Édition du 12 mars 2024

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Québec

Le futur antérieur

Vous vous souvenez ? Le futur antérieur, c’est quand on se projette dans le futur pour regarder en arrière. Par exemple : « Dans six mois, nous aurons vécu des vacances à domicile, nous aurons arpenté tous les trottoirs et les parcs de la ville »

😊.

Mais le futur antérieur me fait frémir.

Parce que le présent du déconfinement et des plans économiques me fait redouter que dans six mois, en fait, nous aurons recommencé à consommer frénétiquement.
Nous aurons oublié ces heures de grâce, quand nous étions soudain devenus des citoyen·nes préoccupé·es par la chose publique : libéré·es des pressions du travail, dans l’impossibilité de sortir, de magasiner, nous avions découvert peu à peu que cette crise révélait notre manque de soins envers les personnes et l’environnement.
Avant la montée désespérante des décès, croyant que quelques semaines suffiraient à faire le pont vers un monde meilleur… Nous avions dit qu’un monde meilleur était possible, que nous ne voulions pas de retour à l’anormal qui nous sautait à la face.

Dans un an, nous aurons eu le temps d’oublier le confinement, le sentiment d’urgence qui s’était emparé de tout le monde, les visions fugitives qui auront traversé nos têtes dures :
 et si un autre monde était possible sur cette planète malade,
 si on pouvait être un peu moins compétitifs et un peu plus attentifs aux gens,
 si tout le monde pouvait avoir accès à l’internet,
 si les enfants pouvaient jouer dehors…

Dans deux ans, nous aurons traversé la crise de la Covid et nous aurons fait les premiers bilans.

Nous aurons avalé des peurs, surtout la peur de l’autre, mal digérée, qui nous empêche d’être proches, qui nous fait voir comme un risque ce qui n’est qu’un geste normal. Nous voilà bien organisés :
 le masque, on ne voit plus ton sourire, on t’entend mal ;
 les files d’attente, un peu partout, mais où il ne se passe plus rien ;
 les déserts humains, là où nous étions ensemble pour avoir du plaisir ou de la peine.

Et même quand on n’a pas peur individuellement, la société s’est mise en état de peur collective. C’est bien ce que signifie ce terme de distanciation sociale : soyons loin les uns des autres. C’est bien ce que reflètent ces consignes gouvernementales de ne plus se côtoyer. C’est bien ce que montrent les multiples barrières qui se sont dressées un peu partout, les visières, les écrans de plexiglas, les lavages de main, les restrictions sur le nombre de clients dans les commerces, sur le nombre de patient·es dans les hôpitaux.

C’est bien ce que reflètent les abandons : personnes handicapées privées de services à domicile, personnes âgées mortes de solitude ou de faim, enfants confinés dans des logements surpeuplés, écoliers à la dérive dans des absences indéterminées.

Des anges gardiennes perdent leurs ailes et leurs idéaux de service tombent de haut. On les a envoyées en enfer, là où Lucifer brille de tous ses feux et rit de nos vies en ruine.

Pendant ce temps, business as usual, les multinationales sont bien fortes et si elles sont mortes, c’est de rire, tandis que leur intelligence artificielle déploie ses branches fleuries, que leurs paradis regorgent de fruits fiscaux, et que nous absorbons docilement le miel empoisonné de leur publicité.

Il n’y a que la lutte au présent qui peut changer ce futur antérieur.

Dès aujourd’hui, déconfiner nos rêves et nos projets de société mis de côté ; reprendre le fil perdu de la démocratie, du débat public, non pour blâmer (ça, les médias sociaux et autres en sont pleins), mais pour dessiner l’avenir, discuter, nous rassembler, faire pression sur les pouvoirs publics qui sont en train de mettre en branle le renforcement des grandes corporations financières, exiger de la qualité dans l’alimentation, du respect de la terre et des vivants dans l’agriculture, de la prise en compte de la santé humaine et de l’environnement dans les mines et les usines, de la compassion dans les relations de travail et les soins aux personnes, de la vérité dans les communications et les médias, de la démocratie dans les gouvernements, de la justice dans la fiscalité. Exiger des limites concrètes à l’appropriation des richesses et au pouvoir de l’argent dans la conduite du monde.
Recréer l’échange entre nous qui seul rend possible la reprise de pouvoir dans notre vie collective. Car rien n’est plus vulnérable aux dominations (dominations des corps, domination des esprits, par des tyrans, par des puissances économiques) qu’une société devenue impuissante, atomisée et infiltrée par la crainte de l’autre.

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