Édition du 12 mars 2024

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Économie

Les assurances

Historiquement, l’assurance a été un dérivé de l’avance ou de l’emprunt, puisque le « prêt à la grosse aventure », qui signifiait l’acceptation du prêteur de ne pas être remboursé si les marchandises transportées par le navire du débiteur n’arrivaient pas à bon port, mais recevait ce qu’il a prêté – plus intérêt – dans le cas contraire, s’est transformé en contrat d’assurance au XVe siècle, après avoir pris la forme d’un cambium trajectitum ou « change maritime » au XIIIe.

L’emprunteur promettait de rembourser à un endroit X, une somme reçue en échange à l’endroit Y, à condition que le navire et la cargaison arrivent à bon port – bien entendu, la prime d’assurance apparaissait dans le bénéfice du change [i]. Des marchandises, on assura ensuite les bateaux ; les primes furent mises soudainement à découvert et le fil du temps contribua à ce que nous maintenions le principe de protection contre le risque, sous conditions toutefois. Mais si la pratique se rapportait essentiellement aux activités marchandes, l’attrait du profit augmenta les occasions de pratiquer l’assurance, multipliant les biens assurables et, par le fait même, mutualisant la société.

De nos jours, ce processus se poursuit dans la mesure où le développement du crédit a entraîné l’apparition de l’assurance, comme nous venons de l’exposer, associée dès son origine aux activités monétaires, voire financières, mais aussi aux mutations des risques occasionnés par le progrès ainsi que les évolutions techniques et technologiques.

Les récents épisodes d’inondation survenus au Québec – comme ailleurs – nous exposent le concret des changements climatiques, mais également le casse-tête des sinistré(e)s pour se faire indemniser par leur compagnie d’assurances. Pourtant l’ontologie de l’assurance, comme l’entend Razmig Keucheyan dans son chapitre « Financiariser la nature : l’assurance des risques climatiques » tiré de son ouvrage La nature est un champ de bataille, est de « transférer des risques » à un assureur, au cas où ils se matérialiseraient en d’authentiques dommages, moyennant le paiement d’une prime [ii]. Or, il n’y a aucune « assurance » dans les assurances, puisque les indemnisations dépendent aussi de conditions. Ici deux aspects s’entrechoquent : premièrement, l’initiative d’origine d’une mutualisation, c’est-à-dire d’une prise en charge collective d’un risque susceptible de porter atteinte à l’un ou l’autre des membres de cette collectivité ; deuxièmement, la viabilité du mécanisme, pour ne pas dire des assureurs qui recherchent la perpétuité de leurs activités avec quelque profit.

Les risques climatiques représentent peut-être la dernière limite du capitalisme, alors que la financiarisation de l’assurance ne suffira pas à le maintenir intact, ni même à songer à une accumulation supplémentaire en vertu d’un oxymore arrivé à son essoufflement. Continuer dans cette voie revient à renier la mutualité humaine par laquelle le bien-être de tous et de toutes devait normalement être assuré, puisqu’au fond elle n’a peut-être jamais été envisagée pour supporter tout le monde, même s’il s’agissait du but recherché ; du moins en songeant à ce qui avait été communiqué. Les pressions exercées sur la nature constituent la cause des troubles par lesquels le système de l’assurance atteindra lui-même une frontière le menant vers le point de non retour, tout ça suite à une illusion de croissance exponentielle antinomique au monde réel – celui-ci étant restreint dans ses capacités à satisfaire les incroyables désirs capitalistes toujours insatisfaits.

En bref, le véritable risque à évaluer repose sur le temps qui nous reste, surtout si nous continuons à encourager une idéologie éprise de l’abstraction de ses modélisations mathématiques à des fins avaricieuses.

Écrit par Guylain Bernier

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