Édition du 5 novembre 2024

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Arts culture et société

J’aime Hydro de Christine Beaulieu

Un effort incontestable, mais nettement insuffisant

Hydro-Québec est une société d’État qui revêt une dimension symbolique très importante pour l’ensemble des Québécois (es). En effet, depuis que le ministre de l’énergie du deuxième gouvernement de Jean Lesage (PLQ), René Lévesque, a nationalisé, en 1963, de petites entreprises hydro-électriques privées pour les intégrer à une grande compagnie publique, une myriade de Québécois (es) a pris conscience des bienfaits que lui a procurés Hydro-Québec.

Durant un certain nombre d’années, cette entreprise d’envergure a permis aux citoyens (ennes) québécois (es) de défrayer des coûts très modestes pour obtenir l’électricité qu’ils utilisaient quotidiennement. Cependant, au fil du temps, Hydro-Québec en est venu à servir les desseins de gouvernements plus soucieux de renflouer les coffres de l’État que de servir les intérêts de la population du Québec. Cela explique que les Québécois (es) ont dû composer avec de multiples hausses de tarifs d’électricité au cours des cinq derniers lustres. Dans de telles circonstances, il n’est pas étonnant que de nombreux (ses) citoyens (ennes) de notre nation remettent en question les grandes orientations socioéconomiques que définissent actuellement les décideurs d’Hydro-Québec.

La première œuvre littéraire d’une actrice

Pour sa part, Christine Beaulieu ne semblait pas prédisposée à écrire une pièce de théâtre reposant essentiellement sur des faits. Dans cet esprit, elle a reçu une formation traditionnelle de comédienne et n’avait pas manifesté de propension particulière à la création littéraire avant d’écrire sa première oeuvre. Comme actrice, on l’a remarquée, en raison de la qualité de son jeu, dans des longs métrages de fiction comme Ceci n’est pas un polar de Patrick Gazé (2014), Le mirage de Ricardo Trogi (2015) et Embrasse-moi comme tu m’aimes d’André Forcier (2016). Cela dit, ayant une certaine conscience écologique et bénéficiant du solide appui de la conceptrice d’œuvres théâtrales documentaires, Annabel Soutar, Beaulieu a créé une narration qu’elle a intitulée, mi-figue, mi-raisin, J’aime Hydro (2017). À travers cette pièce, que l’on a présentée à l’Usine C, la jeune femme s’interroge au sujet de la nature des relations que les Québécois entretiennent avec l’incontournable société d’État. Parallèlement, Christine Beaulieu se questionne sur elle-même et sur sa capacité à engendrer un récit scénique et documentaire probant. Avec humilité, Beaulieu se présente au public comme une citoyenne ordinaire, laquelle n’avait pas un grand bagage de connaissances dans les domaines environnemental et hydro-électrique quand elle a décidé d’écrire sa pièce de théâtre. Au demeurant, à travers cette œuvre factuelle, la créatrice tente constamment d’atteindre un équilibre entre l’appréhension du mode de fonctionnement d’Hydro-Québec et la saisie de son évolution personnelle.

Les projets incohérents d’un monopole étatique

Grâce à la mise en scène concise de Philippe Cyr, le spectateur (ou la spectatrice) constate, sans ambages, que Christine Beaulieu a été frappée par le fait que les dirigeants d’Hydro-Québec cherchent à développer de nouveaux projets afin d’exporter de l’électricité à des États américains en leur vendant celle-ci à un prix nettement moindre que le coût de production de cette énergie. Évidemment, la jeune femme se rend compte qu’une telle « stratégie » s’oppose au sens des affaires le plus élémentaire que chacun d’entre nous doit entretenir. En matière environnementale, Christine Beaulieu réalise, à juste titre, que la construction de barrages comme ceux de la Rivière Romaine représente un problème important puisqu’elle engendre une certaine forme de déséquilibre au sein de la nature qui nous entoure. Dès lors, l’auteure et comédienne se montre pertinemment sceptique par rapport aux grandes décisions que prennent les dirigeants d’Hydro-Québec.

La propension au subjectivisme de Christine Beaulieu

De manière incontestable, on peut affirmer que Christine Beaulieu a effectué une recherche journalistique sérieuse pour écrire sa pièce de théâtre didactique. Celle-là se pose des questions opportunes, interroge des témoins compétents et vulgarise, avec aisance, des phénomènes hydro-électriques plutôt complexes. Pourtant, le propos qu’elle tient ne répond pas aux attentes d’un public clairvoyant, sur le plan sociopolitique. Pourquoi ? D’abord, parce que Beaulieu commet une erreur majeure en nous parlant démesurément d’elle-même, en tant que personnage de sa propre pièce. Certes, elle apparaît comme une personnalité sympathique, qui possède un sens de l’humour et de l’autodérision pétillant. Néanmoins, il faut admettre les commentaires que la jeune femme formule au sujet de son être et du monde dans lequel elle vit font long feu. Ainsi, ils ne nous apportent aucune connaissance profonde sur elle, ni sur la nature humaine. D’autre part, Beaulieu abuse de certaines figures de style pour se référer à elle-même. En utilisant fréquemment l’anaphore, l’énumération et l’ironie pour traduire ses états d’âme, elle s’éloigne de ce qui aurait dû être le sujet essentiel de sa pièce : à savoir, la relation que les Québécois (es) entretiennent avec Hydro-Québec. Certes, on imagine qu’en procédant comme elle l’a fait, Christine Beaulieu voulait éviter de rendre son discours rébarbatif. Toutefois, elle verse plutôt dans l’excès contraire en manifestant une légèreté inadéquate.

Le manque d’esprit critique et de vision politique d’une comédienne

De façon générale, lorsque Christine Beaulieu se penche sur le mode de fonctionnement et les principales activités économiques d’Hydro-Québec, elle réussit à assimiler et à décrire avec à-propos la réalité. Cependant, elle demeure impuissante à analyser et synthétiser la signification politique des diverses opérations auxquelles se livre la compagnie publique. Cette lacune importante explique que, lors d’un entretien qui a lieu entre Beaulieu et le sociologue Jean-François Blain (un proche du Parti québécois), la jeune femme ne parvient pas à poser un regard éclairé sur les mandats que différents gouvernements ont donnés à la grande entreprise d’État. Bien sûr, l’auteure et comédienne soutient, de façon pertinente, le point de vue selon lequel Hydro-Québec distribution ne devrait pas acheter de l’hydro-électricité provenant de centrales privées à un coût très élevé, alors que la compagnie publique possède elle-même un excédent de cette énergie. Néanmoins, Christine Beaulieu a tort de ne pas contredire Blain lorsque celui-ci affirme erronément que le deuxième gouvernement de René Lévesque (PQ) a pris une décision légitime en faisant du ministre des finances de sa formation politique le seul « actionnaire » d’Hydro-Québec. En effet, contrairement à ce que prétend le sociologue, la récession économique que connaissait le Québec de l’époque ne justifiait pas que l’on prive les Québécois (es) d’une entreprise dont ils (elles) étaient jusqu’alors les « actionnaires »… Pour ce qui est de la Régie de l’énergie du Québec, dont Jean-François Blain vante démesurément le rôle, elle est loin de constituer une panacée. Du reste, il convient de se rappeler que cet organisme a permis à plusieurs gouvernements de hausser les tarifs d’hydro-électricité des Québécois (es) de manière disproportionnée, au cours des vingt-cinq dernières années. Manifestement, la Régie n’est pas une instance autonome, qui prend des décisions objectives en considérant les intérêts de la majorité des Québécois.

L’opération de charme d’un duo de dirigeants d’Hydro-Québec

À notre avis, l’erreur la plus préjudiciable que commet Christine Beaulieu, dans son œuvre documentaire, consiste à accorder beaucoup de crédit aux propos de différents intervenants, qui n’ont pas de vision politique progressiste des grandes questions énergétiques sur lesquelles Hydro-Québec devrait se pencher. Il en résulte que Christine Beaulieu perd de vue tout sens critique par rapport à un ensemble de choix auxquels devrait procéder la société d’État. Certes, il est important de tenir compte d’une diversité de points de vue lorsqu’on évalue des problématiques aussi complexes que celles qui touchent aux choix socioéconomiques auxquels les dirigeants d’Hydro-Québec sont confrontés. Cependant, il faut manifester une capacité de démystifier un certain nombre d’allégations trompeuses, de sophismes quand on les entend. De manière regrettable, Christine Beaulieu se révèle constamment passive face aux propos fallacieux ou outranciers que lui tiennent certains (nes) de ses interlocuteurs (trices). Parmi ceux-ci, il importe de citer les noms de Pierre-Luc Desgagné et Éric Martel, qui occupaient respectivement les fonctions de vice-président et de président-directeur général d’Hydro-Québec, en 2017. Comment doit-on expliquer que ces deux hauts dirigeants aient accepté d’accorder une entrevue à Christine Beaulieu et d’apparaître, par personnages interposés, dans son œuvre théâtrale ? Par le fait qu’ils ont jugé qu’ils avaient intérêt à défendre les politiques de leur entreprise, puisque la pièce de théâtre de Beaulieu mettait cette entité sous les feux de la rampe…

Christine Beaulieu conclut la narration de J’aime Hydro en lançant un vibrant appel aux Québécois (es) afin qu’ils (elles) réduisent sensiblement leur consommation d’hydro-électricité. En prônant un changement d’attitude radical, de leur part, la jeune femme souhaite que l’on évite de donner des prétextes au monopole d’État pour ériger de nouveaux barrages et pour construire de nouvelles centrales hydro-électriques… Or, selon nous, lorsqu’elle s’exprime ainsi, l’auteure et comédienne nous révèle involontairement qu’elle perçoit la réalité par le petit bout de la lorgnette et qu’elle demeure incapable de transcender son sujet théâtral. En vérité, le développement d’ambitieux projets hydro-électriques qu’effectue la société d’État n’est point attribuable à la consommation d’électricité qui caractérise la population québécoise (encore qu’il y aurait des améliorations à apporter, à cet égard). L’actualisation desdits projets s’explique principalement par la volonté politique de certaines personnes de pouvoir, des mandarins, de tirer de l’exportation d’hydro-électricité des avantages économiques considérables pour une minorité d’individus. Dans ces circonstances, pourquoi Christine Beaulieu craint-elle de traiter des dimensions éthique et politique du capitalisme ? Parce qu’elle ne connaît guère ces domaines et qu’elle ne souhaite pas engendrer un débat de fond clivant, au sein de la société québécoise, qui porterait sur des questions sociopolitiques prépondérantes. Indéniablement, une telle attitude s’avère déplorable puisqu’elle a pour effet direct de rendre la pièce de théâtre documentaire de Beaulieu inoffensive, voire lénifiante.

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