Édition du 25 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Agrandissement du port de Montréal à Contrecoeur : Un nouveau Northvolt ?

En système capitaliste, il y a des lois implacables qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu Le Capital de Karl Marx pour comprendre. Parmi ces lois, il y a la recherche du moindre coût. C’est une loi dont l’application se vérifie dans le commerce maritime. Plus les navires sont gros, plus ils transportent de marchandise et moins ça coûte cher à l’unité. C’est ce qu’on appelle l’économie d’échelle.

Germain Dallaire

Quand on parle de transport maritime, on parle surtout de porte-conteneurs dont on calcule la capacité en nombre d’EVP (équivalents vingt pieds). La norme actuellement est de bateaux transportant 14 000 EPV mais il en existe pouvant contenir jusqu’à 25 000 EPV. Évidemment, plus les navires sont gros, plus ils demandent du tirant d’eau. C’est ainsi que ceux à 14 000 EPV ne peuvent remonter la voie maritime du Saint-Laurent en amont de Québec. Résultat, le port de Montréal est limité à des navires d’une capacité de 4 500 EPV. C’est un sérieux handicap qui ne date pas d’hier puisque la voie maritime du Saint-Laurent est en déclin depuis 25 ans. De 2001 à 2023, la part de conteneurs provenant du Midwest américain et transitant par cette voie est passée de 50% à 9%. Le présent et l’avenir est aux ports en eaux profondes permettant d’accueillir des super-navires toujours plus gros.

L’agrandissement du port de Montréal à Contrecoeur est dans les cartons depuis plusieurs décennies. Sûrement en bonne partie à cause de cette évolution du trafic maritime, on ne trouvait pas de gestionnaire privé. De plus, le dragage mettrait sérieusement en danger la survie du chevalier cuivré, cataloguée espèce en péril. Ce à quoi il faut ajouter la disparition d’un milieu naturel plus grand que le site de Northvolt avec tout ce que cela veut dire en terme d’abattage d’arbres, de disparition de milieux humides et de précarisation accrue de la rainette faux-grillon.

Au port de Montréal, les tendances fortes de l’économie n’ont pas changé. Le volume de transit des conteneurs est au mieux, stagnant. C’est dire, en 2024 les chiffres étaient inférieurs à ceux de l’année pandémique de 2020 : 1,5 million d’EPV comparé à 1,6. La capacité du port est de 2,1 millions d’EPV…

L’arrivée de Donald Trump au pouvoir et l’élection de Marc Carney a changé radicalement le portrait. Avec la loi c-5, les questions environnementales ont potentiellement pris l’bord et le développement des échanges commerciaux avec l’Europe est devenu la bouée de sauvetage. C’est ainsi qu’en l’espace de quelques semaines, l’agrandissement de Contrecœur est passé de vague fantasme de gestionnaire à une urgence nationale. Il est maintenant en tête de liste des grands projets industriels prioritaires. On parle d’investissements de 2,3 milliards. Les gouvernements ont allongé les millions (fédéral : 400, Banque d’Infrastructure Canadienne : 300, provincial : 260, port de Montréal : 480) et on a fini par dénicher un promoteur privé à des conditions qui sont secrètes mais qu’on peut deviner hyper-alléchantes. La société choisi est DP World de Dubai, une société écartée en 2006 de l’exploitation de 21 ports par le gouvernement américain pour des raisons de sécurité nationale et dénoncée en 2023 en Australie pour n’avoir pas payé d’impôt pendant huit ans. Cette société est reconnue pour l’automatisation des opérations portuaires. Si elle est moyen-orientale, elle a un vernis local puisque La Caisse détient 45% des actions des ses filiales au Canada, en Australie et en République Dominicaine.

Sur le terrain, ça bouge pas vite mais le relations publiques du Port semblent en mode hyper-vigilance un peu comme un enfant à qui on a donné un nouveau jouet qu’il n’espérait plus. À Contrecœur et Verchères fin juillet, c’était branle-bas de combat : soirées portes ouvertes avec une armée de relationnistes tout sourire, de belles photos et de beaux graphiques, biscuits santé et bouteilles d’eau en prime. On annonçait le début des travaux pour le 29 septembre. La date fatidique arrivée : rien. La semaine précédente cependant, on avait coulé des dalles de béton aux extrémités du site pour accueillir les enseignes. L’image avant tout ! Le 30, Alexandre Shields signe un article dans Le Devoir pour souligner l’absence de travaux. Le lendemain, montrant son extrême sensibilité, la direction du Port de Montréal tient une conférence de presse pour annoncer que l’année qui vient servira à la préparation du terrain, entendre abattage d’arbres, nivellement du terrain et aménagement de routes. Le surlendemain, la direction du port en ajoute une couche en annonçant qu’il pourrait accueillir des porte conteneurs transportant jusqu’à 8 000 EVP. Les riverains de Contrecoeur, Verchères et Varennes ont sûrement avalé leur café de travers en l’entendant puisqu’ils font déjà face à un problème sérieux d’érosion des berges. Cette annonce est pour le moins étonnante dans la mesure où c’est la première fois qu’on mentionnait une telle chose. Un navire transportant 6000 EVP a déjà atteint Montréal mais c’était expérimental. On savait la directrice du port très imaginative lorsqu’elle a parlé de construire des navires plus imposants que les 4 500 EVP pouvant « soulager » d’une partie de leur cargaison les super-conteneurs à Québec mais avec cette affirmation, elle se surpasse.

Tout çà sent évidemment la précipitation, la pensée magique et l’enfumage à plein nez. Comme pour Northvolt, on fait face à un projet hyper-dopé par un volontarisme politique débridé malgré des faiblesses majeures évidentes.

Financés par les fonds publics, les travaux de mise en forme du terrain semblent destinés à se réaliser. Par la suite, on devrait passer aux travaux en eaux qui s’annoncent colossaux pour un quai de 675 mètres et le dragage à une profondeur minimum de quarante pieds sur une superficie équivalente à 20 terrains de football. On entre ici dans l’os parce que c’est justement là l’habitat essentiel du chevalier cuivré. Ottawa n’a pas encore exercé le pouvoir discrétionnaire que lui donne C-5. Selon la direction du port, le dossier est complet et la décision de Pêche et Océan Canada devrait être connu dans les prochains mois. Pour compenser la destruction de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, la direction du port met de l’avant une « solution » réputée inefficace consistant à créer de toute pièce un habitat ailleurs. Dans ce cas-ci, les Îles de Boucherville quarante kilomètres en amont et l’Ile aux Bœufs, une dizaine de kilomètres en aval. La protection de l’habitat de la rainette faux-grillon est également en jeu. Assistera-t-on à une décision tordue ou encore à un coup de force du fédéral ? La question se pose.

Quoiqu’il en soit, les embûches sont nombreuses et pour le moins consistantes. En bout de ligne, aboutirons-nous à un nouveau Northvolt (milieu naturel saccagé et arrêt du projet) ou encore à un port hyper-automatisé venant canibaliser le port de Montréal permettant ainsi d’affaiblir un syndicat dont la puissance a toujours représenté un irritant majeur pour le patronat ? Le comité Vigie citoyenne port de Contrecœur (vigieportdecontrecoeur.com) organise une manifestation le 26 octobre prochain.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Environnement

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...