Édition du 16 avril 2024

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Élections américaines

Pourquoi voter pour Obama ?

Beaucoup, peut-être trop, a été dit au sujet du président, des erreurs et des réalisations de son administration au cours des quatre dernières années. Les résultats sont plus diversifiés que ses plus ardentEs partisanEs et ses pires détrateurs-trices veulent bien le dire.

The Nation, 2 octobre 2012 - Traduction, Alexandra Cyr

À ranger du côté positif : la réforme des assurances maladie qui va maintenant assurer 35 millions de personnes qui n’avaient aucune couverture ; le Recovery Act la loi qui étend les programmes anti-pauvreté à un point qui n’a pas encore été vu depuis 40 ans ; la réforme du secteur de la finance ; la réforme des prêts étudiants ; le retrait de la politique « don’t ask, don’t tell [1] » ; le décret Ledbetter Fair Pay [2] ; le décret pour protéger un million de jeunes immigrantEs sans papier des renvoies dans le pays d’origine de leur famille ; et finalement la fin de la guerre en Irak.

Du côté sombre il y a le fait de n’avoir pas tenu Wall Street responsable de la crise économique ; de ne pas défendre les millions de propriétaires viséEs par les saisies de leur maison pour défaut de paiement ; de ne pas avoir fait cesser les attaques aux droits civiques introduits par les lois sur la « guerre au terrorisme » ; de n’avoir pas arrêté l’alarmante augmentation des renvois à la frontières des sans-papiers ; et de n’être pas intervenu avec plus de vigueur pour agir sur les changements climatiques. Mais le plus important manquement concerne la philosophie économique présente dans le pays. M. Obama n’a pas réussi à développer une véritable alternative au fondamentalisme économique de marché toujours en cours, toujours dominant, dans l’élaboration des politiques et dans le discours public, malgré les dégâts engendrés par cette orientation.

Les progressistes peuvent évaluer différemment le premier mandat du président selon le degré d’importance qu’ils accordent à chacun de ces aspects. Mais il est crucial que nous intervenions dans cette élection sans ambivalence. Nous savons qu’une victoire de M. Obama ne résoudra pas tous nos problèmes, mais sa défaite serait catastrophique en regard des objectifs que nous poursuivons.

Nous faisons face à un mouvement conservateur qui est apocalyptique dans sa vision du monde et révolutionnaire dans ses aspirations. On n’exagère pas quand on dit que ce mouvement va nous ramener en arrière et nous faire perdre tous les grand acquis du vingtième siècle : du droit de vote aux droits des femmes, des mesures les plus élémentaires pour encadrer les agissements des compagnies jusqu’à l’impôt progressif, de l’existence des grands piliers que sont Social Security, Medicare et Medicaid jusqu’aux droits de base des travailleurs-euses à s’organiser et à négocier collectivement. Après l’émergence du Tea Party, après le résultat des élections de 2010 [3], avec la proposition budgétaire extrémiste de Paul Ryan et les législations passées par beaucoup de parlements d’États en 2011 qui ont aboutit à des restrictions dans l’exercice du droit de vote, à des politiques xénophobes, à des attaques aux droits des femmes en matière de reproduction et à un vicieux anti-syndicalisme, nous ne pouvons plus douter du sérieux de la férocité de nos opposantEs. Il faut être bien conscientEs du fort radicalisme qui soutient ce mouvement ; il cherche à rétablir le vieux pouvoir de la population blanche et à empêcher la majorité « colorée » en développement, à trouver son chemin dans la vie politique publique. Tous les débats sur la taille du gouvernement, les taxes et impôts, le filet de sécurité, l’immigration et les attaques au droit de vote sont sous tendus par cet enjeu démographique. La défaite du président Obama signifierait l’introduction d’efforts démesurés pour démanteler le contrat social et l’utilisation du pouvoir d’État pour faire cesser toutes tentatives de résistance en restreignant toujours plus le droit de vote, en démantelant les syndicats et en attaquant ce qui reste des centres de pouvoir des communautés afro-américaines et des travailleurs-euses. Tout cela était déjà évident avant que Mitt Romney ne déclare clairement son désintérêt pour presque la moitié du peuple américain.

Juste après l’élection, nous allons faire face au plus important débat de politique sociale de notre génération. Avant la fin de l’année, le président et le Congrès doivent faire face à ce qu’on nomme le « fiscal cliff », le péril qui menace le gouvernement et la nation en matière de financement du gouvernement. Les négociations pour relever le plafond de la dette gouvernementale l’an dernier, ont aboutit à une entente qui prévoit que si les lignes de fonds d’un nouveau budget ne sont pas adoptées avant la fin de cette année, des coupes automatiques commenceront dans le budget de la défense et dans les dépenses intérieures. Ce débat sur l’augmentation de la dette et du déficit va avoir lieu alors que les réductions de taxes introduites par l’administration Bush vont s’éteindre. Cela va provoquer une confrontation idéologique et le gagnant devra vivre avec ses effets délétères durant toutes les années à venir. Il n’est pas garantit qu’une victoire des progressistes aboutirait à des résultats faveur de leurs positions, loi s’en faut. Mais perdre cette élection nous assure de dures politiques d’austérité qui vont générer un niveau de misère que nous ne sommes pas capables d’imaginer en ce moment.

Donc, gagner les élections à la présidence, mais aussi au Congrès et dans les parlements des États, est l’objectif principal mais ça n’est pas une condition suffisante pour que revivent des politiques progressistes. Dans la période qui va les suivre nous devrons rester engagéEs et mobiliséEs. Étant donné le lourd débat sur la fiscalité qui nous pend au bout du nez, nous devrons être prêtEs à présenter une alternative à l’austérité qui devra comporter trois points :

1- Nous sommes dans une crise de l’emploi. Cela impose la création de millions d’emplois en investissant dans les infrastructures, l’économie verte, les soins et dans le secteur public et pas seulement comme moyen de réduire la souffrance humaine. C’est un outil essentiel pour les fondements d’une stabilité fiscale à long terme et de partage de la prospérité. À titre de progressistes, nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans l’approche de la primauté de la lutte contre le déficit. Ce ne sera pas une victoire si nous ne commençons pas par le plus immédiat : redéfinir le problème et briser le consensus des élites dominantes.

2- Nous devons protéger et renforcir les programmes sociaux que sont Social Security, Medicare et Medicaid et d’autres qui sont critiques pour le mieux-être des plus vulnérables d’entre nous. Il est devenu commun de dire que ces programmes doivent être réformés. C’est un langage codé pour dire qu’il faut en réduire les bénéfices, augmenter l’âge de la retraite puisque nous vivons plus vieux et plus vieilles….Ce raisonnement n’a aucun sens. Comme Paul Krugman l’écrit : « Ceux et celles qui n’ont que les prestations de la Social Securiy pour vivre, ceux et celles qui sont dans la deuxième partie la plus basse des revenus, ne vivent pas beaucoup plus longtemps. Donc vous allez dire à unE concierge de travailler jusqu’à soixante-dix ans parce que ceux dans la première moitié vivent plus longtemps que jamais ». Des mesures simples, comme relever le plafond sur les impôts sur la masse salariale garantirait la solvabilité du programme pour les plus de soixante-quinze ans et permettraient de verser de meilleures pensions aux plus pauvres des bénéficiaires.

3- Il faut mettre fin aux baisse d’impôts dont l’ex-président Bush a fait bénéficier les plus riches. Autrement on ne pourra pas créer plus d’emploi ni préserver notre contrat social.

Ces sujets ne font pas partie des discussions de nos gouvernantEs et de leurs interlocuteurs-trices du monde des affaires. Mais si nous n’arrivons pas à passer à travers le consensus sur l’austérité, c’est lui qui va nous terrasser. Il faut faire progresser le débat vers la gauche sans avoir peur et sans s’excuser. Une des grandes leçons à tirer du premier mandat de M. Obama, c’est que nous avons avancé quand nous avons mis de la pression. Mais nous avons fait du sur-place quand nous nous sommes arrêtéEs pour attendre ou pour voir venir. Le mouvement des gais, lesbiennes et transgenres et des droits des immigrantEs ont gagné des modifications aux lois en interpelant et faisant pression sur les RépublicainEs aussi bien que sur les Démocrates. La loi sur l’assurance maladie n’aurait jamais été adoptée n’eut été des pressions incessantes de la part de la base populaire et des Démocrates modéréEs. Seules les campagnes vigoureuses ont des chances de réussir quand elles agissent indépendamment des deux partis politiques ; que ce soit pour développer l’emploi, s’opposer aux saisies de propriétés, en faveur de la réforme des lois sur l’immigration ou sur les changements climatiques.

Il y a urgence d’agir dans le champ de la justice raciale. Le véritable niveau de chômage des Afro-AméricainEs est de plus de 22%. Cela comprend les travailleurs-euses à temps partiel qui voudraient travailler à temps plein et ceux et celles qui ont cessé de chercher du travail. C’est presque deux fois le niveau dans la population blanche. Dans les villes de Cleveland, Détroit et Buffalo, cela prend l’allure d’une dépression catastrophique. La récession actuelle a balayé les progrès que cette population avait mis une génération à réaliser. La médiane du niveau de richesse dans la population blanche est maintenant de 100,000$ ; elle est de 5,000$ dans la population noire et chez les hispanophones. Le président peut bien invoquer des contraintes pour ne pas agir efficacement sur ces dimensions liées entre elles, mais nous ne sommes pas dans cette situation.

Il est devenu critique que nous nous intéressions à la démocratie en 2013, que nous combattions le pouvoir grandissant de l’argent et de son intervention organisée dans la vie politique. L’introduction de mesures pour renforcer le syndicalisme, pour étendre le droit de vote et pour ouvrir une voie vers la citoyenneté aux immigrantEs, ne sont pas que de bonnes politiques publiques, ce sont aussi des moyens de renforcer le pouvoir de la classe travailleuse. La droite utilise le sien pour s’installer à la tête des gouvernements dans les États pour y restreindre la démocratie comme nous l’avons vu au Wisconsin. Elle y a passé de dures lois contre les syndicats et pour l’exclusion d’électeurs-trices de leur droit de vote. Donc, chaque fois que nous avons l’occasion d’utiliser notre pouvoir pour élargir le territoire démocratique, que ce soit pour des réformes des lois sur l’immigration, ou pour appuyer des décrets qui renforcent les droits syndicaux ou de vote, nous devons le faire. Pas seulement parce que ces mesures sont importantes en elles-mêmes mais parce qu’elles servent de levier pour introduire d’autres changements.

2008 était le temps de l’audace et de l’espoir. Les prochaines années sont celles de la sobriété, de la détermination, de la patience et de la résilience. Les problèmes auxquels nous faisons face sont si profonds qu’aucune correction immédiate n’est possible. L’enjeu le plus important pour les progressistes est de déterminer comment construire un mouvement pour la justice sociale, un mouvement populaire qui peut venir à bout du programme d’austérité de l’élite et en même temps de l’effet des montants énormes que dépense la droite dans le champ politique et qui dynamise l’énergie conservatrice. Les crises réelles qui pèsent sur le pays ne sont pas à l’ordre du jour des dirigeantEs de ce pays et les solutions avancées sont rarement à la hauteur de ce à quoi nous faisons face : plus de 106 millions de personnes (unE AméricainE sur trois), sont dans une situation matérielle difficile. Cela veut dire vivre à 200% sous le seuil de pauvreté. Vingt millions vivent dans une pauvreté extrême. 12 millions et demi sont à la recherche d’emploi. Les conditions de salaire et de travail sont en constante dégradation pour une majorité de la population. Jacob Hacker et Nate Loewentheil ont développé un cadre d’analyse pour guider le partage de la prospérité. Il a été endossé par une large partie des organisations de travailleurs-euses, des groupes communautaires et de lutte pour les droits civiques. Il présente une alternative à l’austérité qui peut faire face aux crises. Mais seulement une base organisée peut rendre ces idées vivantes dans la sphère publique.

Une partie de nos efforts doit donc porter sur la construction d’alliances fortes dans le mouvement ouvrier, communautaire, féministe, religieux, des droits civiques, de l’immigration et de bien d’autres, avec une large vision sociale. Aucune de ces parties du mouvement social n’a les ressources et les capacités stratégiques pour s’attaquer aux problèmes, seule. Il nous faudra ensuite, aller vers les AméricainEs qui ne sont pas encore d’accord avec nous ou qui n’ont pas entendu parler de nous. Une gauche repliée sur elle-même qui se paye de l’illusion avec sa soit disant force, qui ne prêche qu’à des convertiEs et ne construit pas voies pour la participation, ne réussira pas à faire face aux enjeux de ce moment historique.
Le recrutement présente quelques obstacles pour la gauche. La plupart des AméricainEs ont des vues compliquées et parfois contradictoires à propos de l’économie. Et nous avons connu un déplacement idéologique des solutions publiques vers les privées. Comme Ronald Browstein l’écrivait plus tôt cette année dans le National Journal : « Un thème traverse constamment les sondages : l’émergence de ce qu’on pourrait appeler une dépendance sur soi-même par défaut ». Les AméricainEs tentent de plus en plus de reconstruire la sécurité économique par leurs propres efforts en partie parce qu’ils et elles ne font plus confiance aux institutions pour la leur donner. Les sondages mettent aussi en évidence la crise de confiance qui s’est développée dans la foulée de la crise économique, envers pratiquement tout le leadership public et privé du pays depuis les éluEs jusqu’aux dirigeantEs des entreprises et du mouvement ouvrier. L’examen de tous ces facteurs nous amène à un dur constat : au moment où ils se voient dans une situation économique plus difficile que celle qu’ont connu les générations antérieures, la plupart des AméricainEs ont le sentiment de se retrouver seulEs pour s’en sortir.

Avec ces changements en tête, compte-tenu des attaques contre les syndicats et de leurs reculs, nous pouvons comprendre que nous faisons face à tout un défi pour rendre notre point de vue public et le transformer en action collective. Les syndicats étaient des lieux de pratiques communautaires, de réciprocité et d’actions collectives nourries par leur histoire ; cela nous manque en ce moment. Nous devons expérimenter de nouvelles façons de faire pour développer notre pouvoir et donner une voix à la classe ouvrière. En fait, c’est déjà commencé dans divers coins du pays. Ces nouvelles expériences ont en commun la reconstruction du rôle des organisateurs-trices payéEs pour leur travail, d’ouvrir des fronts et des centres militants, d’offrir aux populations des visions qui leur parlent vraiment pour le long terme, au lieu d’objectifs concrets à court terme et une combinaison d’éducation en profondeur et de développement de rapports sociaux à partir d’actions de créativité. Cela n’a rien de bien nouveau ; ces méthodes ont développé le pouvoir de tous les grands mouvements qui ont changé les États-Unis, mais nous devons nous y investir à nouveau. Le patient travail de construction d’un mouvement populaire n’est pas très attrayant comparé aux stratégies à la mode chez les progressistes mais il n’y a rien de mieux pour répondre à la demande pressante des communautés de la classe ouvrière à travers le pays.

La plus intéressante partie du discours du président Obama lors de la convention démocrate en août dernier, était probablement celle-ci : « Voyez-vous, il y a quatre ans, l’élection ne portait par sur moi. Elle portait sur vous ». Si nous avons jamais pensé qu’élire Barack Obama allait en soi, amener des changements spectaculaires, sommes-nous plus aviséEs maintenant. Notre histoire est celle de l’espoir généré par des mouvements, pas par des individuEs. L’exemple extraordinaire du Brésil, qui a défié les tendances fortes dans le monde, a sorti quarante millions de personnes de la pauvreté, réduit les inégalités et introduit des mesures fortes de discrimination positive, nous montre les réussites du pouvoir des mouvements sociaux. Durant des années, les leaders brésilienNEs ont fédéré les divers secteurs des mouvements ouvriers et populaires autour de visions de transformation de la société, mis la priorité sur le recrutement des non organiséEs et se sont engagéEs dans des politiques qui ont changé leur pays. Nous avons des indices d’un tel mouvement ici même, dans des centres pour personnes âgées à Akron, dans des projets domiciliaires à Charlotte, dans des églises à Phoenix, où des gens ordinaires se rassemblent pour discuter des raisons qui nous ont mené dans ce désastre, de ce que cela veut dire pour eux-mêmes et pour leur entourage et de ce que nous pouvons faire ensemble pour nous en sortir. Ils et elles travaillent sans relâche à cette élection parce que l’ampleur de l’enjeu leur est connu et qu’il faudra continuer le travail d’organisation dès le 7 novembre. C’est un changement auquel nous pouvons croire.


[1Politique qui visait les homosexuels et lesbiennes dans l’armée. « On ne vous demande rien, ne dites rien » à propos de votre orientation sexuelle. N.d.t.

[2Loi qui annule un jugement de la Cour Suprême qui avait statué dans la cause Lilly Ledbetter contre Goodyear qu’une employée ne pouvait poursuivre son employeur pour discrimination salariale que dans les 180 jours qui suivaient la première paye où la discrimination apparaissait. Le décret permet de poursuivre dans les 180 jours de n’importe quelle date où la discrimination apparaît. N.d.t.

[3Les RépublicainEs ont gagné le contrôle de la Chambre des représentants. N.d.t.

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