Nouvelle-Écosse retiennent l’attention de l’actualité canadienne et même mondiale à cause de la violence raciste de la mi-octobre aux dépens de la communauté mi’kmaq de Sipekne’katik dont Mike Sack est le chef, par un groupe de petits pêcheurs commerciaux blancs dont une forte proportion sont acadiens.

Cet article d’une ONG canadienne-anglaise résume la réalité de cette violence et la passivité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour la contrer :

La semaine dernière, nous avons été témoins d’actes de violence et de vandalisme révoltants dans la région de la baie de Ste-Marie en Nouvelle-Écosse, alors que des pêcheurs non autochtones continuent de s’opposer à ce que les détenteurs de droits mi’kmaq exercent leur droit de pêche prévu par les traités. Les colons [settlers] ont piégé deux pêcheurs mi’kmaq dans un vivier à homards, ont brisé les fenêtres du bâtiment, ont brûlé une camionnette à l’extérieur et ont empoisonné les prises de homards avec des produits chimiques. Les images montrent des policiers qui se tenaient là pendant que cela se passait, semblant ne rien faire pour empêcher ces actes. Les pêcheurs colons [settlers] ont suivi les bateaux de pêche mi’kmaq et en ont coupé les lignes des casiers à homards. Un colon [settler] a attaqué physiquement le chef de Sipekne’katik, Mike Sack, et est jusqu’à présent l’une des seules personnes à avoir été arrêtée en relation avec les actes de violence et de vandalisme. Vendredi soir, un vivier de homards à Middle West Pubnico, en Nouvelle-Écosse, a été brûlé et une personne a été envoyée à l’hôpital avec des blessures possiblement mortelles. La GRC qualifie cette affaire de « suspecte »

(Robin Tress, Policing protest : a double standard, The Council of Canadians, vers le 22/10/20, ma traduction)

Ah ! cette « subsistance convenable » de la Cour suprême qui ouvre la pêche commerciale aux Mi’kmaq

En rester à ce constat sans analyse de la complexité de l’enjeu conduirait à des prises de position simplistes opposant entre elles différentes composantes du peuple travailleur. Essayons d’y voir clair en naviguant à travers les eaux tumultueuses des médias francophones et anglophones de centre-droit et de centre-gauche que l’on commentera et à partir desquels on tirera certaines conclusions. Commençons par la BBC qui met en place la scène :

Le Canada est le plus grand fournisseur de homards au monde, et la Nouvelle-Écosse est responsable de la récolte d’environ la moitié des 1,4 milliard de dollars canadiens de homards du pays. […] L’industrie de la pêche non autochtone est un élément essentiel de l’économie de la province depuis que celle-ci a été colonisée par les Britanniques et les Français dans les années 1600. Mais les Mi’kmaq pêchent dans les eaux de la région depuis des siècles. […]

(Robin Levinson King, Inside Canada’s decades-long lobster feud, BBC, 19/10/20)quote

Cet article synthétique de Radio-Canada brosse un portrait de la situation avant les violences :

La date du début de la saison de pêche de Sipekne’katik [la communauté mi’kmaq impliquée] n’est pas anecdotique : c’est le 17 septembre 1999 que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Donald Marshall. […] La Cour a tranché que les communautés micmaques, malécites et passamaquoddy peuvent chasser et pêcher pour assurer une subsistance convenable, ou modérée, en vertu des droits autochtones issus des traités. […] La notion de période de fermeture de pêche n’y est pas développée, entraînant un flou sur le droit des Autochtones. Les pêcheurs micmacs font alors fi des saisons de pêche déterminées par le gouvernement fédéral, se heurtant à une farouche opposition. Un tribunal a ainsi clarifié l’arrêt deux mois plus tard, couramment appelé Marshall 2 : les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent réglementer l’exercice du droit de pêche lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs, à condition de consulter les Premières Nations. Le flou qui entoure la définition d’une subsistance convenable, jamais précisée par la Cour suprême, est source fréquente de frictions depuis une vingtaine d’années en Atlantique. La décision Marshall reconnaît le droit des Premières Nations à assurer une subsistance convenable et gagner leur vie modérément grâce à la pêche, et non dans le but d’accumuler de la richesse. La pêche de subsistance convenable diffère de la pêche à des fins alimentaires, sociales ou rituelles, reconnue en 1990 par l’Arrêt Sparrow. Cette dernière définition est reconnue et peu contestée, au contraire de la subsistance convenable, apparue dans l’arrêt Marshall, qui sous-tend la possibilité de vendre le poisson pour assurer sa survie. […]

(Lauriane Croteau, Pour tout comprendre du conflit de pêche en Nouvelle-Écosse, Radio-Canada, 24/)quote

Quand les contradictions entre peuples blancs, hier comme aujourd’hui, profitent aux premiers peuples

André Binette, juriste en droit constitutionnel et autochtone dresse un tableau des tenants et aboutissants juridiques sous un angle historique. Tant des contradictions historiques anglo-françaises de la Guerre de sept ans que de celles Canada-Québec de 1982, les Mi’kmaq ont tiré leur épingle du jeu :

Les droits ancestraux des Premières Nations et les droits qui leur ont été confirmés par traité ont acquis une valeur constitutionnelle au moyen de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce qui les place au-dessus des lois fédérales et provinciales qui leur sont incompatibles. Toutes les Premières Nations ont par définition des droits ancestraux de chasse et de pêche, car ce sont des éléments centraux de leurs cultures. […] Les Premières Nations sans traité continuent d’invoquer leurs droits ancestraux qui n’ont pas été délimités par un texte ayant une valeur juridique. […] Le défi contemporain est de permettre la coexistence des droits ancestraux et des droits issus de traités anciens souvent imprécis avec les permis des chasseurs ou pêcheurs non-autochtones, qui peuvent s’adonner à ces activités à des fins de loisir ou commerciales.[...]

La Cour suprême a rendu plusieurs jugements sur la pêche autochtone dans les années 1990 afin de mettre en œuvre l’article 35. En ce qui concerne la pêche au large des côtes des provinces, nous sommes en présence d’une triple compétence fédérale exclusive depuis 1867 : sur les Autochtones, sur la pêche et sur la circulation maritime, puisque le territoire des provinces s’arrête au rivage. [...]

Trois Premières Nations du Québec, les Innus de la Côte-Nord, les Micmacs de la Gaspésie et les Malécites du Bas-du-fleuve, ont bénéficié de ces réformes sans avoir eu elles-mêmes à recourir aux tribunaux. Les communautés côtières parmi les Innus (certaines réserves innues à l’intérieur des terres ne sont pas concernées), et les deux autres nations mentionnées dont les communautés sont toutes situées sur la côte, sont propriétaires de bateaux de pêche depuis cette époque. Ces bateaux sont munis de permis fédéraux pour la pêche dans le fleuve ou le golfe Saint-Laurent et emploient parfois des capitaines non-autochtones. Des compensations ont été versées par Ottawa aux pêcheurs non-autochtones qui ont dû céder une part de marché aux nouveaux arrivants dont on avait rétabli les droits après de longues années d’absence. Ces mesures ne semblent pas avoir provoqué des conflits majeurs dans la pêche en mer au Québec et ont contribué à réduire de vives tensions dans les provinces de l’Atlantique. [...]

Le problème en Nouvelle-Écosse, c’est que le ministère fédéral […] a laissé certains dossiers en suspens, ce qui a fait pourrir la situation. […] La Cour suprême a rendu deux jugements importants, les deux arrêts Marshall, sur les droits de pêche des Micmacs en 1999. À ce moment, les Micmacs n’avaient pas invoqué leurs droits ancestraux, mais plutôt les droits découlant d’une série de traités locaux signés par les autorités militaires britanniques en 1760- 61, peu après la chute de l’important fort français de Louisbourg sur l’île du Cap-Breton en 1758, et au moment où la défaite des Plaines d’Abraham pouvait encore être contrecarrée par l’incertitude des négociations diplomatiques à Paris qui ont duré jusqu’en 1763. L’objectif des Britanniques était de détacher les Micmacs, alors une puissance militaire significative dans la région, de leur alliance avec les Français, par un traité généreux qui leur reconnaissait non seulement un droit de pêche de subsistance, mais aussi le maintien d’une certaine pêche commerciale pouvant nourrir les habitants d’Halifax ou d’ailleurs.

(André Binette, Les droits de chasse et de pêche autochtones (1), L’Aut’Journal, 22/10/20) quote

Où de minuscules droits mi’kmaq prennent de gigantesques proportions sur fond de pêche en déclin

De conclure ce portrait pré-violence les journalistes de Radio-Canada et du Toronto Star au sujet de l’état de la pêche aux homards particulièrement dans la baie Ste-Marie :

Les pêcheurs de homard de la baie Sainte-Marie sont nombreux et répartis dans plusieurs ports. Ils pêchent dans la zone 34, la plus grande zone de pêche au homard au Canada. Plus de 940 pêcheurs détiennent des licences commerciales dans cette zone, pour un total de 391 200 casiers. […] Les pêcheurs micmacs de la zone 34 détiennent 11 bateaux de 50 casiers, soit 550 casiers (0,14 % de la quantité détenue par les pêcheurs non autochtones). […]

(Lauriane Croteau, Pour tout comprendre du conflit de pêche en Nouvelle-Écosse, Radio-Canada, 24/10/20)

Et selon les chiffres du MPO (ministère des Pêches et Océans), les prises de homards dans la baie de Ste-Marie ont diminué d’environ un tiers en 2018-2019, la dernière année pour laquelle on dispose de chiffres, par rapport à l’année précédente. M. Comeau [Joel Comeau, président démissionnaire du local 9 de l’Union des pêcheurs des Maritimes ] dit avoir entendu dire que les prises étaient aussi mauvaises l’année dernière et que certains des pêcheurs du quai de Meteghan ne se donneront même pas la peine de sortir cette année. […]

(Steve McKinley, He had hoped to help end Nova Scotia fishery tensions, but now this union leader feels he just has to step down, Toronto Star, 17/10/20, ma traduction)

Des pêcheurs non autochtones attribuent cette diminution des prises à l’augmentation de la pêche dans la région par les pêcheurs micmacs. […] Ils allèguent également que des milliers de livres de homards sont pêchés et vendus illégalement hors saison par des membres des Premières Nations. […] Selon le chef de la Première Nation de Membertou, Terry Paul, il est compréhensible que ces communautés « abusent » du droit de pêche de subsistance convenable si l’on tient compte de leur situation. « Les taux de chômage et de pauvreté dans certaines communautés sont inacceptables [...] Un grand nombre de nos communautés sont fatiguées d’attendre et de vivre dans la pauvreté. » […]

(Lauriane Croteau, Pour tout comprendre du conflit de pêche en Nouvelle-Écosse, Radio-Canada, 24/10/20) quote

Sous la pesante évidence d’un partage équitable à négocier, on sent qu’il y a anguille sous roche

Y avait-il un horizon de règlement de ces tensions pré-violence ? À première vue oui bien qu’on sente une réticence des représentants des pêcheurs non-autochtones tout autant que du gouvernement fédéral :

Les pêcheurs non-autochtones demandent au gouvernement fédéral de mieux réglementer cet enjeu et d’être inclus à la table des négociations. […] Ils réclament aussi que les autorités surveillent davantage les pêches hors saison pour protéger la ressource et assurer leur gagne-pain. […] Le chef Mike Sack [ de la communauté mi’kmaq de Sipekne’katik] a proposé à Pêche et Océans Canada d’imposer des quotas à tous les permis de pêche au homard, incluant à ceux administrés pour la pêche de subsistance, afin d’éviter l’épuisement de la ressource. […] (Lauriane Croteau, Pour tout comprendre du conflit de pêche en Nouvelle-Écosse, Radio-Canada, 24/10/20) Les pêcheurs non autochtones n’étaient pas prêts à réagir à cette proposition mardi soir. Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes, soutient que toutes les parties prenantes doivent d’abord s’asseoir ensemble pour en discuter.(Un conseil de bande propose d’imposer des quotas à la pêche de subsistance, Radio-Canada, 6/10/20)
La perspective d’une diminution des stocks concerne tous ceux qui pêchent dans ces eaux, dit-il [Joel Comeau, président démissionnaire du local 9 de l’Union des pêcheurs des Maritimes]. Comme beaucoup, il pointe du doigt le gouvernement fédéral. Ce qu’il faut, selon beaucoup, c’est un plan qui permette à tous, autochtones et non autochtones, de pêcher en ayant la certitude que les stocks ne sont pas surexploités. Le gouvernement fédéral doit également être prêt à appliquer tout plan.
Le gouvernement fédéral ne s’est pas montré très ouvert sur une stratégie globale jusqu’à présent et les pêcheurs autochtones et non autochtones ont réprimandé le ministère des Pêches et Océans [MPO] pour son inaction apparente.
Le MPO, pour sa part, déclare la ministre de la pêche Bernadette Jordan, a passé beaucoup de temps ces dernières semaines à discuter avec les parties concernées. La pierre angulaire des négociations - sa priorité numéro un, a déclaré un porte-parole du MPO - est la conservation des stocks.

(Steve McKinley, He had hoped to help end Nova Scotia fishery tensions, but now this union leader feels he just has to step down, Toronto Star, 17/10/20, ma traduction) quote

Quand les pêcheurs, en grande partie acadiens, deviennent pécheurs jusqu’à la démission de leur guide

L’explosion de la violence anti-mi’kmaq révèle une tension sous-jacente exprimant les réticences des pêcheurs non-autochtones chez lesquels la présence acadienne (30% de la population du comté de Digby) est importante. Fin août, l’Union des pêcheurs des Maritimes, où la présence acadienne est forte, s’est opposée à l’octroi par le gouvernement fédéral de licences hors saison aux pêcheurs autochtones pour des raisons de non-consultation et de préservation de la ressource, mais s’est opposée à la violence actuelle tout en étant impuissante à la contrer.

Le vice-président de l’Union des pêcheurs des Maritimes en Nouvelle-Écosse, Joël Comeau, annonce sa démission à la suite des événements des derniers jours .[...] « Moi, je ne suis pas en faveur que ce soit arrivé. Je comprends pourquoi c’est arrivé, la frustration des pêcheurs. [...] Des personnes comme moi dans des exécutifs on va à des [réunions] et à des [réunions] et on a zéro résultat. Moi, je suis découragé, massif », affirme Joël Comeau. Joël Comeau craignait aussi pour sa sécurité et celle de sa famille. Il en a discuté avec le chef de la Première Nation de Sipekne’katik, Michael Sack. [...] « C’est difficile sur nous autres quand on est tout le temps en train de se battre avec le gouvernement. C’est une bataille qui paraît impossible à gagner, explique Joël Comeau. Moi, j’ai été suivi à la maison. Il y avait des personnes dans mon [entrée] pour m’intimider. »

( Conflit de pêche en Nouvelle-Écosse : Joël Comeau démissionne, Radio-Canada, 16/10/20).

La démission de M. [Joel] Comeau a fait échouer l’un des rares points positifs potentiels d’une semaine tumultueuse dans le conflit de la pêche au homard dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse ; l’espoir que les pourparlers entre lui et le chef de Sipekne’katik, Mike Sack, puissent être les premiers pas vers une solution à la bataille entre pêcheurs auochtones et non autochtones. Même ces premiers pas timides lui ont valu des accusations de trahison et des menaces de la part des pêcheurs qu’il représentait. Après quatre ans de discussions entre ces pêcheurs et leurs homologues autochtones travaillant dans les mêmes eaux, Comeau en a eu assez.

(Steve McKinley, He had hoped to help end Nova Scotia fishery tensions, but now this union leader feels he just has to step down, Toronto Star, 17/10/20, ma traduction) quote

L’éléphant dans la pièce : la grande entreprise et la banque sur fond d’un marché mondial à la baisse

L’apparent horizon vers un règlement semble s’être clos avec la violence raciste sur fond de passivité du gouvernement fédéral. Est-ce un cul-de-sac menant à une série interminable d’explosions de violences racistes ? Pour creuser l’affaire, il faut enfin s’attaquer à l’éléphant dans la pièce, le capitalisme qui se présente économiquement parlant sous deux formes, la grande entreprise et la banque, et politiquement sous la forme de la politique fédérale des pêcheries. D’abord la collusion entre de gouvernement fédéral avec la grande entreprise Clearwater :

Au cours des quarante dernières années, les gouvernements ont favorisé les entreprises de pêche comme Clearwater par rapport aux petits propriétaires-exploitants et aux pêcheurs mi’kmaq. Les gouvernements fédéral et provincial ont accordé un traitement spécial à la compagnie :
◦ Clearwater a élaboré son propre plan de gestion pour la zone de pêche du homard 41 (ZPH 41) dans les années 1980. La compagnie a également rédigé son propre plan de gestion des pêches, mène ses propres recherches scientifiques (et garde les résultats privés car elle en est « propriétaire »), et copréside le conseil de gestion de la ZPH 41.
◦ Clearwater fait l’objet d’un nombre extrêmement limité d’observations extérieures sur ses pêcheries. Seuls quatre pour cent de ses prises font l’objet de rapports.
◦ La compagnie possède les huit permis de pêche au homard de la ZPH 41 (bien qu’elle en ait récemment vendu certains à la Première nation de Membertou). Ce type de regroupement n’est autorisé dans aucune autre zone de pêche, et aucune autre entreprise ou personne ne l’a fait. ◦ Clearwater utilise un énorme bateau de pêche pour pêcher dans la ZPH 41. Ce bateau compte 6 500 casiers, alors qu’un bateau commercial de propriétaire-exploitant en aurait jusqu’à 400 et un bateau de subsistance modérée des Mi’kmaq en aurait 50.
◦ Il est pratiquement impossible pour Clearwater de larguer et de récupérer ses casiers dans les 72 heures, ce qui est le délai requis [pour des fins de conservation]. En janvier 2019, nous avons appris que Clearwater pêchait illégalement depuis des années, laissant ses casiers bien plus longtemps que ce qui est autorisé, causant des dommages inconnus au homard et à d’autres espèces, notamment au cabillaud et au brosme, des espèces menacées.
◦ Clearwater pêche toute l’année, alors que le ministère des Pêches et des Océans (MPO) réglemente les propriétaires-exploitants qui ne pêchent qu’au cours d’une saison déterminée.
◦ Entre 2014 et 2018, Clearwater a reçu plus de 4,7 millions de dollars en prêts des gouvernements fédéral et provincial, remboursables et non remboursables.
◦ Clearwater ne pêche pas seulement d’énormes quantités de homards (1,6 million de livres par an), mais détient également un quasi-monopole sur les palourdes américaines.
◦ Le PDG de Clearwater, John Risley, est l’une des personnes les plus riches de Nouvelle-Écosse.

Les pêcheurs côtiers de homards ont longtemps lutté contre Clearwater et la consolidation de la pêche côtière. Clearwater aimerait contrôler la pêche côtière, mais cela signifierait la fin de la pêche par les propriétairesexploitants et la fin des communautés de pêcheurs comme celles de la baie St. Marie. La pêche côtière est la dernière pêche à petite échelle et Clearwater essaie d’en prendre le contrôle. […] Clearwater et les deux niveaux du gouvernement canadien bénéficient du long délai d’application de la décision Marshall parce qu’ils n’ont pas eu à renoncer à leur contrôle sur la pêche pendant cette période et ont pu consolider leur pouvoir et leur accès aux richesses grâce à la ZPH 41. En outre, le niveau de confusion et d’agitation entourant le conflit dans la baie SteMarie détourne l’attention de cette consolidation et de l’absence d’action sur les droits des Mi’kmaq.

(Robin Tress, Trapped in Conflict : How the corporate megafishery Clearwater has set the stage for violent conflict in Mi’kma’ki, Council of Canadians, 22/10/20, ma traduction)

L’emprise capitaliste c’est aussi celle des banques. « [L]es sommes dont ont besoin des pêcheurs sont maintenant astronomiques, avec des bateaux de plus en plus grands et de plus en plus chers. […] « Les coûts sont devenus extrêmement élevés, tant pour obtenir un permis que pour tout le reste. Il faut des outils financiers », dit Robert Thibault [ancien ministre fédéral des Pêches et des Océan] au point que parfois « le pêcheur est le détenteur officiel du permis, mais ne sert que de prête-nom. Dans plusieurs cas, une entreprise lui fournit un bateau et un équipage et engrange les profits de la pêche. » (Des acheteurs de homard de la N.-É. veulent pouvoir financer les pêcheurs, Radio-Canada, 30/10/17). Depuis 2017, le coût du permis a beaucoup augmenté ce qui est un obstacle à la relève alors que

...la majorité des pêcheurs commerciaux [au Nouveau-Brunswick] auraient plus de 50 ans. […] Des permis de homard se seraient négociés à 1 million $, voire 1,5 million $. […] les créanciers demanderont probablement que le prêt soit remboursé en 10 ans. Cela veut dire que le jeune capitaine aura des paiements annuels de capital de 70 000$, en plus des intérêts. « Essentiellement, dans la première année, on va faire face à des obligations financières de l’ordre de 100 000$. » [de dire Jean Lanteigne, directeur général de la Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels (FRAPP).] Avec des prix du homard à 5$ à 6$ la livre, un pêcheur aura droit – dans une bonne année – à un revenu brut de 250 000 $ à 300 000 $. En plus des paiements de la dette, cette somme doit couvrir le coût de l’essence, le salaire des hommes de pont, les réparations, l’appât et les autres dépenses qui surviennent en cours de route. « Est-ce que ça se fait ? C’est serré, mais ce n’est pas impossible. On ne va pas vivre riche. Parle-t-on de conditions extrêmes ? À mon avis, oui. Dans une saison qui dure deux mois, il faut capturer presque 1000 livres par jour pour joindre les deux bouts. Le gars qui prend 30 000 livres de homard dans sa saison, lui ça ne fonctionnera pas. C’est voué à la faillite dès la première journée. »

(Crabe et homard : quel avenir pour les jeunes pêcheurs ? - Acadie Nouvelle - Dossier Exclusif par Acadie Nouvelle le mercredi 12 juin 2019)

S’il en est ainsi des petits propriétaires de bateaux de pêche, qu’en est-il de leurs employés ?

« Malheureusement, les gens les plus qualifiés et les mieux placés pour la relève sont nos hommes de pont. Mais avec un salaire d’homme de pont, ça va leur prendre toute leur vie pour amasser la mise de fonds », explique Mathieu Noël, directeur d’Opilio, une filiale de l’Union des pêcheurs des Maritimes (UPM).

Comme le prix du homard baisse tendanciellement depuis 2017, après avoir grimpé depuis la grande récession de 2008-2009, on peut imaginer le stress des petits pêcheurs commerciaux et de leurs employés à la limite de la rentabilité :

C’est le capitalisme canadien, raciste et sexiste, qui est colonisateur et non les peuples

Les pièces du casse-tête étant étalées sur la table de l’analyse reste à les rassembler. On voit bien que le gouvernement fédéral freine des deux pieds tout enclenchement de solution car il sait très bien qu’elle l’obligera à faire justice à la nation mi’kmaq dont les pêcheurs ont droit à une pêche au-delà de la subsistance de par le jugement Marshall, donc commerciale, ce qui signifie un niveau de vie égal à celui des pêcheurs nonautochtones, ce qui par ricochet s’applique à l’ensemble de la communauté. D’autre part, il réalise très bien qu’il n’y a rien à aller chercher du côté des pêcheurs acadiens et canadiens-anglais marchant sans cesse sur la corde raide de la menace de la banqueroute en particulier pour les plus jeunes. Et comme gouvernement de la bonne gouvernance capitaliste, Ottawa protège le monopole de Clearwater. Non seulement ne veut-il pas faire payer le capital financier dont il protège les paradis fiscaux mais lui et sa Banque du Canada, tant lors de la récession 2008-09 et encore plus maintenant durant la présente crise pandémique, mobilisent des centaines de milliards $ pour maintenir leur solvabilité et rentabilité qui va très bien merci.

L’on constate la stratégie du gouvernement fédéral qui par sa gestion de la pêche, par son laisser-faire face aux conséquences prévisibles de l’arrêt Marshall, par la passivité de sa police face à la violence raciste, divise deux nations opprimées l’une contre l’autre afin de régner. Ottawa fait faire son sale boulot raciste par les petits pêcheurs en grande partie acadiens au lieu de le faire faire par sa police comme ce fut le cas pour le Wet’suwet’en de Colombie-Britannique et comme c’est le cas actuellement contre les Kanyen’kehà : ka en Ontario qui bloquent une route pour empêcher l’édification d’un projet immobilier sur leur territoire. Les petits pêcheurs, apeurés par leur fragilité économique et financière dans ces temps troubles et imprégnés du racisme ambiant vis-à-vis les autochtones, ont momentanément perdu la tête à l’encontre de leurs directions élues. Rien n’indique que se consolide organisationnellement une tendance d’extrême-droite. La poussière retombant et les séquelles d’isolement d’un tel comportement devenant évidentes, il n’y a pas de raison de penser que le bon sens des combats solidaire reviendra.

Il est réducteur de constater que la violence raciste actuelle émane de la seule contradiction entre les premiers peuples et les peuples historiquement des colons mais non colonisateurs pour autant. En est la source le capitalisme réellement existant qui est historiquement et donc intrinsèquement raciste à cause de l’esclavage moderne et de ses séquelles Jim Crow ancien et nouveau, tout comme il est sexiste à cause de la chasse aux sorcières et ses séquelles d’infantilisation légale et du privilège inhérent de cuissage, tout comme celui canadien est colonisateur de par ses conquêtes, contrôles et déportations des peuples autochtones, québécois et acadien. Si les conséquences socio-économiques et territoriales pour les peuples autochtones sont drastiques et dramatiques en terme de misère et de dépossession, elles le sont constitutionnellement pour les peuples acadien et québécois qui ne jouissent même pas d’un article 35 si ambigu soit-il... en se souvenant que cet article 35 fut concédé aux peuples autochtones afin d’isoler celui québécois pour lui imposer une constitution et une charte anti-français qu’il a unanimement rejeté et rejette toujours.

Il ne s’agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul mais de mettre à nu Clearwater et les banques

Il s’agit de construire un rapport de forces vis-à-vis la collusion fédéral-Clearwater-banques laquelle ne peut que se réjouir de la ruine momentanée du capital de sympathie des petits pêcheurs auprès de la majorité populaire qui à Halifax et ailleurs en Nouvelle-Écosse s’est plutôt montrée favorable aux pêcheurs mi’kmaq en achetant leurs homards à travers une vente de trottoir et parfois en boycottant le homard acadien. À terme, contre l’ennemi il faut viser un front commun des nations mi’kmaq et acadienne avec l’Union des pêchers des Maritimes appuyé par la majorité populaire. La commune ressource à se partager et à protéger requiert une gestion commune tout en corrigeant la spoliation historique du peuple mi’kmaq. Une politique de transferts de permis contre compensations même généreuses à accorder aux pêcheurs non-autochtones ne tient pas compte que pour en particulier les pêcheurs acadiens la pêche est un mode vie imposé d’ailleurs par le colonisateur britannique, dont le gouvernement canadien est le successeur, suite au nettoyage ethnique (la déportation) de 1755-1763 qui leur enlevait leurs terres très productives arrachées à la mer à la manière hollandaise dans la baie de Fundy.

La solution n’est pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul mais de mettre à nu Clearwater et les banques. Enlever à Clearwater ses casiers à homard en haute mer pourrait multiplier par dix le nombre ridicules de casiers autochtones quitte à redistribuer le tout car les petits bateaux autochtones ne peuvent y aller. Peut-être ne serait-ce pas suffisant mais ce serait un bon début. Taxer le capital financier pour racheter les permis des pêcheurs prenant leur retraite non seulement leur assurerait une retraite décente mais faciliterait la relève et sans doute un certain nombre de transferts de permis aux Mi’kmaq. Plus globalement, il faut exiger du fédéral à travers l’imposition du capital financier des fonds substantiels de réparation historique envers les nations mi’kmaq et acadienne de sorte à leur donner les moyens d’un développement économique autonome sur leurs terres historiques. Lesquelles ? Comme pour le Québec et ailleurs au Canada, s’impose le démantèlement des provinces en faveur d’une mosaïque multinationale dont la majorité des terres seront en cogestion. Par là on s’inscrit dans un horizon anticapitaliste de rejet des frontières sur le modèle de la propriété privée.

En avant donc pour ce front commun des nations et nationalités opprimées et des peuples travailleurs du Canada contre ce 1% fédéral-capital financier-grandes entreprises. À court terme, cependant, on ne saurait blâmer la demande pressante de la communauté mi’kmaq pour la protection de la GRC. Quand on est attaqué, on appelle la police même si on la déteste.

Marc Bonhomme, 1er novembre 2020

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