Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Démocratie

Le masque démocratique tombe

Pendant les Trente Glorieuses, le libéralisme économique a eu besoin du prétexte démocratique afin de détourner la main d’œuvre des projets socialistes, surtout après la contribution importante du monde communiste à la victoire contre l’Axe. L’invention de la social-démocratie alloua ce qu’il faut de corde pour créer une entente entre les « partenaires sociaux », ce qui permit au capitalisme de continuer à se développer sans trop agiter le mécontentement, les suites des réformes keynésiennes aidant.

Mais, comme l’a déjà dit un ministre du gouvernement québécois, la démocratie, vous savez, c’est compliqué, il faut discuter, écouter, prendre des décisions ensemble, ça ne va pas assez vite. L’oligarchie ploutocratique, qui se partageait déjà le monde et son bassin de consommatrices-consommateurs séduits par la liberté de choix dans les étalages, voulut asservir plus vite, plus fort et plus complètement les différentes ressources de la planète : mines d’abord, mais aussi forêts, faunes terrestre, marine et humaine, qui doivent faire tourner la machine en travaillant toujours plus pour consommer toujours plus. L’évangile était déjà écrit : « Travaille, consomme, tais-toi ! »

On testa donc dans un laboratoire sélectionné, le Chili qu’on donna à Pinochet, les règles d’airain qui devraient désormais gouverner l’économie. On fut très satisfait du résultat même si cela avait l’heur de déplaire à des opposants pour qui la démocratie n’était pas encore une vieillerie inutile. En Grande-Bretagne sous Thatcher, puis aux États-Unis sous Reagan, on goûta avec délectation aux joies de la déréglementation pour les riches et de la contrainte pour les « ressources » humaines.

Même la France dite socialiste se convertit au milieu des années 80 au libéralisme si prometteur. Depuis, la confusion règne chez les électrices-électeurs de France et de Navarre, qui avaient cru élire la gauche avec le Parti socialiste. On en conclut que droite et gauche sont semblables puisqu’elles appliquent la même politique. Le problème est que, tout simplement, la droite économique (Parti socialiste) a succédé à la droite économique (les Républicains) finalement remplacée par une droite économique encore plus féroce (En Marche... arrière préciserons-nous).

Quand le mur de Berlin tomba et qu’il entraîna dans sa chute les régimes du Bloc de l’Est, sous prétexte de fin des idéologies (qui était en fait le triomphe des oppressions idéologiques, religieuse dans les pays soumis, néolibérale dans les pays impérialistes), on renforça les contraintes pour les demandeurs de travail et la liberté pour les propriétaires des moyens de production. Liberté de circulation pour les biens et le capital financier, restriction pour les personnes humaines.

Le masque démocratique est devenu de moins en moins nécessaire et les tactiques dictatoriales se firent de plus en plus courantes dans les démocraties dites libérales en les présentant sous des formes attrayantes comme le « nouveau management public », la « qualité totale », la « réingénierie », la « bonne gouvernance ». La gouvernance (comme l’explique bien Alain Deneault dans son livre Gouvernance, le management totalitaire) est un piège qui consiste à faire valider par des élections un système de gestion anti-démocratique où les ploutocrates se cooptent et veillent à faire approuver par des politiques intéressés des règles qui les favorisent. C’est la base du fonctionnement des Commission européenne et autres Organisation mondiale du commerce. On impose alors cette gouvernance aux organismes publics et aux pays que l’on pille sans vergogne. Les mouvements ouvriers, pris dans le piège de la concertation, deviennent alors les spectateurs impuissants du raccourcissement de leurs chaînes.

Un texte comme celui paru dans le Devoir du jeudi 7 février 2019 (La démocratie n’est plus ce qu’elle était) fait partie des invocations hégémoniques (sans doute inconsciente chez l’auteur) pour vanter notre « bonne démocratie » contre les démocratures des pays autoritaires, comme si nous ne partagions pas avec ces pays les mêmes visées dominatrices sur les ressources naturelles des autres (notamment de l’Afrique et de l’Amérique du Sud), comme si le pouvoir des oligarques et des ploutocrates n’était pas déterminant sur les actions gouvernementales. On oppose des régimes plus autoritaires que les nôtres pour nous proposer de chérir nos démocraties unijambistes telles qu’elles sont, prétexte à ne pas vouloir les améliorer cherchant consolation dans le fait qu’ailleurs la discussion n’est pas permise, alors qu’ici elle est libre. On oublie de dire qu’elle est surtout encadrée.

Justin Trudeau est un bon exemple de la duplicité dictatoriale hégémonique dans notre Occident libéral. Il a été empêché de se rendre aux funérailles de Fidel Castro, qui fut pourtant un ami de son propre père, sous prétexte que c’était un « dictateur », mais il n’a pas été le moins du monde gêné pour aller faire des courbettes au roi d’Arabie Saoudite, lequel achète les armes canadiennes pour opprimer le Yémen.

Le Québec n’y a pas échappé en 2012 quand nous avons vécu un véritable épisode orwellien, où pour protéger l’ordre capitaliste consumériste libéral, le gouvernement était prêt à sacrifier toutes les libertés les plus fondamentales comme celles de se réunir et de manifester. Il n’est pas dit que pareil épisode ne se répètera pas.

Il n’y pas vraiment de différence entre Donald Trump et Emmanuel Macron, qui ne feront rien contre les pratiques inhumaines de la Chine mais sont prêts à reconnaître un président autoproclamé au Vénézuela. Trump a été élu avec moins de voix que son adversaire au milieu d’un abstentionnisme important. Macron n’a fait que 18 % au premier tour, mais se retrouvant devant une adversaire que même un manche à balai aurait vaincue, il accomplit le tour de force de lui permettre de réunir 34 % des voix, du jamais-vu dans la Ve République. Et tout ça, avec une abstention record. C’est dire leur peu d’appui réel dans la population.

Il n’y a pas non plus beaucoup de différence entre Poutine, Trump et Macron qui, tous trois, se voient comme des Messies de la bonne parole (religion nationale pour le premier, religion économique pour les deux autres). Les trois sont des partisans de la manière forte d’imposer la volonté hégémonique capitaliste. Ils ne sont juste pas dans le même camp. Cacher sa dictature plus ou moins soft dans laquelle les entreprises peuvent poursuivre l’État, mais pas l’inverse et dans laquelle les citoyens sont considérés comme quantité négligeable, sous celle (présumée ou réelle) des autres ne la rend pas moins détestable.

D’ailleurs une annonce récente montre à quel point les deux candidats libéraux « anti-système » sont les meilleurs vendeurs du système aux mamelles duquel ils tètent goûlument. Ils veulent créer un « Nouvel Ordre mondial », un Brave New World en somme. Les deux considèrent la démocratie comme un jeu, littéralement, auquel si on gagne, on rafle tout. Il s’agit d’une pensée procédurale qui évacue tout le contenu de la démocratie pour le remplacer uniquement par une mécanique qui permet de s’approprier le pouvoir en suivant les règles d’accession tout en en renvoyant l’esprit dans les limbes.

Macron a d’ailleurs osé déclarer lors de ses vœux du nouvel an que le peuple n’était souverain que dans le geste de voter une fois tous les cinq ans. Il confond légitimité et résultat électoral. Mais le peuple a compris que le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », ça veut dire qu’on peut retirer son appui à tout moment, sinon ce n’est pas de la démocratie, mais de la dictature électorale. C’est ce qui explique la contradiction radicale, fondamentale et irréconciliable entre les Gilets Jaunes et le pouvoir, qui cherche à se maintenir par la force et la répression puisqu’il estime avoir « gagné le jeu » et est absolument incapable de comprendre qu’on en est plus aux questions procédurales. Dans l’intelligence citoyenne, la force des arguments l’emporte ; chez les brutes, c’est l’argument de la force.

C’est ainsi que les gouvernements libéraux sont de plus en plus répressifs et que les initiatives citoyennes courent toujours le risque d’être récupérées, car le pouvoir souffre de cette irrémédiable obstination à vouloir se maintenir à tout prix. De là, l’arsenal et la force militaro-policière qui entoure les rencontres du G7 (et ses divers avatars). Répression d’autant plus nécessaire et serrée à mesure que les travailleuses et travailleurs sont mis en concurrence avec les robots, lesquels servent désormais de modèles au comportement attendu du subordonné : rapidité, flexibilité, pensée procédurale, substituabilité, silence, absence de contestation.

Si des mouvements comme celui des Gilets Jaunes émergent, il faut rendre grâce à l’intelligence du peuple qui, d’abord atteint dans sa vie privée, se rend compte que c’est un déficit de justice sociale qui est à l’origine du malaise. Le grand malheur, c’est que l’apparence de démocratie n’étant même plus nécessaire, juste le nom suffit, le gouvernement français se permet de voter une loi attentatoire au droit fondamental de manifester en l’appelant Loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Et c’est sans compter toutes les autres qui se préparent, là et ailleurs dans le monde. Que la patrie des Droits de l’Homme soit redevenue celle des bons petits bourgeois qui scandent « Travail, Famille, Patrie ! » au mépris de la majorité citoyenne devrait effrayer toutes les personnes qui militent pour les droits humains, mais ne comptez pas sur la presse hégémonique pour en parler, elle qui ne fait jamais seulement allusion à ceux-là qui tirent les ficelles de nos marionnettes libérales.

LAGACÉ, Francis

Francis Lagacé

LAGACÉ Francis
8200, rue Hochelaga App. 5
Montréal H1L 2L1
Répondeur ou télécopieur : (514) 723-0415
francis.lagace@gmail.com.
www.francislagace.org
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