Édition du 16 avril 2024

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Arts culture et société

La destruction du théâtre russe

D’un côté : protestations, départs pour l’étranger ou démissions pour cause de guerre ; de l’autre : exclusions, interpellations, amendes, spectacles déprogrammés pour non soutien affiché aux forces armées de la Fédération de Russie. Le paysage du théâtre russe est chamboulé, explosé, dévasté.

Tiré du blogue de l’auteur.

Le 24 février 2022, jour un de « l’opération spéciale » visant à anéantir et annexer l’Ukraine, Elena Kovalskaia, la formidable directrice du Centre Meyerhold de Moscou démissionnait. Le lendemain le très bon metteur en scène Mindaugas Karabauskis, directeur du Théâtre Maïakovski de Moscou démissionnait à son tour et ses mises en scène ne tarderont pas à être retirées de l’affiche. La réaction ne s’est pas faite attendre. Trois jours plus tard, Dmitri Volkostrelov, le directeur artistique du centre Meyerhold était démis de ses fonctions, et, dans la foulée, on faisait fusionner le Centre Meyerhold avec le GITIS, l’école dramatique de Moscou, établissement affichant son soutien à la guerre. Depuis ce double mouvement n’a pas eu de cesse.

Marina Davydova, la rédactrice en chef de la prestigieuse revue Teatr, menacée après avoir signé une pétition contre la guerre, est partie début mars 2022 à Berlin. Très vite, sur Internet, a commencé la publication quasi quotidienne d’une « chronique de la destruction » en marge de la revue, elle, suspendue par les autorités.

Par ordre de démissions volontaires : Tougan Sokiev, chef d’orchestre du Bolchoï, Mikhail Bychkov directeur du festival Platonov, Marina Andreykina, directrice adjointe du Théâtre d’art de Moscou, Natalia Yaroslavtseva, ministre de la culture de la région de Novossibirsk, Denis Amazov directeur du Théâtre Roman Viktyouk à Moscou, Rimas Touminas, directeur du Théâtre Vakhtangov à Moscou, Alexey Kriklyviy directeur du Globe à Novossibirsk. Le metteur en scène Youri Boutoussov a quitté le théâtre Vathtangov et est parti aussitôt à l’étranger, Alexandre Kouliabine, directeur de la Torche rouge a démissionné (et une action en justice a été menée contre lui) . Démissions également de Maria Revyakina, directrice du Théâtre des Nations, Pavel Yuzhakov, directeur du Théâtre de la jeunesse de Novossibirsk, Liya Akhedzhakova grande actrice du théâtre Sovremennik à Moscou. Cette vénérable actrice aimée de tous les Russes, est l’objet d’une action en justice menée par Vitaly Borodine (chef de la sécurité) : on l’accuse de « haute trahison » et d’avoir publiquement « discrédité les forces armées de la Fédération de Russie », formule récurrente des actes d’accusation. Ses spectacles sont retirés de l’affiche et c’est aussi le cas de nombreux auteurs et metteurs en scène ayant démissionné ou étant partis à l’étranger (Pays baltes, Allemagne, Espagne, France, Angleterre, etc.).

D’autres artistes sont démis de leurs fonctions par les autorités comme Yulia Churilova, directrice du premier théâtre de Novossibirsk, Sergei Levitsky qui dirigeait le théâtre dramatique russe d’Oulan-Oudé et a été condamné à une amende pour avoir « discrédité les forces armées de la Fédération de Russie ». C’est aussi le cas de Yula Belyaeva, directrice du théâtre dramatique de Komi-Permyak. Anna Yakunia directrice du Théâtre de la Jeunesse de Khabarovsk (grande ville sibérienne) a été licenciée tout comme Natalia Pivovarova professeure au GITIS (la plus célèbre des écoles de théâtre moscovites) depuis quarante ans. L’acteur Dmitry Nazarov et son épouse l’actrice Olga Vasilyeva ont été renvoyés du théâtre d’art de Moscou, le couple a quitté la Russie.

Tous les théâtres de Moscou ont reçu l’ordre de déprogrammer les mises en scène de Dmitry Krymov qui, séjournant aux Etats-Unis a décidé de prolonger son séjour jusqu’à une date indéterminée. La tournée de Guerre et paix dans la mise en scène de Rimas Tuminas a été suspendue. Des noms d’auteurs, de metteurs en scène et d’acteurs très connus comme Boris Akounine, Boris Pavlovitch,Viktor Chenderovitch, Nikita Betekhtine, Kirill Serebrennikov, Alexander Molochnikov sont retirés des affiches et des programmes. Et c’est évidemment le cas d’Ivan Viripaev (qui vit en Pologne) et avait dit vouloir verser ses droits d’auteur à une fond pour la paix en Ukraine. Vsevolod Lisovsky qui jouait dans la rue Le cercle de craie caucasien de Brecht a été arrêté. Oleg Yagodine acteur phare du théâtre Kolyada à Ekaterinbourg a été condamné à une amende pour avoir « discrédité les forces armées de la Fédération de Russie ». La critique de théâtre Aysyla Kadirova a été inculpée pour « justification publique du terrorisme ». Fait rare, trois semaines après le début de la guerre, le théâtre dramatique de Minoussinsk (ville connue pour la qualité de ses tomates), et le théâtre de marionnettes de Novossibirsk ont mis en ligne une vidéo en faveur de l’OTAN.

A Moscou, la Douma d’Etat a mis en place un « groupe d’enquête sur les activités anti-russes » dans le domaine de la culture en dressant une liste noire où figurent Lev Dodine, Danila Kozlovsky, Vladimir Ourine, Alexandre Molochnikov et bien d’autres. Quant à Andrey Moguchy, directeur artistique du fameux théâtre Tovstonogov à Saint Petersbourg, son contrat n’a pas été renouvelé.

D’autres, à l’inverse, affichent leur soutien à la guerre menée par l’armée russe. C’est le cas du Théâtre de l’armée russe à Moscou qui a tourné une vidéo patriotique, c’est le cas des théâtres moscovites qui affichent un Z géant sur leur façade comme l’a fait le premier Oleg Tabakov. L’acteur très connu Alexandre Kaliagine a demandé l’exclusion de Mikhail Durnenkov du STD (l’union des gens de théâtre) pour ses déclarations anti-guerre. La direction du GITIS a dénoncé la « littérature nazie » en provenance d’Ukraine. L’actrice Polina Agouréeva que l’on avait vue en France dans les spectacles de feu Piotr Fomenko, est allée jouer à Donetsk et dans d’autres villes du Donbass pour les soldats russes. Le théâtre Roman Viktiouk a décidé d’annuler ses représentations et de devenir un point de mobilisation. Le théâtre Vakhtangov de Moscou patronne une unité militaire du Donbass.

Parmi ces soutiens à Poutine et à la guerre en Ukraine, le célèbre et influent acteur Yevgeny Mironov est des plus actifs. Sa fondation a fait don d’un équipement d’une valeur de huit millions de roubles au Théâtre dramatique russifié de Marioupol et l’acteur s’est rendu sur place auprès des forces russes. Quant à la mise en scène d’Oncle Vania de Tchekhov au Théâtre des Nations par Stéphane Braunchweig (une création venue à l’Odéon en janvier 2020), Mironov -qui tient le rôle-titre- annonce que le spectacle sera joué à Moscou le 22 juin prochain.

Le 29 mars dernier, Artur Shuvalov, un acteur du théâtre dramatique d’Oulan-Oudé (capitale de la Bouriatie vers la frontière mongole) s’est taillé les poignets en scène pour protester contre la nouvelle direction du théâtre (l’ancien directeur Serguei Levitsky ayant été licencié) et le harcèlement dont son épouse, actrice, et lui sont l’objet. Un spectateur ayant filmé la scène l’a mise en ligne sur une chaîne cryptée. C’est Elena qui, dans Oncle Vania, parle du « démon de la destruction ».

(avec l’aide de Macha Zonina)

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