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En Guadeloupe, après deux mois de grève, la mobilisation enseignante persiste

6 février 2020 | tiré de mediapart.fr
6 FÉVRIER 2020 PAR AMANDINE ASCENSIO
Depuis le mois de décembre, une majorité d’enseignants est en grève et campe devant les établissements scolaires de l’île, pour la plupart fermés. Le conflit s’enlise dans des revendications nationales mais aussi locales. 

Guadeloupe, correspondance.– Cadenassées. Comme chaque matin depuis bientôt deux semaines, les élèves, leurs parents et le personnel enseignant des écoles et collèges de Guadeloupe se retrouvent devant les portes de leur établissement. Ouvrira ? Ouvrira pas ? La question se pose tous les jours. « Ce sont les dames de la cantine et de l’accueil périscolaire qui arrivent en premier, et qui informent la directrice de l’école, raconte Laura, enseignante à l’école primaire de Belair à Capesterre-Belle-Eau, l’une des 32 communes de Guadeloupe. La directrice fait remonter l’information à l’inspecteur d’académie mais aussi à la mairie, qui envoie ou non des agents municipaux pour sectionner le cadenas et ouvrir l’école. »

Laura a fait grève une fois, le 5 décembre, lors de la mobilisation nationale contre la réforme des retraites. « Depuis, l’école a été bloquée le 9 janvier, puis le 21, puis le 24… et depuis c’est tous les jours. » Parfois, dans d’autres établissements, ce n’est pas un cadenas qui verrouille l’entrée, mais de la colle, insérée dans la serrure du portail. Les enseignants du primaire sont censés rester devant la porte jusqu’à ce que la mairie vienne ouvrir. « Mais le temps que les agents municipaux arrivent, il est souvent déjà plus de 9 heures du matin, et les élèves dont les parents travaillent dès 7 heures sont souvent repartis, explique Laura. Donc même si l’école rouvre, les élèves ne sont pas là. »

Le phénomène touche également les établissements du secondaire de la Guadeloupe, jusqu’à bloquer parfois 90 % des établissements, selon les syndicats. Tous les jours, le leader de la FSU Eddy Ségur diffuse sur WhatsApp la longue litanie des établissements, écoles primaires et maternelles, collèges et lycées, bloqués sur toute l’île.

Au début de la mobilisation, la réforme des retraites concentrait les mécontentements des enseignants, au rythme des mouvements en France hexagonale. Mais petit à petit, la colère s’est recentrée autour d’une salve de revendications très locales. « Nous demandons l’annulation des 72 suppressions de postes programmées dans le second degré à la rentrée 2019, la refonte de la carte scolaire notamment de l’éducation prioritaire, mais aussi la présence de toutes les spécialités dans tous les lycées » dans le cadre de la réforme du baccalauréat, indique Eddy Ségur dans un communiqué du 24 janvier dernier. Établissement par établissement, d’autres réclamations s’ajoutent.

C’est le cas à Petit-Bourg, une commune centrale de l’île. Le collège Félix-Éboué accueille un gros millier d’élèves chaque jour. « Sauf que cela fait cinq ans qu’on alerte sur nos galères dans des locaux insalubres », souligne Éric (son prénom a été changé à sa demande), un professeur du collège. Les locaux de Félix-Éboué, comme ailleurs, sont bouclés par un cadenas.

Impossible d’y pénétrer, mais il montre des photos de murs fissurés et moisis, à la peinture décrépie, subissant les assauts d’infiltrations d’eau, des fils électriques à l’air libre et des installations rouillées. L’enseignant détaille : « À la suite d’un rapport en 2015, le département dont nous dépendons a fini par faire des travaux de mise en conformité aux normes sismiques. » Montant total de l’opération : 5 millions d’euros, dont 135 000 abondés par le département, le reste étant pourvu par les fonds européens et celui de prévention des risques naturels, selon le panneau d’affichage devant le collège. « Sauf que des bâtiments n’ont pas été réhabilités, reprend Éric. Pour la vie quotidienne, l’eau qui s’évacue dans les classes, ce n’est pas possible. Même si en Guadeloupe les bâtiments des écoles ne se portent pas très bien, nos collègues nous disent qu’on gagne le prix des locaux les plus pourris. Un inspecteur hygiène et sécurité a même fait fermer une salle où l’eau coulait sur les installations électriques. »

Même combat à Lamentin, autre commune de l’île. Au collège Appel du 18-Juin, le personnel éducatif s’émeut de travailler dans des locaux en mauvais état mais déplore surtout des suppressions de postes. « On nous dit que la population de la Guadeloupe baisse [selon l’Insee, le territoire a perdu plus de 5 000 habitants depuis 2010 – ndlr] et que cela justifie des postes en moins. Mais nous avons de vraies spécificités, avec des classes adaptées ou des mesures de soutien scolaire, et nous ne pouvons pas perdre de postes, indique le Collectif du personnel du collège. D’autant que Lamentin est une des rares communes dont la population augmente : 1,2 % de plus cette année. La conséquence ? Nos classes sont en sureffectif. »
La guerre des chiffres
Faux, réplique le recteur d’académie Mostafa Fourar : « À la rentrée prochaine, nous attendons une baisse de 902 élèves dans le premier degré. Le ministère supprime 16 postes au lieu des 60 qui, face à un tel niveau de diminution d’effectif, devraient être supprimés. Cela permettra d’avoir un meilleur taux d’encadrement. » Un chiffre éloigné des 72 équivalents temps plein dont la suppression a été annoncée en début d’année. 

Ce mercredi 5 février, confronté à une grève dure, le recteur a publié un communiqué avec des annonces censées apaiser la fronde, notamment sur la question de la surcharge des classes, en s’engageant sur une moyenne de 24 élèves par classe dans toutes les écoles, y compris dans toutes les classes de sixième, même celles qui ne relèvent pas des zones de l’éducation prioritaire.

« Nous voulons que la Guadeloupe entière soit classée en zone d’éducation prioritaire renforcée », revendique de son côté Eddy Ségur. Ce dernier pointe un indice de positionnement social (un indicateur qui permet de qualifier la situation sociale des élèves dans les écoles), qui « dans l’Hexagone aurait permis ce classement en REP + », des situations de décrochages très nombreuses parmi les élèves, et des jeunes gens « laissés au bord de la route » dans une région où le chômage des moins de 25 ans bat des records.

La demande crée des dissensions au sein des différents syndicats qui parlaient presque d’une seule voix jusqu’alors. Sauf que, selon le recteur Mostafa Fourar, la « question est déjà dépassée : ce n’est pas le seul indicateur à prendre en compte, mais la carte scolaire de l’éducation prioritaire sera repensée d’ici 2022 ». « J’appelle à la reprise de l’école », insiste-t-il après des annonces qui, pêle-mêle, laissent plus de place à l’enseignement en langue créole et à l’amélioration des dispositifs de « l’école inclusive ».

Le recteur promet aussi une amélioration du taux de remplacement en Guadeloupe pour pallier l’absentéisme. « Les résultats sont déjà perceptibles puisque le taux d’efficacité moyen passe de 69 % en 2018 à 80 % à la rentrée 2019 », affirme-t-il chiffres à l’appui, indiquant « comprendre les parents qui expriment leur ras-le-bol ». Les écoles sont régulièrement fermées en Guadeloupe, au point que chaque élève manquerait l’école un mois par an en moyenne, en raison de l’absentéisme des enseignants mais aussi des coupures d’eau, des opérations de dératisations soudaines, des évacuations sanitaires en cas d’invasion de sargasses et… des grèves.

Du côté des parents, la colère commence à monter. Si beaucoup soutiennent le mouvement, certains craquent et entendent forcer les barrages des écoles. Dans les groupes WhatsApp de parents d’élèves, certains vont jusqu’à proposer de supprimer les vacances pour compenser le manque de jours d’école. D’autres s’inquiètent pour leur enfant en bout de cycle avec un examen à la clé. Depuis que la grève s’est installée durablement, les professeurs mettent en ligne les cours pour que les jeunes gens puissent continuer à étudier. Dans certains collèges et lycées, c’est le système D. Certains organisent des sessions de soutien avec des parents dans des salles ouvertes pour l’occasion. 

Pour les plus petites classes, l’histoire est différente. Si les collégiens et lycéens peuvent se gérer seuls devant une porte close, c’est moins le cas pour les enfants du primaire. Les parents doivent donc trouver des solutions. Et depuis quinze jours les bureaux de Guadeloupe ont vu beaucoup de très jeunes enfants dans leurs locaux. « Ma seule solution de garde est à plusieurs dizaines de kilomètres de l’école de ma fille, indique Estelle, dont l’enfant rentre à peine dans sa première année d’école. Elle a eu du mal à s’y habituer et l’absence d’école ne va pas aider à un retour à la normale. Je comprends les motivations de la grève, mais ce n’est vraiment pas pratique. » « Moi j’aime bien l’école et j’aime bien faire des exercices », raconte pour sa part Ethan, 6 ans, plus jeune « stagiaire » d’un magasin d’optique du Moule. Sa mère corrige sa copie et lui donne des petits devoirs à faire. Pour ne pas perdre le rythme.

Mercredi 5 février, les parlementaires guadeloupéens ont été reçus par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, pour réclamer un moratoire ministériel concernant la suppression des 72 postes, afin que cesse la grève et que « chacun retrouve le chemin de l’école ». Le lendemain, le ministère a finalement annoncé la constitution d’une mission d’information pilotée par la délégation Outre-mer de l’Assemblée nationale, pour faire le point sur les conditions de la rentrée 2020, et dont les conclusions seront rendues en février.

Insuffisant aux yeux des enseignants, qui « appellent à maintenir la pression » par la voix de leurs syndicats pour obtenir un total gain de cause. « Nous avons voté le maintien du piquet jusqu’à ce que nous ayons des garanties propres à notre établissement », indique-t-on, à Lamentin. Du côté des parents, on ne se fait guère d’illusion au moins pour la fin de la semaine : quand bien même les barricades seraient levées, il faudrait encore que les services techniques nettoient la totalité des établissements. L’école restera fermée, au moins jusqu’à lundi.

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