Édition du 30 avril 2024

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Québec

Souveraineté et politique fédérale, quelle stratégie

Le 4 octobre dernier le Réseau écosocialiste organisait un débat : quelle stratégie politique pour les élections fédérales de 2015 ? Les présentations de Nathalie Guay, Benoit Renaud et André Frappier ont suscité de nombreuses questions qui méritent d’être explorées.

Il a été question du vote stratégique pour défaire Harper, de la possibilité de présenter des candidatures ouvrières à l’exemple de Michel Chartrand et de Paul Cliche qui ont pavé la voie à l’Union des Forces Progressistes et ensuite à Québec solidaire, et de la nécessité de construire une alliance politique en vue d’une alternative politique pancanadienne.

Le Forum social s’est terminé avec un appel à unir nos forces pour combattre les conservateurs. Nathalie Guay rapportait le fruit de cette réflexion au débat.

Pour plusieurs cependant cette question est surtout problématique pour le reste du Canada. En effet au Québec, au Québec seulement, cinq circonscriptions sont actuellement représentées par le parti conservateur comparativement à 59 pour le NPD et 7 pour le parti Libéral. Les sondages indiquent cependant une montée certaine du Parti Libéral de Justin Trudeau qui formerait actuellement un gouvernement minoritaire. Le vote stratégique pour battre Harper dans le reste du Canada inviterait donc la population à voter Libéral dans la plupart des cas. Ce qui ne représente certainement pas une perspective.
La question des candidatures populaires proposée par Benoit Renaud a aussi fait l’objet de discussions. En principe c’est une bonne idée, mais l’échéance rapprochée laisse peu de temps pour trouver des candidatEs mais aussi pour trouver une plate-forme commune. Paul Cliche était à l’époque seul candidat et bénéficiait d’un regroupement politique pour le soutenir et définir sa plate-forme politique. En ce moment un tel regroupement n’existe pas encore et le fait de présenter plusieurs candidatures oblige à trouver un lien qui les unit si on veut faire ressortir l’idée d’une alternative politique.

Cette alternative politique dont j’ai déjà fait mention dans un précédent article, doit être considérée dès maintenant. Mais sa construction prendra un certain temps. Unifier la gauche du reste du Canada est une nécessité mais représente un défi important, lier cette gauche à celle du Québec également. Il y a en ce moment une ouverture, la montée de la droite représentée par Harper et dont les Libéraux prendront le relais, nous oblige à considérer cette question. Le NPD sauf pour le cas de certainEs députéEs, comme Alexandre Boulerice qui a fait un travail exemplaire en lien avec la lutte des travailleurs et travailleuses des postes, n’est pas le moteur de changement social. Il est le relais de la politique pétrolière des sables bitumineux, s’est rangé du côté d’Israël contre le peuple palestinien. Mais surtout, comme l’ont mentionné Michael Hurley et Sam Gindin dans leur récent article, le NPD ne se voit pas comme un parti des travailleurs et des travailleuses sauf pour des effets rhétoriques. Lorsqu’ils ont été au pouvoir au niveau provincial ils ont appliqué les baisses de salaire et les restrictions dans les programmes sociaux.

La construction d’une alternative politique pan canadienne qui repose sur le droit à l’autodétermination du Québec pose un certain nombre de questions pour la gauche canadienne mais également pour nous au Québec qui se sont reflétées dans le débat organisé par le réseau écosocialiste.

Une des préoccupations exprimées est : « nous on a beaucoup de travail politique au Québec, sans avoir à s’occuper du reste du Canada. » Oui, c’est vrai que les militants et militantes sont beaucoup sollicitéEs, on ne fera pas ce travail à la place des militants et militantes du reste du Canada mais avec eux et elles. Cependant la politique fédérale nous concerne, on ne peut pas dire que c’est une question qui regarde le reste du Canada et nous on se concentre uniquement sur la politique du Québec. Le démantèlement du service postal et la privatisation, l’offensive contre le droit à l’assurance-emploi, les traités de libre-échange, le pétrole nous touchent et nous concernent directement.

D’autre part la perspective de la souveraineté comme moteur de changement social au Québec lequel pourra agir comme catalyseur des luttes sociales dans le reste du Canada est une idée qui n’avait pas beaucoup été discutée jusqu’à maintenant. L’idée de l’indépendance du Québec a presque toujours été envisagée et discutée dans le cadre de nos propres rapports avec l’État fédéral, mais sans véritablement considérer quels seraient nos rapports futurs avec la population du reste du Canada et avec les premières nations ni quelle serait la réaction de l’État fédéral, des banques, des agences de cotation, des grands médias, des grandes compagnies et du poids qu’ils mettraient pour contrer notre projet de justice sociale.
Étant donné le poids important des mouvements sociaux et de la combativité au Québec, le fait de réaliser l’indépendance en ce moment ne participerait-il pas à isoler les premières nations et les progressistes du reste du Canada contre l’état fédéral de plus en plus à droite ? D’autres au contraire se demandaient si le fait de construire un projet d’unité politique dans le Canada n’était pas contradictoire avec l’idée d’indépendance.

Cette perspective a ouvert un débat nouveau concernant nos rapports avec la population du reste du Canada et avec les premières nations dans le cadre d’une stratégie d’accès à l’indépendance telle que nous la concevons en tant que moteur de changement social en faveur de la population. Elle ouvre un débat sur la dynamique du changement social porté par la lutte pour la souveraineté en tant que changement de rapport de forces pour la classe populaire du Québec mais également pour celle du reste du Canada, qui n’a aucun intérêt objectif à soutenir l’état canadien contre un projet d’émancipation sociale au Québec. Mais c’est un débat essentiel qui nous appelle à mieux définir notre projet de souveraineté et nos rapports avec les autres populations et les autres nations.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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