Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La guerre en Ukraine - Les enjeux

Un moment extrêmement dangereux de l’histoire quand même parler de la diplomatie est exclu

Washington persister a rejeter les appels à la diplomatie venant du monde entier

L’Ukraine a été ravagée par des destructions choquantes et des violences meurtrières depuis que la Russie a envahi le pays en février. Les estimations du nombre de morts vont d’un minimum confirmé de 27,577 personnes, dont 6,374 civil.e.s, à plus de 150, 000. Le massacre ne peut que devenir plus horrible tant que toutes les parties, y compris les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, restent engagées dans la guerre.

27 octobre 2022
www.commondreams.org /views/2022/10/27/extremely-dangerous-moment-history-when-even-talk-diplomacy-table

Au cours des premières semaines de la guerre, les États-Unis et les pays de l’OTAN ont envoyé des armes en Ukraine pour tenter d’empêcher la Russie de vaincre rapidement les forces armées ukrainiennes et de procéder à un « changement de régime », à la manière américaine. Mais depuis que cet objectif a été atteint, les seuls objectifs que le président Zelenskii et ses allié.e.s occidentaux et occidentales ont publiquement proclamés sont de récupérer tout le territoire de l’Ukraine d’avant 2014 et de vaincre et d’affaiblir la Russie de manière décisive.

Au mieux, ce sont des souhaits ambitieux, qui nécessitent le sacrifice de centaines de milliers, voire des millions, de vies ukrainiennes, quel que soit le résultat. Pire encore, si ils étaient jamais sur le point de se réaliser, ils sont susceptibles de déclencher une guerre nucléaire, ce qui en fait la quintessence d’une « situation sans gagnant possible ».

À travers le spectre politique, d’officiers militaires et diplomates à la retraite à des journalistes et universitaires, il y a des « adultes dans la salle » qui reconnaissent les dangereuses contradictions de la politique américaine par rapport à l’Ukraine.

Fin mai, le président Biden a répondu à des questions probantes du comité de rédaction du New York Times par rapport aux contradictions de sa politique ukrainienne. Il a répondu que les États-Unis envoient des armes pour que l’Ukraine « puisse se battre sur le champ de bataille et être dans la position la plus forte possible à la table des négociations. »

Mais lorsque Biden a écrit cela, l’Ukraine n’avait aucune position à aucune table de négociation, principalement grâce aux conditions que Biden lui-même et les dirigeant.e.s de l’OTAN ont attachées à leur soutien militaire. En avril, après que l’Ukraine ait négocié un plan de paix en 15 points pour un cessez-le-feu, pour un retrait russe et pour un avenir pacifique de l’Ukraine en tant que pays neutre, les États-Unis et le Royaume-Uni ont refusé de fournir à l’Ukraine les garanties de sécurité qui étaient un élément essentiel de l’accord.

Comme l’a déclaré à Kyiv le 9 avril le Premier ministre britannique d’alors Boris Johnson, aujourd’hui en disgrâce, au président Zelenskii, « l’Occident collectif » était là « pour le long terme », ce qui signifiait pour une longue guerre contre la Russie et que ces États n’allaient pas participer à aucun accord entre l’Ukraine et la Russie.

En mai, les forces russes ont avancé à travers le Donbass, forçant Zelenskii à admettre, le 2 juin, que la Russie contrôlait désormais 20 % du territoire ukrainien d’avant 2014, laissant l’Ukraine dans une position plus faible et non plus forte.

Six mois après que le secrétaire américain Austin a déclaré en avril que le nouvel objectif de la guerre était de vaincre et « d’affaiblir » de manière décisive la Russie, le président Biden rejette toujours les appels à une nouvelle initiative de paix. Ainsi, les États-Unis et le Royaume-Uni n’avaient aucune réserve à intervenir pour tuer les pourparlers de paix en avril. Mais maintenant qu’ils ont poussé le président Zelenski à mener une guerre sans fin, Biden insiste hypocritement sur le fait qu’il n’a pas son mot à dire, si Zelenskii rejette les négociations de paix.

Mais il est axiomatique que les guerres se terminent à la table des négociations, comme Biden l’a reconnu lui-même au Times. La sempiternelle question épineuse pour les chefs de guerre est « Quand faut-il négocier ? » Le problème est que, lorsque votre camp semble gagner, vous n’êtes guère incité à arrêter de vous battre. Mais lorsque vous etes en train de perdre, il n’y a pas non plus d’incitation à négocier à partir d’une position de faiblesse, tant que vous pensez que la marée de la guerre tournera tôt ou tard encore en votre faveur et améliorera votre position. C’était l’espoir sur lequel Johnson et Biden ont convaincu Zelenskii de jouer l’avenir de son pays en avril.

L’Ukraine a récemment lancé des contre-offensives localisées et a récupéré des morceaux de son territoire. La Russie a réagi en envoyant des centaines de milliers de soldats frais dans la guerre et en commençant à démolir systématiquement le réseau électrique ukrainien.

L’escalade de la crise révèle la faiblesse de la position de Biden. Il parie avec des centaines de milliers de vies ukrainiennes, sur lesquelles il n’a aucune prétention morale, que l’Ukraine sera en quelque sorte dans une position militaire plus forte après un hiver de guerre et de pannes de courant, avec des centaines de milliers de soldats russes supplémentaires dans les zones contrôlées par la Russie. C’est un pari sur une guerre beaucoup plus longue, dans laquelle les contribuables américain.e.s livreront des milliers de tonnes d’armes et des millions d’Ukrainien.ne.s mourront, sans aucune fin de partie claire… à part la guerre nucléaire.

Grâce à la faillite morale et intellectuelle des médias de masse américains, la plupart des Américain.e.s n’ont aucune idée de la manière trompeuse dont Biden et ses allié.e.s britanniques à tête de bulle ont poussé Zelenskii dans une décision suicidaire d’abandonner des négociations de paix prometteuses en faveur d’une longue guerre qui détruira son pays.

Les horreurs de la guerre, les contradictions de la politique occidentale, le retour de bâton sur l’approvisionnement énergétique en Europe, le spectre de la famine qui guette le Sud global, et le danger croissant d’une guerre nucléaire provoquent un chœur mondial de voix, appelant de toute urgence à la paix en Ukraine.

Si vous êtes au régime médiatique de la bouillie mince qui passe ces jours-ci pour des informations en Amérique du Nord, vous n’avez peut-être pas entendu les appels à la paix du secrétaire général de l’ONU Guterres, du pape François ou des dirigeant.e.s de 66 pays s’exprimant lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre, qui représente la majorité de la population mondiale.

Mais il y a aussi des Américain.e.s qui appellent à la paix. De tous les horizons politiques, des officiers militaires et diplomates à la retraite aux journalistes et universitaires, il y a des « adultes dans la salle » qui reconnaissent les dangereuses contradictions de la politique américaine par rapport à l’Ukraine et qui se joignent aux dirigeant.e.s du monde entier pour appeler à la diplomatie et à la paix.

Jack Matlock a été le dernier ambassadeur des États-Unis en Union soviétique, de 1987 à 1991, après une carrière de 35 ans en tant que spécialiste soviétique au service extérieur américain. Matlock était à l’ambassade de Moscou pendant la crise des missiles cubains, où il a traduit des messages critiques entre Kennedy et Khrouchtchev.

Le 17 octobre 2022, dans un article dans la revue Responsible Statecraft intitulé « Pourquoi les États-Unis doivent faire pression pour un cessez-le-feu en Ukraine », l’ambassadeur Matlock a écrit qu’en tant que principal fournisseur d’armes à l’Ukraine et parrain des sanctions les plus punitives contre la Russie, le gouvernement des États-Unis « est obligé d’aider à trouver une issue » à cette crise. L’article concluait : « Jusqu’à ce que… les combats cessent et que des négociations sérieuses commencent, le monde se dirige vers une issue où nous sommes tous et toutes perdant.e.s. »

Rose Gottemoeller, secrétaire générale adjointe de l’OTAN de 2016 à 2019, après avoir été conseillère principale du président Obama pour la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération, est une autre diplomate américaine chevronnée qui s’est prononcée en faveur de la diplomatie sur l’Ukraine. Elle a récemment écrit dans le Financial Times qu’elle ne voyait pas de solution militaire à la crise en Ukraine, mais que des « pourparlers discrets pourraient conduire au type de « marché discret » qui a résolu la crise des missiles cubains il y a 60 ans. »

Du côté militaire, l’amiral Mike Mullen a été le président des chefs d’état-major interarmées de 2007 à 2011. Après que le président Biden ait parlé informellement, lors d’une soirée de collecte de fonds, de la guerre en Ukraine qui pourrait mener à un « Armageddon » nucléaire, la chaîne ABC a interviewé Mullen sur le danger d’une telle guerre. « Je pense que nous devons reculer un peu et faire tout ce que nous pouvons pour arriver à la table de négociations afin de résoudre ce problème », a répondu Mullen. « Il faut que cela se termine, et il y a généralement des négociations associées à cela. En ce qui me concerne, le plus tôt sera le mieux. »

Même si nous parvenons à éviter la guerre nucléaire, l’impact d’une guerre longue et sanglante détruira l’Ukraine et tuera des millions d’Ukrainien.ne.s, provoquera des catastrophes humanitaires dans les pays du Sud, et déclenchera une crise économique mondiale de longue durée.

L’économiste Jeffrey Sachs était le directeur de l’Institut de la Terre et maintenant du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia à New York. Il a été une voix constante pour la paix en Ukraine depuis l’invasion. Dans un article récent du 26 septembre, intitulé « Le grand jeu en Ukraine devient incontrôlable », Sachs citait le président Kennedy en juin 1963, qui énonçait ce que Sachs appelait « la vérité essentielle qui peut nous maintenir en vie aujourd’hui » :

« Avant tout, tout en défendant nos propres intérêts vitaux, les puissances nucléaires doivent éviter ces confrontations qui amènent un.e adversaire à choisir entre une retraite humiliante ou une guerre nucléaire, » a déclaré JFK. « Adopter ce genre de position à l’ère nucléaire ne serait que la preuve de la faillite de notre politique - ou d’un désir de mort collectif pour le monde entier. »

Et Sachs a conclu : « Il est urgent de revenir au projet d’accord de paix entre la Russie et l’Ukraine de fin mars, basé sur le non-élargissement de l’OTAN… La survie même du monde dépend de la prudence, de la diplomatie et du compromis de toutes les parties. »

Même Henry Kissinger, dont les propres crimes de guerre sont bien documentés, s’est prononcé sur l’absurdité de la politique américaine actuelle. Kissinger a déclaré au Wall Street Journal en août : « Nous sommes au bord de la guerre avec la Russie et la Chine sur des problèmes que nous avons en partie créés, sans aucune idée de la façon dont cela va se terminer ou de ce à quoi cela est censé mener. »

Au Congrès américain, après que chaque démocrate a voté pour un chèque en blanc virtuel pour armer l’Ukraine en mai, sans aucune disposition pour le rétablissement de la paix, la présidente du Caucus progressiste Pramila Jayapal et 29 autres représentant.e.s démocrates progressistes ont récemment signé une lettre au président Biden, l’exhortant à « faire des efforts diplomatiques vigoureux pour soutenir un règlement négocié et un cessez-le-feu, engager des pourparlers directs avec la Russie, explorer les perspectives d’un nouvel accord de sécurité européen acceptable pour toutes les parties qui permettra une Ukraine souveraine et indépendante, et, en coordination avec notre partenaires ukrainien.ne.s, chercher une fin rapide au conflit et réitérer cet objectif comme la principale priorité de l’Amérique. »

Malheureusement, la réaction au sein de leur propre parti a été si violente qu’en moins de 24 heures, ils et elles ont retiré la lettre. Se ranger du côté des appels à la paix et à la diplomatie du monde entier n’est toujours pas une idée dont l’heure est venue dans les couloirs du pouvoir à Washington DC.

C’est un moment extrêmement dangereux de l’histoire. Les Américain.e.s prennent conscience de la réalité que cette guerre nous menace du danger existentiel d’une guerre nucléaire, un danger auquel la plupart des Américain.e.s pensaient avoir survécu une fois pour toutes à la fin de la Première Guerre froide.

Mais même si nous parvenons à éviter la guerre nucléaire, l’impact d’une guerre longue et sanglante détruira l’Ukraine et tuera des millions d’Ukrainien.ne.s, provoquera des catastrophes humanitaires dans les pays du Sud et déclenchera une crise économique mondiale de longue durée.

Cela reléguera en veilleuse pour l’avenir prévisible toutes les priorités urgentes de l’humanité - les luttes contre la crise climatique, contre la faim, la pauvreté et la maladie.

Mais il existe une alternative. Nous pouvons et devons résoudre ce conflit par la diplomatie et par la négociation pacifique afin de mettre fin rapidement aux tueries et aux destructions et pour permettre au peuple ukrainien de vivre en paix.

*Auteur.e.s de War in Ukraine : Making Sense of a Senseless Conflict, disponible de OR Books en ovembre 2022

Medea Benjamin

Medea Benjamin (née le 10 septembre de 1952) est une militante politique américaine, surtout connue pour avoir co-fondé le mouvement féministe et pacifiste Code Pink et, avec l’activiste et auteur Kevin Danaher, le groupe Global Exchange. Benjamin est également candidate du Parti Vert dans la Californie en 2000 pour le Sénat des États-Unis. Actuellement, elle contribue à OpEdNews1 et Le Huffington Post2.

En 2003, The Los Angeles Times la décrit comme "l’une des dirigeantes de haut-profil" du mouvement pacifiste3.

En 2017, Benjamin est nominée pour le Prix Nobel de la Paix par Mairead Maguire.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Medea_Benjamin

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