Édition du 26 novembre 2024

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Canada

Assez bon pour travailler, assez bon pour rester

Plaidoyer pour une régularisation de la situation de tous les travailleurs migrants à statut temporaire au Canada

par Tom Sandborn, le 27 septembre 2022
Traduction Johan Wallengren

Danilo DeLeon a eu un parcours exemplaire. Il est entré au Canada légalement en tant que travailleur étranger temporaire en 2009 et n’a cessé de travailler dur depuis. Non seulement a-t-il occupé un emploi d’agent de nettoyage et payé ses impôts et envoyé de l’argent aux Philippines pour venir en aide à ses enfants restés là-bas, mais ce travailleur modèle est devenu un infatigable défenseur des droits humains, dirigeant le groupe national de défense des droits humains Migrante Canada.
Malgré son militantisme courageux (ou peut-être à cause de cela ?), Monsieur DeLeon doit à présent faire face à la menace d’être renvoyé aux Philippines, avec le risque de répression gouvernementale que cela comporte. Pour une raison obscure son permis de travail n’a pas été prolongé et il a reçu l’ordre de quitter le Canada. Bien qu’il ait fait appel de l’avis d’expulsion et est encore en mesure de rester dans notre pays, ses perspectives sont sombres, comme elles le sont pour bon nombre de travailleurs temporaires parmi les centaines de milliers qui arrivent au pays chaque année (en 2021, ils étaient plus de 312 000). Le message qu’envoie le Canada aux travailleurs temporaires se résume trop souvent à ceci : « Merci pour votre travail. Maintenant, la sortie est par là ».

Ajoutons que les résidents au Canada qui sont menacés par un traitement bureaucratique punitif tel que celui de M. DeLeon sont si nombreux que bien des lecteurs pourraient en être surpris. Amanda Aziz, avocate interne au Migrant Workers’ Centre (centre des travailleurs migrants) de Vancouver m’a fait savoir à la fin de septembre que près d’un demi-million de personnes au Canada (incluant les travailleurs temporaires et les membres de leur famille) pourraient — et devraient — bénéficier d’une régularisation par le gouvernement fédéral de leur situation via l’attribution du statut de résident permanent.

La crise de la COVID a certes incité le Canada à instaurer un programme expérimental visant à offrir une voie d’accès à la résidence permanente à des travailleurs temporaires dans le secteur de la santé. Il reste que la plupart des travailleurs temporaires, qu’ils aient leurs papiers ou non, sont à la merci de leur employeur canadien, qui s’attend à pouvoir les exploiter et les faire travailler dans des conditions abusives et souvent dangereuses, tant qu’il y trouve son compte, et à les réexpédier ensuite dans leur pays.

Les dispositions des ententes actuelles avec le pouvoir canadien, qui lient les travailleurs temporaires à un seul et même employeur, sont particulièrement pernicieuses, vu qu’elles rendent ceux-ci plus vulnérables à l’exploitation et aux abus.

Une étude récente réalisée dans la province dont je suis originaire, la Colombie-Britannique, a révélé que des travailleurs temporaires y étaient victimes de véritables sévices (et il n’y a aucune raison de penser qu’ils connaissent un meilleur sort dans d’autres provinces). Il est ressorti de cette étude, effectuée par le Migrant Workers Centre (centre des travailleurs migrants), que les travailleurs temporaires en Colombie-Britannique subissent différentes formes d’abus financiers, notamment des horaires de travail excessifs (53,3 %), des salaires impayés (46,7 %), des prélèvements de frais de recrutement (36,7 %), le fait d’être forcé de travailler en infraction avec le permis de travail (26,7 %), des renvois injustifiés ou cessations d’emploi précoces (16,7 %) et l’obligation de remboursement à l’employeur d’une partie du salaire perçu (16.7 %).

En ce qui concerne les abus psychologiques, on note des cas de violence verbale (50 %), de menaces de licenciement et de déportation (23,3 %), de mesures coercitives et/ou de pressions pour que le travailleur agisse contre sa volonté (16,7 %), de restrictions dans les déplacements et activités du travailleur en dehors de ses heures de travail (16,7 %), de représailles de l’employeur contre le travailleur ou de menaces de l’employeur de ne pas réengager le travailleur si ce dernier porte plainte contre lui (10 %), d’obligation pour le travailleur de résider dans les locaux de l’employeur dans des conditions où l’intimité et la sécurité de ce dernier ne sont pas assurées (10 %) et d’intimidation de la part de l’employeur lorsque le travailleur quitte son emploi (10 %).

L’étude recense aussi différentes formes d’abus physiques et sexuels de la part de l’employeur, notamment la violence physique (16,7 %), le fait d’exposer le travailleur à des produits chimiques nocifs sans lui fournir d’équipement de protection personnel (6,7 %), le fait de forcer un travailleur blessé à effectuer un travail difficile sur le plan physique contre avis médical (6,7 %), le fait de contraindre le travailleur par la force ou le chantage à se livrer à des actes sexuels (6,7 %), le fait de faire subir au travailleur des agressions sexuelles répétées (3,3 %) et le fait de forcer le travailleur à lui envoyer des images de nature sexuelle par message-texte (3,3 %).
Outre tous ces abus dangereux et humiliants, il arrive trop souvent que les travailleurs temporaires étrangers paient de leur vie leurs efforts pour recevoir leur chèque de paie canadien. Lorsque Garvin Yapp, 57 ans, originaire de la Jamaïque, a été victime d’un accident mortel lors de l’utilisation de machinerie agricole à la ferme VanBerlo, dans le comté de Norfolk, en Ontario, son nom est venu s’ajouter à une longue liste de travailleurs temporaires étrangers blessés, certains mortellement, sur leur lieu de travail au Canada. Un travailleur au statut de citoyen canadien ou de résident permanent au Canada peut être confronté à des conditions de travail dangereuses ou avoir affaire à un employeur abusif, mais il a au moins des recours juridiques tangibles même si imparfaits, puisqu’il peut porter plainte auprès de commissions du travail et d’organismes d’application des règles de sécurité. Mais un travailleur temporaire qui sait qu’il dépend du bon vouloir de son employeur pour rester au Canada et y travailler, y pensera à deux fois avant de se risquer à porter plainte, ce qui est compréhensible et explique que les travailleurs temporaires sont plus susceptibles de continuer leur labeur, en espérant ne pas y succomber.
Selon un récent rapport de Statistique Canada, les taux d’infection et de mortalité de la Covid pour les travailleurs immigrants ou appartenant aux minorités visibles sont supérieurs à la moyenne canadienne, ce d’autant plus qu’ils sont nombreux à travailler dans des environnements à plus haut risque, comme les secteurs de l’agriculture et de la construction. Seyed Hussan, directeur exécutif de l’organisme Migrant Workers Alliance for Change (l’alliance des travailleurs migrants pour le changement), l’a réitéré en août : le Programme des travailleurs agricoles saisonniers s’avère une catastrophe sur le plan des droits humains. « Tous les jours nous apprenons que des gens ont été blessés, et tous les mois nous sommes informés de cas de décès. Pour la semaine dernière seulement, nous sommes au courant de trois cas mortels », a-t-il déploré en août.

Le Canada n’est pas le seul pays où des travailleurs temporaires étrangers risquent leur vie. Un rapport récent des Nations Unis révèle que l’hécatombe est mondiale.
Les groupes qui se battent pour la justice sociale et la protection des travailleurs ont été nombreux à élever leurs voix pour réclamer une régularisation générale. Par milliers, les travailleurs et leurs alliés ont défilé au Canada le 18 septembre pour réclamer que le statut de résident permanent soit accordé sans discrimination.
« Une occasion historique de réparer des torts qui perdurent depuis des années et des années s’offre en ce moment à nous », a martelé Seyed Hussan, qui figurait parmi les organisateurs des manifestations du 18 septembre, dans une déclaration à La Presse canadienne le jour même.

«  Nous voulons nous assurer que le parlement légifère sans délai aucun, a-t-il dit. Nous affirmons que l’égalité, c’est l’égalité et que toute exclusion est de la discrimination. C’est pourquoi tous les travailleurs migrants, réfugiés et étudiants doivent être inclus  ».

Un système aux lourdes formalités et aux fondements racistes a historiquement rendu la tâche excessivement ardue, voire impossible, aux travailleurs temporaires qui cherchaient à obtenir la résidence permanente au Canada : le gouvernement fédéral a bricolé un peu sur les bords, mais de nombreux observateurs considèrent que ce qui a été accompli jusqu’ici en matière de réformes représente trop peu, trop tard. Je suis l’un des observateurs à même de faire cette constatation. Je traite des dossiers touchant les travailleurs temporaires étrangers depuis des décennies, et les décès, les maladies et les blessures sont récurrents. Au Canada, la structure juridique rend de manière inhérente les travailleurs vulnérables et les expose à des abus. Il est plus que grand temps d’apporter les changements réels et exhaustifs que les défenseurs des travailleurs et des droits humains réclament depuis des décennies.

Et personne au Canada ne devrait aller s’imaginer que nous ne sommes pas complices des abus qu’endurent les travailleurs temporaires étrangers. Nous mangeons ce que ceux-ci plantent et récoltent et, bien souvent, ce sont eux qui nous prodiguent des soins, parfois en sauvant des vies, à mesure que nous prenons de l’âge et devenons malades. Nous devons leur être reconnaissants pour tout ce qu’ils font pour nous et, ne serait-ce que par décence, être activement solidaires de leur revendication d’une entente équitable.

Si vous êtes d’accord avec ce qui précède, signifiez au premier ministre que vous voulez que la résidence permanente soit immédiatement accordée à tous les travailleurs, réfugiés, étudiants étrangers et sans-papiers au pays. Vous pouvez écrire à Justin Trudeau à l’une des adresses électroniques suivantes : justin.trudeau@parl.gc.ca. ou pm@pm.gc.ca. Après avoir envoyé un message au premier ministre fédéral, vous pouvez aussi vous adresser à votre député-e, à l’adresse électronique que vous trouverez en suivant le lien sur cette page : https://ccrweb.ca/fr/contactez-votre-depute.

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