La dictature de Pinochet a mené une répression terrible et fut sans pitié : assassinats, tortures de différentes façons, privation d’eau, de nourriture, de sommeil, viols, tortures psychologiques, humiliations, utilisation des proches, sans compter la répression des droits sociaux et des libertés publiques, des artistes, des cinéastes, des milieux intellectuels, des mouvements syndicaux, étudiants, paysans. Le harcèlement et l’assassinat de militantes et de militants exilé.es se sont poursuivis avec la coopération des autres dictatures voisines. Les dernières évaluations de la répression indiquent plus de 40 000 personnes torturées et plus de 3 200 tuées ou portées disparues(1).
Au Québec, les comités de solidarité poussent « comme des champignons »
« Les comités de solidarité Québec-Chili ont poussé comme des champignons dans à peu près toutes les grandes villes », écrit Louis Fournier dans l’édition du 23 septembre 1973 de l’hebdomadaire Québec Presse (2). La population québécoise a été choquée par le coup d’État. Les mouvements syndicaux, sociaux et religieux avaient développé des relations avec le peuple. Des jeunes du Québec s’étaient établis là-bas pour vivre la révolution chilienne. Ce n’est pas surprenant que les mouvements sociaux fussent prompts à répondre à l’appel de solidarité à ce moment.
Une importante manifestation de protestation a eu lieu le jour même du 11 septembre dans le centre-ville de Montréal. Début décembre, 5 000 personnes se sont rassemblées au Forum de Montréal à l’initiative du Comité Québec-Chili, soutenu notamment par Michel Chartrand et le Conseil central du Montréal métropolitain.(3) L’accueil des personnes réfugiées a aussi été un moment important de solidarité du peuple québécois.
Les mouvements étudiants n’ont pas fait exception à cette mobilisation. En septembre 1973, nous étions plusieurs à plonger dans la campagne de solidarité. Nous avons multiplié les actions telles des interruptions de cours, les actions de visibilité par la diffusion massive de tracts, la tenue de kiosques d’informations, les interventions théâtrales, la tenue d’assemblées, le déploiement de banderoles gigantesques sur les campus, l’organisation de manifestations, voire d’une occupation.
El pueblo, jamas sera vincido !
Les événements du 11 septembre 1973 ont été très importants dans la radicalisation de la jeunesse à ce moment au Québec et ailleurs. À l’époque, pour nombre de militant.es de gauche, la principale leçon à tirer était l’absence du « parti révolutionnaire » capable de diriger la lutte armée. El pueblo unido n’était pas suffisant. Il fallait El pueblo armado. Dans la même édition de Québec Presse, qui n’était pas un journal d’extrême gauche, Magassouba Moriba, stagiaire sénégalais à la publication, était très explicite : « Aux utopistes et autres professionnels de la politique politicienne (…) nous disons que l’heure est plus que jamais à la mobilisation en vue de la lutte armée. »(4)
50 ans plus tard, le blocage reste entier
50 ans plus tard, la polarisation au Chili reste très profonde, malgré l’élection en décembre 2021 de Gabriel Boric à la tête d’une nouvelle alliance de gauche. Les partisans de Pinochet sont nombreux et l’initiative d’une nouvelle constitution a été récupérée par la droite après la défaite du référendum en septembre 2022. Comment se fait-il que ces assises de droite demeurent si fortes, dans un pays qui a tant souffert de la dictature ?
Société profondément polarisée depuis toujours, le coup d’État et la dictature ont été des événements clés pour enraciner et consolider les assises de la droite au Chili, mais aussi ailleurs en Amérique latine. Laboratoire des Boys de Chicago, le Chili a expérimenté pendant les années de la dictature des politiques néolibérales radicales, qui firent école ailleurs dans le monde et qui ont accentué la polarisation et les inégalités sociales. À cela s’ajoute, un contrôle de la presse et des communications par la bourgeoisie chilienne qui nourrissait l’idéologie dominante dans la population.(5)
50 ans plus tard, actualité de l’éducation populaire de transformation sociale
Depuis 50 ans, malgré et à cause de ces coups d’État, les mouvements politiques de gauche et même d’extrême gauche, au Chili comme ailleurs, ont renforcé leur action politique électorale. Ainsi, nombre de ces organisations politiques suivent les traces de l’Unité populaire et développent une stratégie de prise du pouvoir institutionnel pour transformer la société. Rappelons que le programme d’Allende était profondément réformiste, mais l’expérience chilienne s’inscrivait toutefois dans une dynamique anti-impérialiste. La démarche de l’Unité populaire faisait du pouvoir populaire la base de la nouvelle société !
Si le coup d’État au Chili a rappelé brutalement les moyens que peut déployer la classe politique au pouvoir pour défendre ses intérêts, le projet de transformation sociale à gauche est d’instaurer une société plus démocratique.(6) L’objectif est de renverser la pyramide du pouvoir au bénéfice du plus grand nombre, au bénéfice des exploité.es et des opprimé.es, au lieu du statut de la démocratie libérale qui protège le pouvoir du capital et des mieux nantis !
Pour plusieurs militantes et militants, la violence du coup d’État a agi comme repoussoir à l’action démocratique et électorale, mais le travail d’éducation, le combat des idées et l’action politique des mouvements sociaux demeurent les leviers essentiels d’une pratique centrée sur les préoccupations du plus grand nombre. Ces leviers sont les composantes de la stratégie d’action dans laquelle s’inscrit l’action électorale, et non pas le contraire.
La crise de la planète risque de précipiter des millions de personnes dans la souffrance, mais la marche de l’histoire ne connaît pas de raccourci. Souvent les voies par lesquelles les choses changent peuvent être surprenantes et non pas correspondre à la manière dont on le voit. Elles exigent toujours la disponibilité de voir loin et de voir large, pour agir en conséquence.
(1). Les médias parlent de 40 000. Voir Claire Martin, 2011, Chili : le bilan humain de la dictature d’Augusto Pinochet revu à la hausse, Radio France International, en ligne.
(2) Fournier, Louis, 1973, Le Comité de solidarité Québe-Chili, Ottawa doit dire NON à la junte, dans Québec Presse, 23 septembre, page 2. En ligne.
(3) Comité Québec-Chili, 1978, Le Comité Québec-Chili, 1973-1978, son équipe et ses acquis, en ligne sur le site du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL).
(4) Moriba, Magassouba, 1973, La fin d’un mythe, billet dans Québec Presse, 23 septembre 1973. En ligne.
(5) Voir Ananda Proulx, Chili et Uruguay : retour sur le rôle des médias dans les coups d’État de 1973, qui fait le compte-rendu d’un atelier organisé par France Amérique latine à l’Université d’été des mouvements sociaux en France en août dernier sur la question : les témoignages des panélistes latino-américains confirmaient notamment le poids important de la presse de droite.
(6) Parmi les éléments en vue de surmonter cette polarisation, notons la proposition d’une réappropriation par la gauche de l’identité et des symboles chiliens. Vielmas, Sebastian et Veloso, Consuelo, 2022, Rejet de la nouvelle constitution : implications pour la gauche chilienne, dans Nouveaux Cahiers du socialisme — N° 29, printemps 2023, en ligne sur alter.quebec
**************
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?