Édition du 16 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Derrière le Québec bashing

Malheureusement ou plutôt heureusement, la population québécoise, y compris les progressistes, ne lit jamais le Globe and Mail, qui est littéralement la voie des maîtres au Canada, 1000 fois plus que CBC par exemple. On lit encore moins les médias-poubelles dans le genre Toronto Sun ou Ottawa Sun, qui appartenaient, jusqu’à il n’y a pas si longtemps à l’empire Péladeau, et qui littéralement, font l’opinion au Canada dit anglais. C’est une grande punition de lire cela, mais comment faire si on veut comprendre réellement ce qui se passe au Canada ?

Ceux qui sont aussi masochistes pour les lire (c’est mon cas, malheureusement pour moi) ne peuvent pas ignorer quel est le jeu. Les actualités sont généralement présentées dans le « sérieux » Globe and Mail comme dans les torchons de la famille Sun sur un même fonds. Le Québec est dominé par des braillards incompétents qui sont à la limite tous pareils : les souverainistes bien sûr, mais aussi les fédéralistes, qui ont peut-être la qualité de vouloir rester dans le Canada, mais qui sont congénitalement corrompus (Chrétien) ou pire encore, faibles (Bourassa). Les Québécois ne savent pas faire des affaires, ils ne s’intéressent pas à l’économie. Les « beaux fleurons » de Québec inc sont des créations artificielles, des sous-produits du nationalisme braillard. Et si c’est comme cela, ce n’est pas à cause de la domination politique de l’État canadien, c’est parce que les « canadiens-français » catholiques sont demeurés dans le passé contrairement à la « vraie » modernité qui est celle du capitalisme anglo-américain.

Le seul « canadien-français » qui passe le test est Trudeau-papa qui disait ce qu’on pense là-bas, que le problème du Québec, c’est le Québec.

Si vous ne me croyez pas, faites-vous déplaisir en vous abonnant au Globe and Mail…

Ces jours-ci, on constate la fureur qui transparaît dans cette opinion programmée concernant Bombardier. Ce n’est pas moi en tout cas qui vais défendre cette entreprise. Mais le point que je veux souligner est le suivant : les attaques en règle contre Bombardier reprises par les meneurs de claque canadiens n’ont rien à voir avec des critiques qui pourraient être adressées aux dirigeants de cette entreprise ou sur le bien-fondé de faire des C-Series au lieu d’autres choses.

Le « vrai » problème » pour les élites médiatiques et politiques canadiennes, c’est que Bombardier existe. C’est qu’Hydro Québec existe. C’est que la Caisse de dépôts existe. C’est qu’il y a des secteurs économiques et technologiques où le Québec est en avance. Pour eux, c’est un problème pour deux raisons.

D’abord, ces « success stories » québécois ne sont pas « vrais », ils sont artificiels. Ils existent à cause du nationalisme, des systèmes favoritistes mis en place pour appuyer les entreprises québécoises, à cause de la corruption « génétique » qui contamine l’ensemble de la société.
 
Ensuite, c’est un problème parce que l’État canadien « tolère » cela, au lieu de mettre le Québec « à sa place ». On veut, dit-on, « accommoder » les nationalistes et éviter la chicane.

Tant qu’à faire disent plusieurs commentateurs chevronnés du Globe, il y a deux choix drastiques.

Le premier est d’en finir une fois pour toutes avec cette situation où l’État fédéral est obligé de se mettre à genoux devant le Québec pour pouvoir restructurer un « véritable » Canada prospère qui commence à Toronto (capitale financière) et qui se termine à Calgary (centre névralgique du complexe pétrolier-minier). Quitte à voir le Québec réintégrer sa position « naturelle », qui était la sienne avant la révolution tranquille : un territoire « périphérique’, un gros Nouveau-Brunswick. Cette opinion est dominante, d’autant plus que la « menace » séparatiste n’est plus à l’ordre du jour et qu’on à Québec des répondants qui se complaisent dans la servilité.

Dans ce scénario, on peut laisser une place à un Québec inc, à condition qu’il accepte, bien sagement, sa place « provinciale » et qu’il laisse la « main invisible » du marché faire son œuvre, qui découle d’un darwinisme extrême, où les plus petits, inévitablement, sont mangés par les plus gros. Et les plus gros, ce n’est pas Quebec inc. Il restera au Québec, comme avant la révolution tranquille, les p’tis gateaux Vachon et bien sûr, des fragments d’industrie culturelle, en autant que cela ne coûte pas cher.

De cela émergera un « meilleur Canada » quitte à utiliser le folklore habituel sur le multiculturalisme et la diversité. 

Le deuxième choix, encore plus radical, est de prôner, d’un point de vue canadien, la séparation du Québec en disant, « qu’on en finisse avec eux ». Cette opinion, en passant, ne vient pas juste de farfelus. On se dira « bon débarras », et on laissera le Québec, comme Conrad Black, le grand capitaliste voyou de Toronto, le disait il y a à quelques années, devenir un autre État en faillite permanente. Son épouse, Barbara Amiel, qui était à l’époque éditorialiste d’un grand quotidien de Toronto, disait : « laissons les Québécois devenir des Palestiniens si c’est cela qu’ils désirent »… Je rappelle que la famille Black faisait partie, il y a quelques années, des « beaux fleurons » de Canada inc.

Pour terminer par l’« affaire » Bombardier, il est tout à fait légitime de se demander si le cadeau d’un milliard de dollars américains venant de l’argent du peuple est la bonne voie à suivre. La famille Beaudouin, grand amie des Libéraux tant à Québec qu’à Ottawa, est largement responsable des malheurs de cette entreprise et on peut se demander qui doit payer la note. Le copinage bien connu entre les élites politiques et économiques, par contre, est loin d’être exceptionnel car c’est ce qu’on voit 1000 fois par jour à Ottawa qui est selon moi, la véritable « capitale de la corruption » au Canada.

Avant de dire n’importe quoi sur Bombardier cependant, il faut penser, non seulement aux milliers d’emplois dans ce secteur aéronautique, mais aussi à ce que peut signifier le déclin du « capitalisme québécois », qui est réel, en considérant les nombreux rachats d’entreprises et d’autres formes de défaillances visibles ou invisibles.

En attendant de voir des transformations en profondeur, il faut défendre ce qu’on a. C’est comme une convention collective : ce n’est pas parce qu’on est socialistes et qu’on espère un jour repenser l’État qu’on va accepter des conditions à la baisse sans compter le démantèlement du secteur public. Penser comme cela, c’est infantile et pire encore, cela mène la gauche à se déconnecter totalement de la population.

Autrement dit, une critique de gauche de Québec inc ne peut être associée, volontairement ou par ignorance, à ce vulgaire Quebec bashing qui cache mal, si on prend la peine de s’informer, le rapport quasi colonial, aux accents racistes, qui sous-entend le dispositif politique actuel de l’État canadien.

Le discours à combattre, c’est celui des dominants canadiens, malheureusement intériorisé par une grande partie de l’opinion canadienne et des tas de bonnes gens qui diront, « we love Quebec » (comme ceux qui étaient venus à Montréal à la veille du référendum), mais qui feignent d’oublier, par exemple, les milliards de dollars qui ont été dépensés par les fonds publics, il y a à peine quelques années, pour sauver l’industrie automobile de l’Ontario.

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