Édition du 26 mars 2024

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Médias

Le débat public en temps de pandémie

En situation de crise, il est plus qu’essentiel de permettre et de favoriser le débat public, d’autant que, scientifiques compris, nous avançons en terrain inconnu. Les intellectuels et les médias ont un rôle difficile à jouer, mais central. Une diversité de sources doit permettre de débattre et de contester les informations disponibles, tout en contrant la fausse information.

Dans son ultime chronique au Devoir, le 26 janvier 2022, La pandémie revue et corrigée, Francine Pelletier défendait un point de vue : « le débat entourant la pandémie a trop souvent été courtcircuité ».

Son questionnement s’appuyait largement sur un texte d’opinion du Dr Norman Doidge, paru dans le Globe and Mail quelques jours plus tôt, lui-même référant au Dr Kulldorff. Il y était aussi question d’un nouveau traitement, la fluvoxamine. Fallait-il éviter de s’appuyer sur les dires du Dr Doidge, qui ont été fortement contestés par d’autres scientifiques, pour étayer son propos visant les difficultés du débat public ? Fort probablement.

Cela dit, son questionnement sur de nombreux enjeux est de première importance, comme celui visant les intérêts des grandes pharmaceutiques. Présenter des points de vue sur ce que nous savons ou ne savons pas de l’efficacité des vaccins ou leurs possibles effets secondaires, sont des questions pertinentes, d’autant qu’il semble y avoir un consensus scientifique à l’effet que la guerre au virus n’est pas terminée. Peut-on relever que « les meilleures intentions du monde, pour sauver des vies, inciter à la cohésion sociale et contrer la désinformation [de la part des] autorités [tenant] à parler d’une même voix pour mieux promouvoir les mesures sanitaires » peut entraîner, « curieusement, un autre type de désinformation ; une espèce de censure involontaire » ?

Peut-on questionner les stratégies des gouvernements en matière de mesures sanitaires ? C’est si dérangeant de demander, à la fin d’une chronique, « une nouvelle stratégie, plus ouverte, plus franche, moins coercitive et mieux adaptée à la pandémie d’aujourd’hui » ? Des questions qui sont soulevées à travers le monde, et en provenance de tous les milieux.

La science n’est pas un dogme immuable. La science c’est aussi la recherche, une constante observation, parfois un débat sur les meilleurs mécanismes à mettre en place. Se souvient-on qu’à une certaine époque, des scientifiques questionnaient l’efficacité du port du masque ?

Il arrive que ce qui était vrai un jour (laver son épicerie) devienne une recommandation obsolète… Il arrive que celui ou celle qui prétendait que le port du masque n’était pas un moyen de prévention, se soit trompé…

Dans un tel contexte, il est primordial que tous les acteurs fassent preuve d’humilité et n’outrepassent pas leur champ de compétence, avec cette tendance que plusieurs d’entre nous avons depuis deux ans de s’instituer en expert de la santé et de la science en général. C’est ainsi que Le Devoir, dans une « mise au point » publiée deux jours plus tard, s’est arrogé cette vérité, dénaturant le propos de Mme Pelletier, laissant croire qu’elle avançait une opinion voulant que « la vaccination n’était pas une mesure centrale dans l’arsenal des outils permettant de contrer la COVID-19 ». On écrit que des nuances s’imposaient.

On a apparemment mis fin manu-militari à la collaboration de la chroniqueuse et cela sans nuances. Quel a été cet empressement à réagir, et avec une telle violence ? La peine imposée apparaît disproportionnée.

La pandémie a exacerbé les difficultés du débat démocratique. Il y a perte de repères. Évoquer la « science » devient le mot refuge qui nous mettrait à l’abri de tout. Or la science avance et recule, rectifie le tir, et demeure trop souvent soumise aux intérêts des pharmaceutiques, tout en étant susceptible d’être instrumentalisée par les pouvoirs publics.

Il est indéniable qu’il y a polarisation dans la société. Il y a aussi atteinte à la démocratie. Une partie de plus en plus importante de nos sociétés démocratiques ne croit plus aux institutions, ni à l’État, ni aux médias. Ces franges libertariennes s’enracinent et participent à tuer le débat public. Malheureusement, certains leaders de notre démocratie refusent d’affronter ces courants politiques qui grandissent en influence.

Craignant comme la peste d’être associés aux antivax et autres antitouts, nous n’osons plus contester, remettre en question les politiques et les manières de faire des autorités. Il faut être de la « bonne gang », au risque d’excommunication. Or, au contraire, le débat doit être fait. Il ne faut pas avoir peur de briser les faux consensus justement pour combattre la montée du populisme fascisant, une réelle menace.

Francine Pelletier demeure l’une des grandes intellectuelles québécoises qui a mené, au cours de sa carrière, des combats qui n’étaient pas gagnés d’avance, notamment pour les droits des femmes, posant des questions parfois difficiles, ne cédant pas à la dictature de la majorité. Elle a condamné les violences sexuelles, l’impunité entourant celles-ci, tout en ne cautionnant pas les dénonciations qui s’apparentent à du lynchage public.

En 2018, elle recevait le prix Hyman-Solomon pour l’excellence journalistique, décerné par le Forum des politiques publiques, un honneur qui récompense un ou une journaliste qui « a su approfondir les mécanismes régissant l’élaboration des politiques ». Les membres du jury l’ont qualifiée de personne « passionnée, progressiste et audacieuse ». Elle n’a pas changé.

Mettre fin à sa collaboration, comme cela a été fait, s’apparente à un geste assassin du débat public. On est également en droit de se demander s’il n’y avait pas d’autres questionnements soulevés par Mme Pelletier qui dérangeaient.

Les signataires s’expriment en leur nom personnel :

Pierre Céré, auteur et porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses
France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone
Nimâ Machouf, épidémiologiste et chargée de cours à l’école de santé publique de l’UdeM
Nicole Boily, gestionnaire publique et militante en développement social
Marie-Andrée Brassard, retraitée, ex-reporter national de Radio-Canada
Dominic Champagne, auteur, metteur en scène et activiste
Alain Deneault, professeur de philosophie, Université de Moncton, auteur de La Médiocratie
Kevin Dougherty, journaliste indépendant
Guy Dumas, linguiste, administrateur d’État à la retraite
Christine Eddie, auteure
Ariane Émond, journaliste indépendante et animatrice
Bernard Falaise, musicien
Martin Forgues, journaliste et auteur
Jacques T. Godbout, sociologue, professeur émérite de l’INRS
Françoise Guénette, communicatrice
Nicole Lacelle, militante
Jean-Eudes Landry, retraité, ex-directeur des publications au Service des communications de l’Université Laval
Monique Langlois, citoyenne
Cécile Larouche, ex-journaliste à Radio-Canada
Nicole Ollivier, sociologue
Hélène Pagé, ex-directrice Médiation culturelle et éducation – Musée de la civilisation
Michèle Pérusse, ex-communicatrice
Stanley Péan, écrivain et journaliste
Lorraine Pintal, comédienne et metteuse en scène
Michel Seymour, professeur retraité de l’Université de Montréal
Christian Vanasse, humoriste

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