Édition du 26 mars 2024

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Libre-échange

AÉCG : une opposition qui dérange plus qu'on pense

À répétition, le gouvernement fédéral a annoncé la conclusion des négociations de l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne, d’abord pour la fin 2011, puis pour la fin 2012. Février 2013, les négociateurs s’activent toujours et le tout pourrait être scellé bientôt ou lorsque vous lirez ces lignes.

(tiré d’ATTAC-Québec, bulletin no. 39, mars 2013)

Le gouvernement invoquera bien sûr le caractère très ambitieux de cette entente et sa complexité pour justifier ce retard, ce qui n’est pas faux. Il ne dira pas toutefois que la pression exercée par les opposants à l’AÉCG y est aussi pour quelque chose. Pourtant, plusieurs signes en attestent. Jetons-y un coup d’œil qui n’a rien d’exhaustif bien que l’heure du bilan de cette lutte difficile ne soit pas encore venue. En effet, une fois finalisé, l’AÉCG devra être traduit (en 23 langues environ) et il y a de fortes chances qu’il nécessite la ratification de tous les gouvernements nationaux impliqués. Le Québec devra donner son accord de principe au gouvernement fédéral et la loi sur le ministère des Relations internationales exige que l’accord soit débattu et adopté par l’Assemblée nationale, à moins que le gouvernement du Québec ne fasse une exception d’urgence. L’affaire n’est donc pas terminée.

Rappelons-nous que la mobilisation contre l’AÉCG a commencé au Canada anglais. ATTAC-Québec participait à la toute première manifestation qui rassemblait plus de 200 personnes à Ottawa, devant le lieu des négociations, le 22 octobre 2010, où notre président Claude Vaillancourt a pris la parole. Par la suite, l’opposition s’est construite essentiellement à travers le Trade Justice Network (Réseau pour le commerce juste), le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) et leurs organismes membres.

Des municipalités qui s’objectent

La lutte contre l’AÉCG n’est peut-être pas au niveau de « la rue », mais le débat existe bel et bien sur la place publique, et ce malgré des médias qui, souvent, ne font pas leur travail d’information. Parmi différentes initiatives lancées (pétitions, vidéos, études, assemblées publiques, manifestations avec le cheval de Troie de l’AÉGC, etc.), les résolutions sur l’AÉCG adoptées par plus de 80 municipalités, dont Montréal, Baie-Comeau et la Fédération québécoise des municipalités, comptent parmi celles qui ont dérangé le gouvernement. Ces résolutions n’ont pas toute la même portée, mais elles expriment toutes de sérieuses préoccupations. Plus de 40 de ces résolutions, dont celle de l’importante Ville de Toronto, vont jusqu’à exiger une exemption complète de l’accord parce que l’ouverture de nombreux marchés publics municipaux aux compagnies européennes imposera des règles ne permettant pas de favoriser le développement local. Malgré tout le travail que le gouvernement fait depuis plusieurs années pour amadouer les villes et la Fédération canadienne des municipalités et en faire des partenaires qui participent au processus plus qu’ils ne s’y opposent, rien n’y fait. Des citoyens interpellent les élus sur ces enjeux et ceux-ci conviennent qu’il y a de quoi s’inquiéter et s’opposer.

Le gouvernement n’a sans doute pas apprécié non plus le sondage pancanadien qui a confirmé que près des 2/3 de ses répondants s’opposaient à la prolongation des brevets pharmaceutiques dans l’AÉCG qui entraînerait une augmentation substantielle du prix des médicaments. C’est là aussi le fruit du travail d’information et de pression fait sur cet enjeu (ici par l’Union des consommateurs et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec surtout). Idem pour les services de l’eau qui auraient été retirés de l’accord (d’après ce que les fuites de documents officiels permettent de constater). Dans ce cas cependant, par la voie des contrats publics des municipalités liés à la distribution d’eau potable et au traitement des eaux usées, les multinationales européennes gagneront du terrain.

Depuis 2010, le gouvernement canadien a trouvé sur sa route les opposants québécois et canadiens à l’AÉCG jusqu’à Bruxelles, où il fait un lobbying intensif. Ces derniers ont tissé des liens avec des groupes et réseaux de la société civile, ainsi que des élus de tous les partis, pour les informer des enjeux. ATTAC étant internationale, nous avons contribué à cette dynamique. Des déclarations communes transatlantiques ont été faites (dont celle du 5 février dernier). Ces démarches ont pu contribuer au fait que le Parlement européen a adopté une résolution critique au sujet de l’inclusion dans cet accord de mesures permettant aux entreprises de poursuivre les États, même si celle-ci doit être renforcée, selon l’analyse du Seattle to Brussels Network. Par contre, dans le contexte de la grave crise qui sévit dans plusieurs pays européens, l’AÉCG n’est pas un sujet qui a pu se hisser au rang des priorités ; le libre-échange y est même vendu comme une solution pour relancer l’Europe en crise...

Clairement en réaction à un ensemble d’actions, le gouvernement fédéral a lancé une vaste offensive de promotion de l’AÉCG, en avril 2012. Des ministres-clés ont sillonné tout le pays pour livrer la « bonne parole » auprès des milieux d’affaires et dans les grands médias et réseaux sociaux. Le discours des opposants était fustigé régulièrement, signe qu’il n’est pas sans effet. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a même élaboré une page sur son site Web où il rectifie les soi-disant mythes propagés par les groupes qui sont critiques à l’égard du libre-échange. En réponse, le Conseil des Canadiens mettait à disposition The CETA Deception. La démarche rappelait le « GATS debate » et les nombreuses répliques faites au document « AGCS : faits et fiction » de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Au Québec

Au Québec, où l’ex-gouvernement libéral était, comme on le sait, un ardent promoteur de l’AÉCG, c’est à l’initiative de l’ex-députée péquiste Louise Beaudoin, qui a exigé à maintes reprises que les textes en négociation soient donnés aux parlementaires, que la Commission des Institutions a finalement exigé d’entendre le négociateur en chef du Québec, Pierre-Marc Johnson. Les opposants n’ont pas raté l’occasion de faire part de leurs préoccupations (même s’il ne s’agissait pas d’une commission parlementaire). Leurs analyses et préoccupations ont clairement été reflétées dans les questions posées par plusieurs des députés présents, notamment ceux du Parti québécois (PQ). À l’extérieur, une manifestation « coup d’éclat » avec le cheval de Troie de l’AÉCG devant le Parlement impliquant des représentants d’organismes et des élus n’est pas passée inaperçue. Rétrospectivement cependant, une action de perturbation dans le lieu même où M. Johnson s’exprimait aurait pu aider grandement pour exiger une fois pour toutes la divulgation des textes de négociation.

Des conférences, des rapports de l’IRÉC et du SCFP, entre autres, des assemblées publiques et plusieurs articles auxquels ATTAC a souvent contribué ont suivi. En septembre 2012 : retour du PQ au pouvoir. Le RQIC et certains organismes ont aussitôt demandé une rencontre avec le nouveau ministre responsable du dossier, Jean-François Lisée. Montrant qu’il faisait preuve de plus d’ouverture au débat, celui-ci a organisé, en laissant très peu de temps aux organismes pour réagir, une assemblée privée où M. Johnson - et cela ne lui a certainement pas plu - a été contraint de faire une fois de plus rapport sur l’état des négociations et de répondre aux questions des opposants. Mais en refusant l’accès à la période de questions aux médias, on s’est habilement (et scandaleusement) assuré que seule la bonne parole de M. Johnson serait répercutée par les journalistes, qui n’ont pu bénéficier des questions posées par les opposants et voir la réaction que certaines ont suscitée. On a même poussé l’audace jusqu’à demander aux participants - qui réclament la transparence - de garder confidentiel ce qui serait dit !

Que fait maintenant le gouvernement des recommandations du RQIC ? Quelle est sa réponse au message sans équivoque - les enjeux de l’AÉCG commandent un vaste débat démocratique maintenant ! - répété par les leaders d’organismes sociaux majeurs au Québec lors de la manifestation du 29 janvier dernier devant le bureau du ministre Lisée, avec le fameux cheval de Troie de l’AÉCG ? Le gouvernement péquiste finira-t-il par admettre que l’AÉCG, plus que d’autres accords avant lui, prend d’assaut de multiples aspects de la souveraineté qui est déjà la nôtre au Québec ? La suite est à venir dans un jeu de cartes où le fédéral possède non seulement le joker, mais, au fond, le jeu de cartes. Et il est peu probable qu’un parti politique libre-échangiste comme le PQ, en situation de gouvernement minoritaire, rivalise de courage et d’audace pour vraiment brasser la cage advenant que l’accord final contienne trop d’éléments qui lui déplaisent.

Chose certaine, d’importants débats restent à faire au Québec - à l’image de celui qu’a fait notre président Claude Vaillancourt avec Pierre Paquette en novembre dernier - au sujet d’un régime de libre-échange qui ne cesse de se développer et d’agir de manière structurelle sur nos démocraties et nos vies. Que voulons-nous collectivement ? Minimiser les dégâts, apprendre à vivre avec les dommages collatéraux, ou vraiment mettre fin à ces ententes fondamentalement antidémocratiques, qui consolident toujours davantage le pouvoir des multinationales au détriment des pouvoirs publics, pour faire naître un système d’échanges plus juste et démocratique ? Tous au Québec n’ont pas la même réponse à cette question et la lutte contre l’AÉCG le reflète, avec ses forces, mais aussi ses faiblesses.

Catherine Caron

Rédactrice en chef adjointe de la revue Relations.

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