Édition du 23 avril 2024

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Bannir le lobby du pétrole des négociations climat : quelques pistes

Jeudi 16 mars, Emmanuel Macron reçoit Sultan Al Jaber, président de la COP28 sur le climat et... PDG d’une compagnie pétrolière. Cette nouvelle doit provoquer un « électrochoc », espèrent les auteurs de ce texte. Nicolas Haeringer est activiste climat à 350.org et Maxime Combes est économiste spécialiste des questions climatiques

16 mars 2023 | tiré de reporterre.net | Photo : président de la COP28, Sultan Al Jabert est aussi PDG de la compagnie pétrolière ADNOC - @AFP - Karim Sahib

La présidence de la COP28, qui va héberger les prochaines négociations climatiques internationales en décembre 2023, a été confiée à Sultan Al Jaber. Il est à la fois ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis et PDG de la compagnie nationale pétrolière Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc). Un dirigeant de l’industrie fossile est donc à la tête de notre destinée climatique mondiale. Depuis cette annonce, de nombreux journalistes, expert·es, ONG, militant·es du climat ou simples citoyen·nes ont exprimé leur écœurement — que nous pouvons partager — ou même leur abattement.

Plutôt que nourrir une vague de découragement, nous proposons de regarder la réalité en face et d’essayer de faire de cette nomination un électrochoc collectif. Bien entendu, il est d’abord possible de continuer à exiger, comme les ONG l’ont encore fait fin janvier, que les représentants d’intérêt des énergies fossiles soient interdits des COP. Plus de 630 d’entre eux ont (mal) œuvré lors de la COP27 et leur rôle nocif n’est plus à démontrer. Mais va-t-on se limiter à demander un changement de président de la COP28 ou à ce que Sultan Al Jaber suspende ses activités de PDG ?

© Tommy dessine / Reporterre

L’ambition des COP à renforcer

Puisque la nomination de Sultan Al Jaber ne peut que contribuer à faire grossir le flot de celles et ceux qui répètent à l’envi que les « COP ne servent à rien », une deuxième option consisterait à abandonner les COP. Cela peut-il nous aider ? Le raisonnement ne tient pas : la lutte contre le réchauffement climatique, à solidarité internationale obligatoire, nécessite des négociations internationales. Les pays et les populations du Sud veulent continuer à utiliser cette instance, aussi imparfaite soit-elle, pour faire valoir leurs intérêts. Des COP sont donc nécessaires, si possible améliorées sur leur fonctionnement et plus ambitieuses sur leur contenu.

Pour tenter de rebondir, sans doute faut-il aller au bout du « reality check » que nous impose cette présidence de la COP28 : les COP sont-elles outillées et en mesure de nous faire progresser vers la fin des énergies fossiles ? Rien n’est moins sûr. La réduction de la production d’énergies fossiles ne fait légalement pas partie du mandat des négociations sur le changement climatique : la Convention-cadre des Nations unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC), rédigée en 1992, ne fait pas mention des énergies fossiles.

« Les COP doivent accueillir les débats sur les choix énergétiques des pays »

En près de trente ans de négociations, aucun État, aucune institution internationale, n’a jamais proposé aux COP de limiter à la source la production de charbon, de gaz et de pétrole et l’Accord de Paris sur le climat ne mentionne ni les énergies fossiles ni les mix énergétiques mondiaux ou nationaux.

Les États parties prenantes des négociations, France et Union européenne comprises, se sont donc entendus autour du principe selon lequel la lutte contre les changements climatiques s’opère sans aucune négociation possible des mix énergétiques nationaux. Nul doute qu’il faut continuer à œuvrer pour faire évoluer les COP afin d’y accueillir les débats sur les choix énergétiques des pays. Mais cela prendra des années : il a fallu attendre la COP26 de Glasgow pour que les énergies fossiles soient enfin mentionnées dans le texte final d’une COP, sous une forme peu engageante et à l’ambition plus que limitée. Il est même envisageable qu’une prochaine COP — dès la COP28 ? — évoque dans son texte final une possible « sortie des énergies fossiles » (phase-out en anglais) sans que cela ne soit suivi d’effets et d’une organisation collective et planifiée.

Les pistes pour faire reculer l’industrie fossile

« La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent », disait Albert Einstein. Il nous faut donc collectivement dessiner de nouvelles voies vers la fin des énergies fossiles. Cette présidence de la COP28 est l’incarnation parfaite des contradictions et tensions mondiales face à l’urgence climatique auxquelles nous sommes confronté·es : le défi gigantesque.

Dans une note publiée en novembre 2021, nous avions soumis plusieurs suggestions qui, toutes, restent insatisfaisantes et soulèvent de nombreuses questions :

Du côté de la société civile, la proposition la plus avancée est celle d’un Traité de non-prolifération des énergies fossiles, soutenu par le Vanuatu, Tuvalu, 100 prix Nobel et l’Organisation mondiale de la santé, qui vise à arrêter l’expansion du charbon, du pétrole et du gaz, puis à réduire progressivement la production existante de manière équitable ; un tel traité international n’est pas près de voir le jour, mais c’est l’horizon souhaité : une mise en œuvre partielle, par certains États, permettrait déjà d’avancer.

Certains États lancent des alliances, comme la Beyond Oil & Gas initiative (Boga) que la France avait finalement décidé de rejoindre lors de la COP26. Mais sans œuvrer à son succès depuis. Il faudrait la relancer et trouver de nouveaux pays volontaires pour s’y engager.

Pour que ces alliances ne soient pas que des opérations de communication, les engagements des pays doivent être contraignants et vérifiés, ce que l’on pourrait faire à l’occasion des COP.

La publication au printemps 2021 par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) d’un rapport qui indiquait qu’il ne fallait plus développer de nouveaux champs de pétrole, de gaz ou de charbon dès 2021, aurait pu laisser penser que l’AIE allait coordonner et planifier la sénescence des énergies fossiles. Ce n’est pas le cas à ce jour. Par ailleurs, inconvénient majeur, l’AIE, mise en œuvre dans le cadre de l’OCDE, est un club de pays riches.

Il faut enfin continuer à plaider pour que le droit du commerce et de l’investissement ne soit plus contradictoire avec le droit climatique (bataille victorieuse contre le Traité sur la charte de l’énergie, le Mercosur, etc.).

Nous nous sommes limités ici à évoquer quelques pistes institutionnelles internationales, que la France et l’Union européenne, qui se veulent à la pointe du combat climatique, devraient tenter de faire progresser, à rebours des choix pris depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plutôt que nous lamenter des mois entiers sur la présidence fossile de la COP28, débattons avec lucidité, et volontarisme, des meilleures pistes à suivre pour faire reculer l’industrie fossile : nul doute que les mobilisations citoyennes visant à bloquer de nouveaux projets pétroliers, gaziers ou charbonniers seront à court terme celles qui nous feront le plus avancer sur cette voie.

Nicolas Haeringer

Doctorant, travaille sur les forums sociaux. Nicolas Haeringer est chargé de campagne pour 350.org et auteur de "Zéro Fossile" : désinvestir du charbon, du gaz et du pétrole pour sauver le climat".

https://blogs.mediapart.fr/nicolas-haeringer/blog

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