Les yeux tristes de mon camion
Serge Bouchard
C’est une trentaine d’essais sur divers thèmes, parfois personnels, d’autres fois moins, que nous livre dans « Les yeux tristes de mon camion » l’anthropologue Serge Bouchard. S’ils sont d’inégales valeurs, de mon point de vue, la plupart sont très bons et dans certains cas vraiment très intéressants – surtout quand il aborde l’époque de sa jeunesse et qu’il nous parle de cette histoire presque oubliée des Français et Canadiens-français dans l’ouest et le nord des États-Unis, de la Californie jusqu’au Minnesota. Bref, « Les yeux tristes de mon camion » m’a vraiment donné le goût d’aller plus loin et de revenir en arrière sur tout ce que je n’ai pas encore lu de Serge Bouchard.
Extrait :
L’ancien premier ministre du Canada, dans une de ses tentatives pathétiques pour inventer la fausse histoire d’un pays en mal de gloire, fêtait en 2015 le 200e anniversaire de naissance de John A. Macdonald. Voilà un geste malheureux, une insulte à l’intelligence, je dirais même un faux pas. S’il existe un personnage indigne dans l’histoire du Canada, c’est bien cet avocat corrompu, ce politicien raciste qui fut la honte de ses contemporains, un homme sans compassion et sans principe, un voyou en cravate qui eut été sanctionné en des temps moins laxistes. Nous sommes loin des Thomas Jefferson de ce monde, loin des vues politiciennes élevées et des idées éclairées. Le gouvernement fédéral aura beau signer des campagnes publicitaires faisant l’éloge des Pères de la Confédération, ces « grands hommes » visionnaires et désintéressés qui seraient transportés de satisfaction s’ils voyaient le Canada d’aujourd’hui, personne n’achèterait jamais cette distorsion grossière de l’histoire.
Arafat l’irréductible
Amnon Kapeliouk
La libération de la Palestine demeure plus que jamais d’actualité. Celui qui aura longtemps incarné ce désir profond de justice et de liberté pour ce peuple meurtri est l’ancien chef de l’Organisation de libération de la Palestine Yasser Arafat. Amnon Kapeliouk nous livre peut-être la meilleure biographie jamais écrite sur ce grand homme politique, dont les activités auront couvert une si grande partie de l’actualité de ma jeunesse et de ma vie de jeune adulte. C’est une autre œuvre essentielle, toujours d’actualité, pour bien comprendre l’état d’apartheid dans lequel se trouvent depuis près de trois quarts de siècle les Palestiniens. Surtout que cette admirable biographie est préfacée par une autre grande figure de la liberté, de la justice et de la lutte contre l’apartheid – sud-africaine celle-là – Nelson Mandela.
Extrait de la préface de Nelson Mandela :
La situation difficile qui lui a été imposée ces deux dernières années à Ramallah déshonorent ceux qui la lui infligent plus qu’elles ne l’humilient. Mon cœur est avec lui en ces heures difficiles, dans ses victoires comme dans ses moments de bonheur. J’éprouve pour lui une amitié sincère et je souhaite profondément qu’il lui soit bientôt donné d’assister au succès de son entreprise : la création d’un État palestinien indépendant.
Quatre soldats
Hubert Mingarelli
Ce roman faisait partie d’un panier de livres que j’ai gagné lors d’un tirage organisé par la Bibliothèque de Gatineau. C’est un roman que j’ai beaucoup aimé. Nous y suivons, presque au point de nous sentir parmi eux, quatre soldats de l’Armée rouge qui viennent de passer un hiver terrible pendant l’année 1919. Les scènes muettes sont nombreuses : réquisitions dans les villages, baignades dans un étang, embuscades, désarroi...
Extrait :
À présent nous étions sortis de la forêt. L’hiver avait passé et c’est difficile de s’imaginer combien il avait été long et froid. Nous avions mangé nos mules et nos chevaux, et un grand nombre d’entre nous étaient morts dans la forêt. Parfois dans leur cabane qui s’était enflammée. Ou bien ils s’étaient perdus en allant chasser. D’autres qui chassaient les avaient retrouvés. Bien sûr certains parmi ceux qu’on n’avait pas retrouvés avaient déserté. Mais je crois que le plus souvent ils s’étaient perdus et ils étaient morts de froid.
L’ordre du jour
Éric Vuillard
C’est livre s’est mérité le dernier Goncourt 2017 et c’était certainement l’un des meilleurs récits publiés cette année-là. C’est une œuvre succincte, mais saisissante, sur l’arrivée au pouvoir d’Hitler, l’Anschluss et le soutien sans faille des industriels allemands à la machine de guerre nazie. Parce que sans le soutien financier des BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken, il faut le rappeler, tout cela n’aurait pas eu lieu.
Extrait :
Un penchant obscur nous a livrés à l’ennemi, passifs et remplis de crainte. Depuis, nos livres d’Histoire ressassent l’événement effrayant, où la fulgurance et la raison auraient été d’accord. Ainsi, une fois que le haut clergé de l’industrie et de la banque eut été converti, puis les opposants réduits au silence, les seuls adversaires sérieux du régime furent les puissances étrangères. Le ton monta à mesure avec la France et l’Angleterre, en un mélange de coups de force et de bonnes paroles. Et c’est ainsi qu’en novembre 1937, entre deux mouvements d’humeur, après quelques protestations de pure forme à propos de l’annexion de la Sarre, de la remilitarisation de la Rhénanie ou du bombardement de Guernica par la légion Condor, Halifax, lord président du Conseil, se rendit en Allemagne, à titre personnel, à l’invitation d’Hermann Goering, ministre de l’Air, commandant en chef de la Luftwaffe, ministre du Reich à la forêt et à la chasse, président du défunt Reichstag – le créateur de la Gestapo. Voilà qui fait beaucoup, et pourtant Halifax ne tique pas, il ne lui semble pas bizarre, ce type lyrique et truculent, antisémite notoire, bardé de décorations. Et on ne peut pas dire qu’Halifax a été entourloupé par quelqu’un qui cachait son jeu, qu’il n’a pas remarqué les tenues de dandy, les titres à n’en plus finir, la rhétorique délirante, ténébreuse, la silhouette entripaillée ; non. À cette époque, on était très loin de la réunion du 20 février, les nazis avaient abandonné toute retenue. Et puis, ils ont chassé ensemble, ri ensemble, dîné ensemble ; et Hermann Goering, qui n’était pas avare en démonstrations de tendresse et de sympathie, lui qui avait dû rêver d’être acteur et qui l’était à sa manière devenu, a dû lui taper sur l’épaule, le charrier même un peu, le vieil Halifax, et lu jeter au visage quelque boniment à double sens, de ceux qui laissent leur destinataire pantois, un peu gêné, comme par une allusion sexuelle.
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