Édition du 16 avril 2024

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Canada

Taxation des entreprises : la grande inertie

Le congé de taxe accordé à Netflix par le gouvernement canadien a soulevé à juste titre une réaction de rejet d’une rare unanimité au Québec, tant chez les artistes, les journalistes que chez gens d’affaires comme Pierre-Karl Péladeau et Vincenzo Guzzo. Mais la ministre du patrimoine, Mélanie Joly ne semble toujours par comprendre les objections qu’on lui adresse.

Tiré du Journal des alternatives.

Il faut dire que le gouvernement Trudeau nous l’a dit et répété depuis longtemps : il n’y aura pas de taxe pour Netflix. Se lancer dans des négociations avec une pareille intention ne pouvait que le piéger. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’attitude des libéraux : depuis quand les gouvernements négocient-ils, en position d’infériorité en plus, avec des entreprises ? Leur rôle n’est-il pas principalement de passer des lois et voir à ce qu’elles soient respectées ?

Derrière cette attitude, se trouve la profonde acceptation du postulat néolibéral selon lequel les taxes et l’impôt sont nécessairement mauvais et soutirent trop d’argent à la population. Avec cette conviction dont ils ne démordent pas, nos gouvernement n’arrivent pas à résoudre la quadrature du cercle : comment offrir de bons services, payer la dette publique, et dans le cas du gouvernement Trudeau, se lancer dans des investissements massifs alors que les revenus ne cessent de rétrécir parce qu’on ne veut plus taxer les entreprises ?

Face aux entreprises, l’attitude des gouvernements n’est pas toujours la même et la situation actuelle est très inéquitable. On pourrait diviser ces dernières en trois catégories :

Pour les PME, nos gouvernements sont fermes : elles doivent payer taxes et impôts, et peuvent difficilement y échapper. La réforme de leur fiscalité, avec le projet de Bill Morneau, montre qu’on les tient bien à l’œil. Convenons cependant que cette réforme est nécessaire : ce n’est pas par des tours de passe-passe et des stratagèmes tordus, que le ministre veut éliminer, qu’on obtient une bonne fiscalité. Mais ce projet tombe mal alors qu’on exonère d’autre part le géant Netflix de taxes.

Les compagnies transnationales perçoivent des taxes, mais paient très peu d’impôts, profitant à plein des bienfaits que leur donne le recours aux paradis fiscaux. Malgré de nombreux scandales, rien n’est fait encore pour remédier sérieusement à la situation. Dans les appels d’offre gouvernementaux, ces entreprises bénéficient par exemple d’un avantage considérable sur les PME, en plus des économies d’échelle qu’elles peuvent réaliser, quand on choisit selon le principe du plus bas soumissionnaire.

Plusieurs nouveaux géants du Net — Google, Amazon, Airbnb, Uber, etc. — profitent quant à eux, en plus, de l’avantage de ne pas percevoir de taxes. Comme si le fait d’arriver après les autres, à une époque où « taxe » est un gros mot, leur donnait un privilège naturellement dû, une espèce de clause orphelin à l’envers. C’est ce que le gouvernement Trudeau semble avoir béatement accepté en refusant de taxer Netflix.

Le gouvernement du Québec semble mieux réagir, notamment lorsque le ministre Luc Fortin affirme sa volonté de se comporter à l’encontre des libéraux fédéraux. Il faut toutefois espérer qu’il aille au-delà de l’intention. Et nous constatons que bien peu bouge du côté du gouvernement Couillard.

En réponse à une question d’Amir Khadir à ce sujet à l’Assemblée nationale, le ministre Leitão préfère s’en remettre à une approche « multilatérale », en suivant les démarches de l’OCDE. Autrement dit, tout remettre aux calendes grecques. Pourtant le gouvernement du Québec a les moyens d’agir efficacement et rapidement, et a lui-même montré du doigt la meilleure solution à adopter.

La troisième proposition du rapport du comité des finances sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux demande que le gouvernement change « le cadre législatif pour permettre l’imposition des transactions en ligne sur la base des cartes de crédit utilisées pour payer les achats. » Cette mesure, appelée aussi Google tax, adoptée dans des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Australie, permettrait d’aller chercher une contribution fiscale très attendue auprès de richissimes compagnies spécialisées dans le commerce électronique. Il faut rappeler que ce rapport a été approuvé par les quatre partis à l’Assemblée nationale.

La paralysie, sinon la crainte de nos gouvernements, devant l’idée de taxer les grandes entreprises est pathétique, alors qu’ils ont en main de bons moyens pour avancer. Après de nombreuses baisses d’impôt aux entreprises, dont celle des conservateurs qui les ont réduit à 15%, le plus bas du G7, les miraculeuses retombées économiques attendues après tant de générosité ne se sont pas produites. Bien au contraire, l’économie stagne et nos services publics ainsi que nos programmes sociaux se dégradent.

Nos gouvernements craignent que les hausses de taxe se transforment immédiatement en hausse du prix à la consommation. Pourtant, Netflix n’a pas attendu cette obligation pour hausser ses tarifs. Pendant les années 60, alors que les entreprises payaient près de la moitié des revenus recueillis par le fisc, le pouvoir d’achat de la population était remarquablement élevé. Et comme l’a affirmé Vicenzo Guzzo dans un énoncé plein de sagesse : « on oublie que le prix chargé est en fonction du marché. » Et non pas en fonction des taxes sur un produit. Qu’attend-on alors pour agir ?

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