Édition du 26 mars 2024

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Hausse du salaire minimum à 15 $ : les non-dits d’Alexandre Taillefer

Écrit par Catherine Caron

En ce 1er mai, Journée internationale des travailleurs et des travailleuses, le salaire minimum au Québec augmente d’un gros 20 cents, pour atteindre 10,75 $ de l’heure. De quoi se demander si on n’est pas plutôt le 1er avril…

Selon le gouvernement, cette hausse permettra d’accroître le pouvoir d’achat de quelque 260 000 Québécois, nous dit-on sans rire, sans doute pas peu fier de doubler le pitoyable 10 cents accordé par Lucien Bouchard, en 2000. Le Conseil du patronat est bien sûr de ceux qui trouvent raisonnable qu’une personne travaillant 40 heures par semaine à 10,75 $/h ne réussisse même pas à se hisser au-dessus du seuil de pauvreté, établi à 23 000 $, les prix et tarifs ne cessant d’augmenter. La prévision météo-économique de Gérald Filion : à ce rythme, le salaire minimum atteindra 15 $ l’heure quelque part entre 2037 et 2044 au Québec…

Dans ce contexte, comment ne pas se réjouir lorsqu’un homme d’affaires comme Alexandre Taillefer revendique l’augmentation du salaire minimum à 15 $ et paie ce salaire aux chauffeurs de sa compagnie, Téo Taxi ? Il emboîte ainsi le pas à des organismes du Québec qui se mobilisent à cet effet, comme on le fait de plus en plus avec succès ailleurs au Canada et aux États-Unis. Mentionnons la Coalition contre le travail précaire, la campagne 15plus.org d’Alternative socialiste, le Centre des travailleurs migrants, le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN et les grandes centrales syndicales qui lancent aujourd’hui même une vaste campagne. Loin de se limiter à une approche strictement salariale cependant, ces groupes situent leur revendication dans une perspective plus large qui englobe d’autres mesures nécessaires pour qu’il y ait une réelle amélioration des conditions de vie et de travail des personnes à faibles salaires (l’indexation du salaire minimum au coût de la vie ou l’accès à des soins de santé gratuits et universels, par exemple).

Là où la nouvelle croisade d’Alexandre Taillefer fait sourciller toutefois, c’est lorsqu’il estime juste de se demander : « ne devrions-nous pas viser à tirer les plus pauvres vers le haut plutôt que de tirer les plus riches vers le bas ? », jugeant déraisonnable d’en exiger davantage du « 25 % des Québécois les plus riches qui versent déjà 77 % des impôts perçus ».

Amalgamer ainsi la classe moyenne (ceux qui gagnent entre 50 000 $ et 100 000 $ par année) avec les plus riches (100 000 $ et plus) permet à M. Taillefer de noyer le poisson, soit le fait qu’au Québec, ce sont les impôts sur les bas revenus qu’on a augmentés au fil des années, tandis qu’on a diminué ceux sur les revenus supérieurs à 100 000 $. Les plus riches ont par ailleurs vu leurs revenus augmenter significativement (86 %) entre 1982 et 2010, tandis que le revenu moyen du reste de la population n’augmentait que de 12 % en dollars constants, passant de 25 658 $ à 28 800 $, nous apprend cette étude de l’IRIS, intitulée « Les inégalités : le 1 % au Québec ».

Taillefer évoque aussi le poids des impôts fonciers qui ne cessent d’augmenter, sans dire qu’encore faut-il avoir les moyens d’être propriétaire d’un bien immobilier pour en payer. Il mentionne la charge que représente la taxe de 15 % sur la consommation, une taxe régressive qui pénalise pourtant bien davantage les plus pauvres, qui la paient au même taux que les plus riches. Mais, surtout, il cherche à nous émouvoir avec le taux d’imposition marginal qui « atteint maintenant 54 % ».

Qu’est-ce que ça mange en hiver un taux d’imposition marginal ? Ce terme désigne le taux maximum d’imposition qu’une personne paie sur la tranche la plus élevée de ses revenus imposables – parce que notre système d’impôt est progressif et devrait même l’être encore davantage. Il ne faut pas le confondre avec le taux effectif qui s’applique à l’ensemble des revenus. Ainsi, au Québec, une personne qui a des revenus imposables de 150 000 $ en 2015 a certes un taux d’imposition marginal de 50 % ou 54 %, mais elle paie un impôt effectif maximal de 36,9 % sur son revenu, impôts fédéral et provincial combinés.

Alors, oui, réjouissons-nous lorsqu’un homme d’affaires comme Alexandre Taillefer prône l’augmentation du salaire minimum à 15 $. Mais s’il veut passer pour un entrepreneur novateur et vraiment progressiste, il aurait avantage à chasser le naturel de la classe d’affaires qui revient manifestement au galop dans ses propos – qui charrient les poncifs habituels sur le « fardeau » fiscal des plus riches.

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