La crise fondamentale du XXIe siècle est la rupture des grands équilibres de l’écosystème terrestre. Cette rupture se manifeste principalement par la rapide fuite en avant du réchauffement de la Terre-Mère d’un confortable Holocène qui a vu l’émergence de la civilisation vers une terre-étuve chaotique qui la fera disparaître et peut-être l’Humanité elle-même. Cette fin du monde dit civilisé, si la tendance se maintient, a été prouvée tant par les travaux scientifiques du GIECONU que par la multiplication des réellement existantes catastrophes climatiques incommensurablement plus graves au Sud qu’au Nord. Le réchauffement se conjugue et accélère la sixième grande extinction des espèces dont les habitats disparaissent comme une peau de chagrin. Et il envenime une continuelle pollution de l’air, des eaux et des terres.
Le GIEC a établi que pour ne pas dépasser le seuil critique d’un réchauffement planétaire de 1.5°C, il faudrait réduire les gaz à effet de serre (GES) de 50% par rapport à 1990 d’ici 2030. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 stipule qu’« étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées ». Se basant sur les travaux du GIEC et cette Déclaration, à l’occasion de la COP26 de Glasgow, le Réseau action climat Canada, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Équiterre, Greenpeace, Nature-Québec, la Fondation David Suzuki et Oxfam-Québec ont requis que le Québec réduise ses GES des deux tiers d’ici 2030. Le seuil de 1.5°C est déjà en passe d’être atteint. Pourtant le gaz carbonique atmosphérique continue de s’accumuler. Pire, il le fait, selon la NOAA, en quantité annuelle moyenne croissante depuis au moins 1960, avec deux records annuels en 2023 et 2024. L’urgence climatique est d’autant plus grande pour ne pas franchir de fatidiques points de bascule.
Le croissancisme du Capitalocène génère une pluricrise menant au néofascisme
La présente ère géologique, irrémédiablement chamboulée par le genre humain, est souvent qualifiée d’Anthropocène. Elle pourrait tout aussi bien être qualifiée de Capitalocène tellement la croissance capitaliste en est la cause fondamentale. Cette croissance résulte de la compétition entre entreprises privées et États à leur service pour maximiser leurs profits afin de survivre comme entreprises ou de ne pas être vaincus comme États. En découle une accumulation de capital tendanciellement exponentielle donnant naissance à des transnationales gargantuesques dirigées par des oligarques. Cette concentration de la richesse et du pouvoir explique que les 10% les plus riches ont causé les deux tiers du réchauffement global depuis 1990.
Cette accumulation est interrompue par des crises de plus en plus profondes et des guerres de plus en plus dévastatrices et devenant génocidaires. Ces crises dite « pluricrise », guerres et accumulation en panne empêchent la mobilisation de la lutte pour le climat et la biodiversité tellement elles résultent en misère, inégalité, chômage, précarité, injustice, dislocation sociale et massacres. En sont d’abord frappées femmes, enfants et personnes racisées, handicapées et LGBTQ+. Faute d’alternatives et de mobilisations anticapitalistes à la hauteur ces personnes opprimées deviennent les boucs émissaires des classes moyenne et même ouvrière atomisées, désemparées et décontenancées.
C’est de ce terreau nauséabond que surgissent les fausses solutions néofascistes balayant le capitalisme néolibéral victime de ses propres contradictions. Celles-ci sont devenues évidentes avec l’austérité permanente et la concomitante accentuation répressive et guerrière depuis la Grande récession de 2008 suivie de la crise pandémique de 2020.
Exproprier le 1%, détruire la richesse du 10% et l’American Way of Life du 40%
La tâche clef anticapitaliste est d’élaborer une alternative et de construire une organisation en mesure de bloquer la montée néofasciste. Pour se faire il faut démontrer au peuple-travailleur, qui entraînera la classe moyenne, la crédibilité de notre stratégie. Celle-ci doit tracer une voie pour empêcher la dégringolade vers la terre-étuve à travers crises, guerres et gigantesques migrations provenant d’un Sud transformé en enfer climatique et social. La clef de cette stratégie mondiale est d’exproprier le pouvoir oligarchique du 1%, détruire la richesse corruptrice et polluante du 10%, en finir avec l’American Way of Life du 40% (± les deux tiers pour le Québec) et répondre aux besoins pressants et urgents du 50% le plus pauvre (± le quart pour le Québec).
Le bonheur factice du 40% auquel aspire le 50% repose sur la consommation de masse, contrepartie de l’accumulation capitaliste. Ses piliers en sont la maison « campagnarde », l’auto solo et l’alimentation carnée et ultra-transformée. C’est ce bonheur clin-clan, plus rêve aliénant que réalité, qui est entretenu par la propagande capitaliste appelée publicité. Ce pseudo bonheur coince le peupletravailleur au mieux entre fin du mois et fin du monde et au pire entre la hantise du prochain repas ou du loyer à payer… à moins d’être sans-abri. Le stress compétitif résultant de la précarité et de l’atomisation, combiné à l’alimentation carnée et industrialisée, détruisent le « mens sana in corpore sano » en générant accidents et maladies physiques et mentales.
Il faut dès maintenant entreprendre la lutte contre le 1% oligarchique et ses alliés de la classe moyenne supérieure du 10% afin d’édifier une société du soin et du lien en radicale décroissance matérielle. Le grand blocage idéologique à vaincre pour mobiliser la majorité est le faux bonheur idéalisé de l’American Way of Life. Est indispensable sa critique qui renforcera l’aiguisement de ses contradictions vis-àvis la réalité de la pluricrise. Ainsi le 40% arrivera à déconstruise cette idéologie paralysante qui justifie son autodestructeur régime de consommation le rendant dépendant du capital exploiteur. Quant au 50% il pourra émerger de la misère et de la pauvreté sur la base d’une société de plein emploi écologique et solidaire le libérant du faux semblant d’une énergivore accumulation matérielle et du cumul de capital fictif que la pluricrise évaporera.
Les revendications clefs d’une société du soin et lien en décroissance matérielle
- La réponse à l’hégémonie pétro-gazière du Canada et à son Quebec bashing c’est l’indépendance nationale tenant compte du droit à l’autodétermination autochtone.
- La réponse à la crise du logement c’est le collectif logement social écoénergétique pour tout le monde et pas seulement pour les pauvres.
- La réponse aux logements déficients c’est leur rapide mise à niveau écoénergétique par un programme public selon un code du logement tendant à l’énergie zéro.
- La réponse à la crise de la mobilité c’est le transport en commun gratuit, partout, fréquent, confortable et électrique, et un complément d’autopartage communautaire.
- La réponse à la ville infernale et dangereuse c’est la ville piétonnière et cyclable, de services de proximité, d’agriculture urbaine et de parcs nature.
- La réponse à l’étalement et à la congestion urbains envahissant la campagne c’est l’interdiction de l’auto solo privé et de la maison « campagnarde ».
- La réponse au gaspillage c’est la garantie de la réparation accessible ou du remplacement, du bannissement de la publicité et de la mode commerciale.
- La réponse à la crise de l’embonpoint c’est l’alimentation surtout végétarienne cultivée biologiquement et disponible en produits frais et peu transformés.
- La réponse à la mauvaise santé et au stress sont le plein emploi, le contrôle ouvrier des cadences, la baisse du temps de travail, le revenu et services minimum garantis.
- La réponse aux croissantes pandémies dues au zoonoses c’est la préservation des forêts et zones humides d’où en finir avec l’expansive agriculture carnée.
- La réponse à la hausse des prix… c’est tout ce qui précède… et le contrôle des loyers, des prix des aliments indispensables et la gratuité de l’électricité de base.
- La réponse à l’austérité des services publics c’est leur ample bonification quantitative et qualitative et la resocialisation des pans privatisés.
- La réponse aux hydrocarbures et à l’énergivore croissance est la sobriété inhérente à la société du soin et lien ce qui est démontré par les mesures précédentes.
- La réponse à la fausse pénurie d’électricité c’est la suffisante actuelle production hydraulique et éolienne plus du solaire intégré aux bâtiments écoénergétiques.
- La réponse au financement d’une société écologique c’est son implicite bon marché, la socialisation de la Finance et l’imposition des profits et du capital.
- La réponse à la résistance du « marché » c’est l’expropriation des secteurs stratégiques tels la Finance, l’énergie, les communications, le transport, la santé.
- La réponse aux divisifs sexisme et racisme c’est l’écoféminisme donnant la priorité aux activités du soin et du lien et aux travaux essentiels des personnes racisées.
- La réponse à l’impérialisme génocidaire, c’est le soutien aux peuples en lutte pour leur libération par tous les moyens nécessaires y compris par les armes s’il le faut.
- La réponse aux migrations c’est une frontière ouverte avec une politique d’accueil intégrant au sein d’une société de plein emploi écologique et socialement utile.
Le front uni des pauvres et opprimé-e-s pour secouer les créateurs de plus-value
Le combat anti-néofasciste pour ouvrir la voie vers une société du soin et du lien exige la construction du front uni du 50% et des personnes opprimées du 40%, en particulier des écoféministes « mères au front ». Ce front aura comme première tâche d’ébranler le noyau dur surtout masculin des cols bleus fortement pénétrés par le sexisme et le racisme ou, pour certains crispés sur leurs acquis. C’est pourtant ce noyau, nombreux dans la logistique et la construction, qui a la main haute sur la création directe de plus-value, source du profit. L’ont démontré la répression fédérale habituellement rapide des grèves dans les ports, la poste et les chemins de fer… et la sauvagerie antisyndicale de l’oligarque Bezos.
Ce front a bien sûr ses propres antinomies mais il est objectivement uni comme victime immédiate de l’austérité, de la répression néofascistes et des conséquences des catastrophes climatiques. Le jour où ce front uni aura pleinement intégré les créateurs directs de plus-value dans son combat écoféministe, tant par une tactique d’encerclement que par un laborieux travail interne d’éducation, le monde sera à la veille d’être révolutionné. Les syndicats de l’austérisé secteur public, majoritairement féminins, sont l’épine dorsale de ce front uni et la jonction vers les cols bleus bien que le racisme les gangrène aussi. Ils le sont du simple fait d’être le secteur le plus organisé du soin et du lien et le noyau de cette société dématérialisée à consolider et à développer.
Un parti-guide pour muer l’historique Front commun en front uni internationalisé
Le Front commun historique composé des syndicats du secteur public québécois a été le fer de lance de la lutte ouvrière depuis un demi-siècle. Et il l’est encore aujourd’hui. La lutte indépendantiste est dirigée contre la bourgeoisie du Canada et non contre son peuple-travailleur malgré qu’il soit empoisonné par le Quebec bashing. Cette pierre d’achoppement n’exclut en rien, au contraire exige comme facteur neutralisant si ce n’est de soutien pour l’indépendance, une étroite coordination des peuples-travailleurs. L’exemple par excellence, qui cependant s’éloigne dans le temps, en a été cette trop brève grève générale pancanadienne anti-inflationniste de 1976. Ce travail politique doit se déployer sur un large éventail de revendications à mettre de l’avant au gré de la conjoncture, à travers une panoplie de secteurs et d’organisations populaires, et internationalement du simple fait de la mondialisation de la crise écologique et de l’offensive néofasciste.
Au Québec, il ne dépend que de notre parti, Québec solidaire, de devenir cette organisation politique qui trace la voie dans ce dédale de complexités. Le chemin vers le centre-gauche à la NPD intégrerait le parti à l’actuel système institutionnel. S’il parvenait alors à former un gouvernement majoritaire, les forces du capitalisme en décadence et devenues réactionnaires le paralyseraient. Ces forces ont neutralisé les gouvernements NPD de la Saskatchewan et de la Colombie britannique dans de bien meilleures circonstances du temps des « trente glorieuses » en faisant de ces partis NPD au mieux que des « Libéraux pressés ».
Remplacer la démocratie de l’Argent par celle écosocialiste du peuple-travailleur
Par contre, le chemin de la gauche anticapitaliste vers la société du soin et du lien à radicale décroissance matérielle substitue à la grande noirceur du cul-de-sac électoraliste la lumière écosocialiste au bout du tunnel de la dure lutte antinéofasciste. C’est dans ce combat que va se forger la démocratie du peupletravailleur. Sa base en seront les assemblées syndicales, celles des multiples assemblées populaires tant sectorielles que territoriales qui au fur et à mesure du développement des luttes fusionneront en fédérations jusqu’au niveau national et finalement mondial. La forme en sera déterminée par l’évolution des luttes. En attendant, bien sûr, il faudra réclamer la démocratisation autant que possible de la limitée démocratie parlementaire qu’étouffe la puissance de l’Argent, par exemple par le vote proportionnel et par le droit de rappel.
On aura compris que la société du soin et du lien ne cherche pas à maximiser la consommation, reflet de la maximisation du profit dans la sphère de la production. Elle requiert la maximisation du temps de la liberté et du partage entre toustes du temps contraint. Ce temps libre, celui de la science, des arts et du loisir, est immédiatement et impérieusement requis comme temps de la militance sociale et politique. Il est nécessaire de commencer à construire dès maintenant cette fédérative démocratie du peuple-travailleur en démocratisant les syndicats et en créant des organisations populaires redevables et contrôlées par leur militance.
Bien sûr le traquenard de la cherté du coût de la vie assise sur l’endettement hypothécaire et celui de l’auto-solo crée un sérieux obstacle pour réclamer la baisse du temps de travail et même pour entreprendre toute lutte syndicale. Mais simultanément la part des profits dans le revenu national, élevée sous le règne du capitalisme néolibéral en voie de néo-fascisation, crée la marge de manœuvre nécessaire. Cette marge permet de lutter pour la baisse du temps de travail sans baisse du revenu et sans hausse de l’intensité du travail, tant dans les conventions collectives que comme législation. Ainsi le mouvement ouvrier retrouvera-t-il l’inspiration pour le « 30 heures payées 40 », revendication clef des syndicats avantgardistes avant l’ère de la consommation de masse.
Marc Bonhomme, 18 mai 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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