Édition du 30 avril 2024

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Québec

On dit dans les gares de France qu’un train en cache un autre

Au Québec, la défaite cinglante de la CAQ cache l’échec Solidaire

Le reniement de la promesse du tunnel entre Québec et Lévis est loin de constituer le fond de la défaite électorale de la CAQ dans la circonscription de Jean-Talon. Quoique la promesse-phare reniée n’y est pas pour rien, son rétablissement à la va-vite inspirée par la panique annonce plutôt un double reniement tellement ce projet est insensé tant écologiquement qu’en termes affairistes coût-bénéfice. Ont aussi joué un rôle dans la défaite cinglante l’’arrogance de la CAQ depuis les dernières élections :

7 octobre 2023

Pourquoi le ministre responsable de la transformation numérique au gouvernement, Éric Caire, a- t-il été incapable d’accepter la moindre part de blâme pour le fiasco informatique à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) ? […] Comment a-t-on pu voter une hausse de salaire immédiate de 30 % pour les députés, sans ajustement du généreux fonds de pension, et tenter ensuite de convaincre la population que les employés de la fonction publique qui s’échinent dans les hôpitaux et les écoles méritent une augmentation de 9 à 12 % sur cinq ans ? D’ailleurs, où y a-t- il le plus de fonctionnaires au pied carré, si ce n’est dans la Capitale-Nationale, où se déroulait l’élection partielle ? Et par souci de cohérence, qui a eu l’idée d’offrir 21 % sur cinq ans aux policiers de la Sûreté du Québec… pour ensuite se faire dire cavalièrement par les agents que ce n’était pas encore assez ?
Une députée, Joëlle Boutin, insatisfaite de son sort au sein de la députation et amère de ne pas avoir obtenu de portefeuille au Conseil des ministres, a préféré claquer la porte à peine six mois après les élections générales, en laissant pantois les électeurs de Jean-Talon […] Il y a aussi le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui n’a pas cru bon de se retirer complètement du processus de sélection d’un juge qui a mené à la nomination de l’un de ses meilleurs amis à la magistrature. […] Il y a la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, qui semble plus préoccupée par la cession de bail et la clause G que par la crise aiguë du logement qui frappe toutes les villes du Québec. Pour l’empathie, faudra repasser.

En a résulté que « [d]epuis un an, la CAQ perd des plumes dans les sondages nationaux. Le taux de satisfaction diminue, et les électeurs sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter de la hausse du coût de la vie, de la pénurie de logements et du manque d’accès à de nombreux services publics. »

Le premier ministre ne parle plus que d’investissements, de productivité, de développement, bref de brasser de grosses affaires. Une attitude qui a connu son apogée avec l’annonce de l’implantation de l’usine de batteries de Northvolt en Montérégie. […] Les citoyens ne peuvent que constater que les services publics se détériorent, que les attentes aux urgences n’ont pas diminué, que beaucoup de gens n’ont pas encore de médecin de famille et que les plafonds tombent littéralement sur la tête des élèves dans les écoles. Québec n’a pas vraiment d’argent pour assurer la qualité des services publics, mais il y avait des milliards de dollars en subventions pour la « filière batterie ». Pour bien des citoyens, c’est difficile à suivre.

L’habilité tactique du PQ l’enfonce dans son historique contradiction stratégique

Le surgissement du vote pour le PQ combiné au recul relatif de tous les autres partis (sauf le marginal Climat Québec) pose la question de l’engouement pour le PQ et non pour Québec solidaire passé dans ce comté de la deuxième à la troisième place alors que le PQ passe de la troisième à la première, ce qui confirme sa montée dans les sondages. Les déclarations Solidaire de sa soirée électorale affirmant qu’« [a]vec le PQ, les solidaires espèrent travailler "contre" les caquistes au cours des prochains mois [et qu’i]ls espèrent trouver une entente sur des enjeux comme la qualité de l’air, la crise du logement et le coût de la vie » sont révélatrices. Le fond du discours politique étant le même, ne restait plus que la renommée de la candidature et l’habilité tactique de chaque parti.

Le PQ se démarquait par la notoriété de son candidat qui a fondé Avocats sans frontières Canada(ASFC), ce à quoi auront été sensibles l’électorat classe moyenne progressiste des banlieues Sillery et Ste-Foy. D’autant plus que la tactique de dénonciation caquiste de son flirt avec ce parti a souligné que c’était un candidat ministrable. En plus, le PQ a su tirer profit de cette controverse dont il n’était pas l’initiateur en ramenant sur le tapis l’affaire du troisième lien. On ne peut exclure, cependant, que dans ce comté de la Ville de Québec où se trouve la grande mosquée de Québec, lieu de l’assassinat terroriste islamophobe en 2017, et à la portée des radio-poubelles, la position Solidaire sur le voile, quelle que soit la discrétion problématique du parti sur le sujet, n’ait porté l’électorat vers la position « catho-laïque » du PQ semblable à celle de la CAQ. Et que dire de leur frileuse position similaire sur l’immigration et les personnes réfugiées.

Cependant, le summum de l’habilité tactique du PQ était ailleurs :

…"Le Parti québécois est de retour au Québec", a lancé avec enthousiasme le chef, Paul St-Pierre Plamondon […] Mais cette réalité vient avec un dilemme, qui suit sa formation depuis sa création ou presque : que faire avec l’article 1 du programme, la quête de l’indépendance ? En prenant les rênes du parti, en octobre 2020, Paul St-Pierre Plamondon a promis que plus jamais le PQ ne reléguerait son option souverainiste à l’arrière-plan […] même si les sondages montrent que la majorité des Québécois demeurent tièdes envers cette avenue. […]

Or, lorsque la circonscription de Jean-Talon a été jugée à portée de victoire, la stratégie qui consiste à mettre la souveraineté à l’avant-plan a pris le bord. Le PQ n’a pas fait campagne sur la souveraineté dans le dernier mois, mais plutôt sur le coût de la vie, le troisième lien, le tramway, les promesses brisées de la CAQ, les soins aux aînés, la crise du logement… Le PQ a même choisi de reporter une nouvelle fois la publication du budget d’un Québec souverain, d’abord prévue en septembre, c’est-à-dire pendant l’élection partielle. Le document est prêt. Un local avait été réservé. Paul St-Pierre Plamondon a reculé, invoquant un "manque de ressources"…

L’énorme contradiction entre la stratégie indépendantiste et la tactique bonne gouvernance progressiste s’est fortement exprimée lors de la soirée électorale péquiste. La militance y a révélé sans réserve le fond de sa pensée. « ‘’On veut un pays !’’, ont spontanément scandé les militants du PQ, rassemblés en plein cœur d’une circonscription qui n’avait jamais été péquiste jusqu’ici. Puis les péquistes se sont mis à chanter Gens du pays. » C’est cette contradiction que n’a pas su exploiter Québec solidaire sur la base d’une campagne électorale indépendantiste de gauche, hors de portée du PQ, liant concrètement libération nationale et émancipation sociale. Est-ce inconcevable d’expliquer que l’indépendance à gauche ouvre la voie du rejet de l’extractivisme tant pétrolier-gazier que celui tout-électrique-minier. Tous deux sont énergivores, forts d’étalement urbain et saignent à blanc les budgets publics par des subventions gargantuesques les contraignants à l’austérité.

Québec solidaire, incapable de se démarquer du PQ, devient un parti comme les autres

L’élection dans Jean-Talon avait lieu au moment où les flûtes s’alignent pour le grand affrontement du Front commun contre la CAQ, y compris la grande manifestation du 23 septembre. Ce probable clash —les votes de grève se prennent à 90% pour une grève illimitée — s’annonce comme le grand événement des mandats caquistes après un premier rendez-vous manqué pour raison pandémique. Le rejet indépendantiste des ruineux extractivismes hydrocarbure-pipeline et filière-batterie dans cette conjoncture aurait pu être l’occasion de mettre de l’avant l’alternative d’une société sobre de prendre soin pour laquelle l’actuelle production électrique suffit amplement. L’amorce en est l’indexation générale des salaires, dont celle locomotive du secteur public, et des prestations sociales. S’y ajoute la bonification des ratios soignant-patient et enseignant-étudiant sans compter l’embauche de plus de fonctionnaires, nombreux dans Jean-Talon, pour que l’État retrouve sa maîtrise professionnelle et sa capacité de contrôle de l’entreprise privée.

L’aile parlementaire Solidaire aura raté une occasion en or de se démarquer tant stratégiquement que vis-à-vis la conjoncture et les particularités du comté. Pire, à l’image de la CAQ mais encore loin de former le gouvernement, elle a commencé à accumuler des squelettes dans le placard. Son option féministe, déjà entachée par le mauvais ratio de sa députation, en aura pris un coup par son incapacité à présenter une candidate. Ceci aurait été un atout face au PQ qui a aussi raté la coche. Après s’être insurgé contre l’augmentation de la rémunération de la députation de 30%, le parti a battu en retraite suite aux protestations présumément d’une minorité de sa députation. Non seulement l’aile parlementaire tend-t-elle à réduire la militance du parti à de la main-d’œuvre électorale mais certains députés font le doigt d’honneur aux porte-parole. Cerise sur le gâteau, Québec solidaire, comme les Libéraux, persiste et signe pour refuser de boycotter l’achat de publicité sur les plateformes de Meta. Peut-être l’électorat s’en est-il aperçu en se disant qu’enfin de compte, Québec solidaire est un parti comme les autres.

La direction Solidaire excuse sa mauvaise performance sur le dos de la jeunesse dont le taux de participation a chuté par rapport à l’élection générale. Elle devrait se demander pourquoi elle n’a pas su la motiver dans ce sens. Même en faisant l’hypothèse d’un taux supérieur, le parti aurait été pas mal à la traîne du PQ et peut-être de la CAQ. Le manque d’engouement pour les Solidaires trouve sa réponse dans la contradiction entre son optique de classe programmatique et celle réellement existante, contradiction plus fondamentale que celle du PQ. On constate à quel point la tournée régionale de l’aile parlementaire s’adresse avant tout aux PME sans même que le plan de visite, par exemple dans le plan de visite de la Mauricie. Cette tournée ne comporte aucune visite de syndicats, de travailleuses et travailleurs salariés sur leurs lieux de travail, de groupes populaires.

On se demande si on a affaire à un parti des travailleuses et travailleurs ou bien de PME dont la grille salariale et les conditions de travail de la plupart sont déplorables. Le membres du parti, même les plus confiants, vont finir par s’en apercevoir.

Marc Bonhomme, 7 octobre 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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