Édition du 16 avril 2024

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Nitassinan : le sens réel des négociations avec les gouvernements

Par Kameshnitset

Pessamit, 13 avril 2012

Lors de la rupture des négociations entre Pessamit et le gouvernement du Québec en novembre, le chef Raphaël Picard a accusé ce dernier d’être de mauvaise foi. Il y a peu d’informations sur le déroulement de ces négociations. On sait toutefois qu’elles eurent lieu de juin à novembre 2011, et qu’elles furent entamées en raison du blocus partiel de la route 138, qui constituait la première phase d’un plan de lutte des Innus de Pessamit pour régler les nombreux litiges avec le gouvernement du Québec. On sait aussi que le négociateur nommé par Québec était Florent Gagné, personnage au lourd passé politique. Le choix de ce négociateur nous amène à émettre certaines hypothèses sur les intentions réelles du gouvernement dans ses rapports avec les Innus, mais aussi sur le sens réel des négociations.

Florent Gagné n’étant pas connu pour défendre l’argent des contribuables, certains pourraient supposer que sa nomination comme négociateur reflétait la volonté de Québec de dédommager sérieusement les Innus pour les énormes préjudices subis à même leur territoire (14 barrages, lignes de transport, route 138, etc.). Monsieur Gagné chapeaute la Société nationale du cheval de course (SONACC) et fut étroitement impliqué dans la privatisation de cette industrie au profit d’un entrepreneur, le sénateur libéral Massicotte. Florent Gagné n’a jamais eu de difficulté à consentir à l’entreprise du sénateur des aides gouvernementales totalisant plus de 938 millions de dollars sur 25 ans [1]. En comparaison, les plus de 3000 Innus de Pessamit se sont vu offrir, pour tout dédommagement, 113 millions de dollars sur 50 ans. C’est dix-sept fois moins pour les Innus de Pessamit, qui n’ont pas la chance d’avoir un sénateur libéral dans leurs rangs... Ce n’est donc vraisemblablement pas pour ses largesses avec l’argent des contribuables que Florent Gagné fut choisi par le gouvernement Charest.

Par ailleurs, lorsqu’il était sous-ministre des transports, Florent Gagné fut vertement dénoncé par le vérificateur général pour avoir fermé les yeux dans un cas de collusion [2]. Il présentera plus tard un rapport sur l’éthique en milieu municipal qui favorisait ni plus ni moins la collusion entre entrepreneurs et élus [3]. Ces informations nous amènent à formuler une autre hypothèse, soit que monsieur Gagné ait été choisi par Québec pour corrompre le chef Picard. Bien que probable, cette hypothèse n’a clairement pas fonctionné car le chef de Pessamit a rejeté l’offre du revers de la main, en la considérant comme insultante.

Mais si l’on considère le contexte dans lequel les négociations furent établies - la première phase d’un plan de mobilisation populaire pouvant faire perdre des millions de dollars aux entreprises minières et à Hydro-Québec – on est amenés à considérer l’hypothèse des considérations policières et de renseignement. Or, la personne de Florent Gagné constitue l’élément idéal pour de tels desseins. Monsieur Gagné fut en effet sous-ministre de la Sécurité publique, puis Directeur général de la Sureté du Québec lors du Sommet des Amériques pendant lequel eut lieu une répression d’une ampleur inégalée. Quelques années plus tard, lors de la répression sauvage des Algonquins du Lac Barrière qui avaient bloqué la route 117, monsieur Gagné était devenu sous-ministre du Transport. Actuellement, Florent Gagné est membre du Comité de vérification du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) [4], c’est-à-dire qu’il couvre les exactions commises par les agents secrets canadiens, extrêmement intéressés par le « radicalisme autochtone ». [5]

Impossible pourtant de savoir si la mission de renseignement de Florent Gagné a été fructueuse. Aucun des instigateurs du plan de lutte n’étant invité aux négociations, il est en effet difficile de savoir quelles informations « sécuritaires » monsieur Gagné a pu refiler aux gouvernements. Il faudrait pour cela demander aux négociateurs de la firme Villeneuve Venn, qui devaient représenter les intérêts de la communauté de Pessamit, moyennant 270 000$ en frais d’avocat. [6]

La firme Villeneuve Venn est aussi la firme qui a concocté le plan de coupures néolibéales qui affecte gravement la communauté depuis un an. Ce contrat lui rapporte plus de deux millions par année en frais de cogestion. On ne voit donc pas très bien quel intérêt cette firme aurait à obtenir pour Pessamit d’importantes compensations financières de Québec, ce qui aurait pour effet de résoudre la crise financière, mettant ainsi fin à ses lucratifs contrats de cogestion. Il y a là un conflit d’intérêt évident. Fait à noter : la firme Villeneuve Venn est membre de l’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ) [7], lobbyistes miniers pour qui le gouvernement ne doit pas céder le contrôle des ressources minérales au niveau local, au risque de provoquer une « balkanisation » [8]. Soulignons également que certains associés de la firme Villeneuve Venn sont de généreux contributeurs du Parti libéral du Québec...

Les négociations ne servent, dans le meilleur des cas, qu’à rendre officiel un rapport de force favorable créé lors des luttes populaires. Elles ne remplacent pas les luttes, et quand elles les remplacent, c’est toujours au détriment des populations qui se font berner. En proposant à Pessamit de négocier, le gouvernement du Québec a obtenu l’interruption du plan de lutte de la communauté et a récolté des informations qu’il essaiera d’utiliser pour contrecarrer les actions futures. Le montant offert à Pessamit (113 millions en compensation), c’est ce que vaut, aux yeux du gouvernement, une journée de ralentissement du trafic sur la route 138. La communauté de Uashat mak Mani-Utenam ne saura malheureusement pas ce que valait son blocus du chantier de la Romaine, car il fut violemment démantelé par la Sûreté du Québec. Espérons que les Innus sauront riposter avant que les négociations reprennent à leur désavantage...

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