Édition du 30 septembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

25 ans de réductions d’impôts et de désastre budgétaire aux Etats-Unis

Le 3 juillet, le Congrès américain a adopté les réductions d’impôts de Trump. Les médias traditionnels et les économistes ont principalement rendu compte des détails de ces réductions, c’est-à-dire les impôts qui ont été réduits dans la loi de 2025, les gains qui en découlent pour les entreprises et les riches par rapport au reste de la population, l’impact sur le PIB et peut-être même sur les déficits et la dette publics.

12 août 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/25-ans-de-reductions-dimpots-et-de-desastre-budgetaire-aux-etats-unis.html

Tout cela est intéressant, mais ce n’est pas le plus important. Ils ignorent délibérément la perspective historique de ces réductions d’impôts et la situation d’ensemble qu’elles révèlent.

Cette situation d’ensemble annonce la crise budgétaire qui se profile, alimentée par la convergence croissante entre les réductions effrénées d’impôts depuis 2001, l’escalade chronique des dépenses militaires et de guerre, les crises économiques de plus en plus fréquentes et profondes entrecoupées de périodes de croissance économique plus lente, et maintenant, depuis 2022, l’accélération des coûts annuels de la dette nationale des Etats-Unis, qui s’élèvent à des milliers de milliards de dollars.

La dette des Etats-Unis est en passe d’atteindre 38 000 milliards de dollars d’ici la fin de l’année 2025. Les paiements d’intérêts aux détenteurs d’obligations dépassent déjà 1000 milliards de dollars par an. Le Congressional Budget Office, l’organe de recherche du Congrès américain, estime que la dette nationale atteindra 56 000 milliards de dollars d’ici 2034, avec des paiements d’intérêts à hauteur de 1700 milliards de dollars, et tout cela était pronostiqué avant que Trump adopte des réductions d’impôts de 5000 milliards de dollars.

De plus, l’élite américaine » ne montre aujourd’hui aucun signe de vouloir remédier à la crise budgétaire qui s’annonce. Elle continue :

• à réduire de plusieurs milliers de milliards de dollars les impôts des entreprises, des investisseurs et des 1% des ménages les plus riches,
• à augmenter les dépenses du Pentagone, des guerres et autres « mesures de défense » [voir l’article de William D. Hartung publié sur le site alencontre.org le 29 juillet],
• à permettre aux assurances maladie et aux grandes entreprises pharmaceutiques de ponctionner le Trésor,
• à verser chaque année des milliers de milliards de dollars supplémentaires aux détenteurs de titres américains, qu’ils soient étrangers ou états-uniens.

De nombreuses études montrent que, historiquement, 60% des déficits budgétaires des Etats-Unis, et donc de la dette nationale, sont dus à l’insuffisance des recettes fiscales, résultant de réductions chroniques d’impôts, d’une croissance économique lente, de l’évasion fiscale légale et de la fraude. Voici quelques faits intéressants sur les réductions d’impôts cumulées opérées par les deux partis politiques depuis 2001.

Réductions d’impôts cumulées 2001-2025

Les réductions d’impôts de George W. Bush décidées en 2001-2003 se sont élevées à 3800 milliards de dollars sur la décennie 2001-2010. On estime qu’environ 80% de ces réductions ont profité aux entreprises, aux sociétés et aux particuliers fortunés, car elles ont été principalement axées sur les taux d’imposition des particuliers, les plus-values et les dividendes des entreprises, ainsi que sur l’impôt sur les successions touchant les 1% des ménages les plus riches. George W. Bush a ensuite réduit les impôts de 180 milliards de dollars au printemps 2008, alors que l’économie commençait à entrer en récession et que la grande crise de 2008-2009 se profilait.

Lorsque Barak Obama a pris le pouvoir en 2009, son plan de relance économique, l’American Rescue Plan, adopté en mars, prévoyait 325 milliards de dollars supplémentaires de réductions d’impôts. L’ensemble de son plan de relance s’élevait à 787 milliards de dollars, dont 280 milliards ont été alloués aux Etats, qui ont ensuite thésaurisé la majeure partie de cette somme.

Moins de 200 milliards de dollars ont donc été consacrés à la relance de la consommation, ce qui s’est immédiatement révélé insuffisant pour relancer l’économie des Etats-Unis. Il a dû ajouter 25 milliards de dollars supplémentaires pour le programme « cash for clunkers » ou Car Allowance Rebate System [prime à la casse devant faciliter l’achat de nouvelles voitures consommant moins d’essence] et 25 milliards de dollars supplémentaires pour les « first time home buyers » (acheteurs d’une première maison) plus tard dans l’année. La plupart de ces derniers n’ont d’ailleurs pas été versés aux acheteurs de maisons, mais aux prêteurs hypothécaires afin de les inciter à accorder davantage de prêts hypothécaires.

Lorsque les réductions d’impôts de Bush ont dû être renouvelées en 2010, Obama les a prolongées de deux ans, jusqu’en 2012. Cela représentait 803 milliards de dollars supplémentaires de réductions d’impôts, là encore principalement au profit des riches et des entreprises.

En août 2011, dans le cadre d’un accord avec le Congrès [les républicains sont majoritaires dans la Chambre des représentants], Obama a réduit les dépenses sociales de 1500 milliards de dollars dans le cadre d’un nouveau plan « d’austérité ». 1000 milliards ont été supprimés dans le seul domaine de l’éducation et d’autres programmes sociaux ; 500 milliards de dollars devaient être supprimés dans les dépenses de défense, mais cette mesure a été reportée et n’a jamais été appliquée.

Les plans d’austérité dans les programmes sociaux suivent toujours les plans de relance en cas de crise. Cela a été le cas en 2011 après les plans de relance de 2009-2010. C’est à nouveau le cas aujourd’hui, en 2025, après les plans de relance Covid de 2020-2021, que nous aborderons plus en détail ci-dessous.

Les réductions d’impôts d’Obama en 2012 ont rendu permanentes celles de Bush. Elles ont coûté 5000 milliards de dollars supplémentaires. Elles étaient censées éviter ce que les médias, les lobbyistes et les propagandistes appelaient le « mur budgétaire » imminent [pour s’opposer à des augmentations d’impôts – qui passeraient de 35% à 39,6% – entre autres sur les Américains gagnant plus de 400 000 dollars annuels]. Elles étaient censées relancer l’économie.

Ce ne fut pas le cas. La croissance économique en termes de PIB pour le reste du mandat d’Obama n’a atteint en moyenne que 60% de la moyenne historique des périodes de reprise qui ont suivi les dix récessions précédentes aux Etats-Unis depuis 1948.

Obama a donc réduit les impôts des riches et des entreprises plus que Bush. Pour rappel, Bush a réduit les impôts de 4000 milliards de dollars (3800 milliards + 180 milliards). Obama a réduit les impôts de 325 milliards de dollars (2009) + 803 milliards de dollars (2010-2011), puis de 5000 milliards de dollars (2012). Cela représente 4000 milliards de dollars (Bush) et 6100 milliards de dollars (Obama). Puis sont venus les 4500 milliards de dollars de Trump en 2018.

***

Trump avait promis pendant la campagne électorale de 2016 de réduire les impôts de 5000 milliards de dollars. Et c’est à peu près ce qu’il a fait. La réduction d’impôts de 2018 pour la décennie à venir a coûté 4500 milliards de dollars.

Son administration, soutenue par les médias et les économistes de profession, a estimé que ces 4500 milliards de dollars ne coûteraient que 1900 milliards. Le secrétaire au Trésor de Trump à l’époque, Steve Mnuchin, a même déclaré publiquement que les réductions d’impôts de Trump « se financeraient d’elles-mêmes ».

Il voulait dire par là que les réductions d’impôts stimuleraient tellement le PIB et l’économie des Etats-Unis que la croissance entraînerait une augmentation des recettes fiscales au cours de la décennie qui compenserait les 1900 milliards de dollars. Citons Steve Mnuchin à l’époque : « nous pensons que les réductions d’impôts s’autofinanceront sur une période de dix ans » (Reuters, 13 février 2020).

La preuve que les réductions d’impôts de Trump en 2018 s’élevaient à 4500 milliards de dollars, et non à 1900 milliards, se reflétait dans les prévisions budgétaires de l’administration Trump et dans la réduction du déficit fédéral américain de 4600 milliards de dollars sur la décennie 2018-2028. Une preuve encore plus convaincante a été fournie par le Congressional Budget Office (Bureau du budget du Congrès), l’organe de recherche du Congrès, qui a estimé en 2025 que le coût des réductions d’impôts de 2018 s’élevait à au moins 4000 milliards de dollars au total !

Pendant plusieurs années, lors de débats avec des économistes de profession de renom tels que Robert Reich et Paul Krugman, l’auteur de cet article n’a cessé de démontrer que les réductions d’impôts de Trump ne s’élevaient pas à 1900 milliards de dollars, mais à 4500 milliards de dollars. Voici pourquoi.
Tout d’abord, l’estimation officielle de 1900 milliards de dollars était basée sur l’hypothèse que l’économie américaine connaîtrait une croissance annuelle de 3 à 3,5% au cours des dix prochaines années, soit de 2018 à 2028. Une prévision qui s’est avérée totalement inexacte.

Après une croissance modeste en 2018-2019, l’économie des Etats-Unis s’est effondrée en 2020 lorsque le gouvernement a ordonné un arrêt partiel de l’activité économique en réponse au Covid. L’économie a redémarré timidement et s’est redressée par étapes en 2021. Elle n’a ensuite connu qu’une croissance modérée entre 2022 et 2024 [respectivement 2,5%, 2,9% et 2,8%].

Cette modeste reprise du PIB sur trois ans a fait suite à l’énorme plan de relance budgétaire et monétaire de 10 700 milliards de dollars mis en place par le Congrès et la Réserve fédérale (Fed, banque centrale) entre 2020 et 2022 : 6700 milliards de dollars de relance budgétaire et 4000 milliards de dollars supplémentaires de relance monétaire par la Réserve fédérale. En d’autres termes, une montagne de mesures de relance n’a produit qu’une goutte d’eau dans l’océan du PIB.

Ensuite, l’estimation des réductions d’impôts de 2018 a largement sous-estimé et n’a pas pris en compte l’ampleur des réductions d’impôts dont ont bénéficié les transnationales américaines offshore.
Les 108 plus grandes entreprises américaines du classement Fortune 500 ayant des filiales offshore avaient accumulé 2700 milliards de dollars sur leurs comptes offshore, qu’elles ne rapatriaient pas aux Etats-Unis afin d’éviter de payer le taux d’imposition des sociétés de 35% en vigueur à l’époque. Les estimations des bénéfices non rapatriés provenant des activités offshore des transnationales américaines s’élevaient à 4000 à 5000 milliards de dollars.

Les réductions d’impôts de Trump en 2018 leur ont permis de rapatrier ces bénéfices et de ne payer que 10%. Cela représente une économie d’impôt de 25% sur au moins 4000 milliards de dollars.
Le département américain du Commerce a estimé en 2020 que les transnationales américaines n’avaient rapatrié que 750 milliards de dollars en 2018 et 250 milliards supplémentaires en 2019. Elles ont donc payé 10%, soit 100 milliards de dollars, au lieu de 35%, soit 350 milliards. Elles ont empoché les 900 milliards restants sur les mille milliards rapatriés. Malheureusement, aucun registre gouvernemental à ce sujet n’a été tenu après 2019.

Qu’ont-elles fait des 900 milliards de dollars qu’elles ont rapatriés ? Comme l’a rapporté le Wall Street Journal le 28 janvier 2020 : « Une grande partie de ce que les entreprises ont récupéré a servi à des rachats d’actions ». Après avoir atteint en moyenne environ 125 milliards de dollars par trimestre en 2017, les rachats d’actions du S&P 500 ont bondi à 200 milliards de dollars par trimestre en 2018 et 2019.

Et qu’est-il advenu des quelque 3000 à 4000 milliards de dollars supplémentaires que les entreprises n’ont jamais rapatriés ? Elles ont thésaurisé les 3000 à 4000 milliards de dollars restants dans leurs filiales offshore afin d’échapper à l’impôt. Une autre faille leur a permis de convertir leurs bénéfices en espèces provenant de leurs activités à l’étranger en titres financiers à court terme détenus à l’étranger, sur lesquels ils n’avaient pas à payer d’impôts.

Et il y avait un autre moyen d’éviter les impôts : elles ont manipulé leurs prix internes, c’est-à-dire ce que les activités situées aux Etats-Unis facturaient ou payaient à leurs filiales étrangères. Elles ont payé à leurs filiales étrangères des prix plus élevés pour les composants ou les produits finis, transférant ainsi les bénéfices à l’étranger où ils étaient enregistrés à des taux d’imposition plus bas, ce qui a également augmenté leurs coûts aux Etats-Unis et donc réduit les bénéfices imposés à un taux plus élevé.

La loi fiscale Trump de 2018 a également augmenté le montant que les transnationales devaient verser aux pays étrangers, qu’elles pouvaient ensuite déduire de leurs impôts dus aux Etats-Unis.

Le fait est donc que ces règles et ces échappatoires offshore ont considérablement réduit le montant total des réductions d’impôts d’au moins 2000 milliards de dollars sur dix ans, entre 2018 et 2028, qui ont été largement sous-estimées ou n’ont pas été prises en compte dans les estimations officielles du Trump de 2018, qui évaluaient le coût de la réduction d’impôts à 1900 milliards de dollars.

En résumé, des hypothèses erronées concernant la croissance du PIB sur une décennie, la réduction de l’imposition des bénéfices rapatriés et les échappatoires permettant de réduire les impôts dus sur les activités de leurs filiales offshore ont fait que les réductions d’impôts des transnationales américaines ont été bien plus importantes que ce qui avait été annoncé. Ces hypothèses et ces échappatoires ont fait que les réductions de 2018 se sont élevées à 4500 milliards de dollars, et non à 1900 milliards de dollars comme annoncé « officiellement ».

Ainsi, le total des réductions d’impôts pour la période 2001-2019 s’élève à 14 600 milliards de dollars.

***

Puis est venu le plan de relance budgétaire Covid de 2020, pendant la dernière année du mandat de Trump, en 2020. Les impôts ont été réduits de 950 milliards de dollars supplémentaires dans le cadre du plan de relance budgétaire « CARES Act » adopté par le Congrès en mars 2020, puis de 260 milliards de dollars supplémentaires dans le cadre de la loi d’urgence « Consolidated Appropriations Act » adoptée en décembre de la même année, alors que l’économie américaine vacillait à nouveau.
Ces réductions d’impôts de 1200 milliards de dollars en 2020 ont été suivies en 2021 par le plan de relance budgétaire « AMERICAN RELIEF PLAN » de Biden, qui a réduit les impôts de 640 milliards de dollars supplémentaires.

En 2022, Biden a ensuite réaffecté une partie des aides non utilisées pour les programmes sociaux de son plan de relance à une nouvelle série de trois programmes de relance des investissements des entreprises, d’un coût total de 1700 milliards de dollars :

1. la loi sur les infrastructures,
2. la loi sur les puces électroniques et la modernisation,
3. la loi mal nommée « Inflation Reduction Act », qui consistait principalement en des réductions d’impôts et des subventions aux entreprises énergétiques, aux énergies alternatives et aux combustibles fossiles.

Ces trois lois de 2022 sur l’investissement des entreprises ont permis de réduire les impôts d’environ 500 milliards de dollars supplémentaires.

Si l’on additionne toutes les réductions d’impôts de 2001 à 2024, les deux partis – deux administrations républicaines et deux administrations démocrates ont réduit les impôts de près de 17 000 milliards de dollars !

Il n’est donc pas surprenant que Trump 2025 réduise à nouveau les impôts de 5000 milliards de dollars, une fois de plus principalement au profit des entreprises, des investisseurs et des ménages les plus riches. Une réduction massive des impôts est en cours depuis un quart de siècle, depuis 2001. (On peut affirmer que cette tendance remonte encore plus loin, aux réductions d’impôts de Reagan en 1981 et 1986 et à celles de Clinton en 1997-1998.)

***

Tout cela s’inscrit dans la politique budgétaire à long terme de l’ère néolibérale (de 1979 à actuellement) :

• réduire les impôts des riches et de leurs entreprises,
• compenser en partie le coût des réductions d’impôts par des coupes dans les programmes sociaux,
• augmenter les dépenses de défense et de guerre,
• ignorer les effets de tout cela sur les déficits budgétaires et la dette nationale, qui se traduisent par une augmentation des paiements d’intérêts aux détenteurs d’obligations américaines à 1000 milliards de dollars par an.
Des études historiques à long terme montrent de manière concluante que les réductions d’impôts et la baisse des recettes fiscales due à la lenteur de la croissance économique, à la fraude et à l’évasion fiscale sont responsables de 60% des déficits budgétaires.
Les autres facteurs importants qui ont contribué au déficit budgétaire et à la dette nationale des Etats-Unis depuis 2001 sont les suivants :
• les 9000 milliards de dollars dépensés pour les guerres à l’étranger au cours du premier quart du XXIe siècle ;
• les deux grands plans de sauvetage de 2008-2009 (787 milliards de dollars au total), 2020 (3,1 milliards de dollars) et 2021 (1,9 milliard de dollars) ;
• la hausse chronique des prix pratiqués par les entreprises de santé et d’assurance, qui fait grimper le coût des programmes publics d’aide à la santé (Medicare [pour les personnes âges dès 65 ans et les handicapés], Medicaid [personnes à faibles revenus], Schip-State Children’s Health Insurance Program, rebaptisé Chip, pour enfants non assurés de familles à bas revenus, ACA [Obamacare adoptée suite à la hausse du coût des soins]) ;
• l’augmentation des intérêts versés aux investisseurs (américains et étrangers) qui achètent des titres du Trésor américain.

Ainsi, la perte de recettes fiscales due à 25 ans de réductions d’impôts et au ralentissement de la croissance économique à long terme (17 000 milliards de dollars), les 9000 milliards de dollars gaspillés dans des guerres sans fin depuis 2001, le coût des plans de sauvetage (5800 milliards de dollars) et la flambée des prix des soins de santé (environ 500 milliards de dollars) expliquent à eux seuls la majeure partie de la dette nationale actuelle, qui s’élève à 36 200 milliards de dollars.

En bref, un train budgétaire est en train de dérailler depuis au moins 25 ans et le « Big Beautiful Bill » (BBB) de Trump, d’un montant de 5000 milliards de dollars, ainsi que les milliers de milliards supplémentaires consacrés à la défense et aux guerres, font passer ce train à la vitesse supérieure.

Trump, les déficits budgétaires et la dette nationale

Les déficits budgétaires américains s’élèvent en moyenne à 2000 milliards de dollars par an et sont en hausse depuis 2016. Ils devraient augmenter de 2000 milliards supplémentaires en 025, avant même que les réductions d’impôts de Trump n’entrent en vigueur cette année.

La dette nationale n’est que l’accumulation des déficits budgétaires annuels. En 2000, la dette nationale américaine s’élevait à 5600 milliards de dollars. Huit ans plus tard, elle avait presque doublé pour atteindre 10 700 milliards de dollars. Elle a ensuite doublé sous Obama pour atteindre 20 000 milliards de dollars à la fin de 2016. Trump a ajouté 7800 milliards de dollars au cours des quatre années de son premier mandat et Biden a ajouté 850 milliards de dollars supplémentaires en seulement quatre ans. A la fin du mandat de Biden, en décembre 2024, la dette nationale avait atteint 36 200 milliards de dollars.

À titre indicatif, ce chiffre, qui devrait atteindre 38 000 milliards de dollars d’ici la fin de l’année 2025 et 56 000 milliards de dollars d’ici 2034, n’inclut pas la dette inscrite au bilan de la Réserve fédérale (qui s’élève actuellement à 8000 milliards de dollars) ni la dette des Etats et des collectivités locales, qui se chiffre à plusieurs milliers de milliards de dollars supplémentaires.

Conséquences futures

Il est ironique que Trump ait choisi d’appeler sa proposition de réduction des impôts et d’augmentation des dépenses de défense le « Big Beautiful Bill » (le grand beau projet de loi), ou BBB comme l’appelle le Congrès. En effet, dans le monde de la finance, BBB désigne les entreprises les plus mal gérées, surendettées et présentant un risque élevé (notation triple B). La notation triple B les rend financièrement très fragiles et les expose à un risque élevé de défaut de paiement et de faillite.

Il est toutefois peu probable que le gouvernement fédéral américain fasse faillite ou ne puisse honorer ses paiements annuels de 1000 à 1700 milliards de dollars aux détenteurs d’obligations de la dette nationale. Il lui suffit pour cela d’« imprimer » davantage de billets, soit en ajoutant électroniquement des comptes à la Réserve fédérale, soit, dans un avenir proche, en créant une monnaie numérique.

Mais si cela ne signifie pas nécessairement la faillite, cela pourrait très bien entraîner l’effondrement de la valeur du dollar américain à l’échelle mondiale. Cela pourrait à son tour entraîner l’abandon du dollar comme monnaie de réserve et d’échange mondiale. Et cela pourrait entraîner l’effondrement du recyclage des dollars américains vers les Etats-Unis par les détenteurs étrangers de dollars excédentaires. Dans ce cas, le budget annuel des Etats-Unis ne pourrait plus être financé, ce qui nécessiterait alors des réductions massives des dépenses et des hausses d’impôts. En d’autres termes, ce serait la fin de l’empire mondial états-unien.

Les réductions d’impôts et le projet de loi sur les dépenses de Trump ne sont qu’une nouvelle version de la politique budgétaire néolibérale, cette fois-ci sous stéroïdes. Mais la politique budgétaire néolibérale est défaillante. En effet, elle ne produit plus les mêmes effets de relance sur l’économie réelle, les investissements réels et la croissance du PIB qu’au cours des dernières décennies. Il faut augmenter l’ampleur des mesures de relance budgétaire pour générer une croissance du PIB réel identique, voire inférieure.

La politique budgétaire a plutôt pour effet de stimuler les marchés financiers, aux Etats-Unis et dans le monde, et donc de faire grimper les cours des actions, des obligations, des devises, des produits dérivés et autres instruments financiers. Ou bien les réductions d’impôts sont réorientées par les transnationales qui en bénéficient vers des investissements et des activités offshore.

En d’autres termes, elles servent à subventionner l’expansion du capital états-unien à l’étranger. La financiarisation et la mondialisation des investissements sont deux caractéristiques de l’économie capitaliste du XXIe siècle. Un effet similaire s’applique à la politique monétaire américaine : une part de plus en plus importante des injections de liquidités de la Réserve fédérale dans l’économie est détournée vers les marchés financiers et vers l’étranger.

La meilleure preuve en est peut-être les 10 700 milliards de dollars de mesures de relance budgétaire et monétaire injectés par le Congrès et la Réserve fédérale en 2020-2022. Cela aurait dû entraîner une expansion massive de la croissance du PIB en 2022-2024. Elle n’a produit qu’une croissance historique moyenne un peu supérieure à 2%.

Tous les médias, les économistes et les responsables gouvernementaux qui vantent les mérites des réductions d’impôts de Trump et de la loi BBB pour stimuler l’économie réelle (c’est-à-dire les salaires, l’emploi, l’investissement, etc.) ne font que du battage médiatique. Les réductions d’impôts de 2018 n’ont pas eu cet effet. Ni celles d’Obama et de Bush avant elles. La loi BBB actuelle de Trump n’aura pas d’effet différent.

La politique budgétaire et monétaire de la fin de l’ère néolibérale – dans le capitalisme américain et l’empire économique mondial du XXIe siècle – est en train d’échouer. Néanmoins, « l’élite américaine » redouble d’efforts pour réduire les impôts des riches et mener ses guerres pour défendre l’empire.

Jack Rasmus

Jack Rasmus est professeur au St. Mary’s College en Californie et l’auteur du livre récemment publié The Scourge of Neoliberalism : US Economic Policy from Reagan to Trump (Le fléau du néolibéralisme : la politique économique américaine de Reagan à Trump), Clarity Press, 2020.
Article publié sur le site de Jack Rasmus le 11 juillet 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/25-ans-de-reductions-dimpots-et-de-desastre-budgetaire-aux-etats-unis.html

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Jack Rasmus

Jack Rasmus est l’auteur de nombreux ouvrages, dont à paraître The Scourge of Neoliberalism : US Policy from Reagan to Trump’, Clarity Press, September 2019.

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