Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Consensus inavouable

Au début de la semaine, la campagne électorale nous a puni avec un autre « débat » tenu sous les auspices d’un think-tank de l’establishment canadien, le Munk Center. C’est là que se concoctent souvent les politiques qui finissent par arriver un jour à Ottawa. Traditionnellement d’allégeance libérale, le « Munk » a évolué beaucoup ces dernières années vers le néoconservatisme, la « guerre sans fin » et les autres politiques animées par Washington et appuyées servilement par le Canada pour nous mener là où nous sommes, notamment au Moyen-Orient.

Présentée comme un débat « sérieux », la rencontre a été tout sauf une discussion en profondeur. Plus encore, elle a révélé, si on ne le savait pas déjà, le profond consensus qui relie les Conservateurs, les Libéraux et le NPD de « Tom » Mulcair. Les « débats », si on peut appeler cela ainsi, portaient sur le « comment », et non sur le « pourquoi » de l’intervention militaire canadienne en Syrie et en Irak, pour ne pas dire en Afghanistan. Le « comment », c’est-à-dire la présence de soldats dans les zones de combat ou non, les bombardements ou pas, l’appui aux forces locales ou pas, etc. Jamais, il n‘a été question du « pourquoi » ce qui veut dire, par déduction, que tous sont d’accord sur l’essentiel. On oublie ainsi quelques petits « détails » :

La guerre actuelle en Syrie est le résultat de la lente mais irrésistible dislocation de la région entamée par l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak à partir de 2002, et plus récemment par d’autres interventions meurtrières, dont celle en Lybie en 2011. La stratégie de la « guerre sans fin », amorcée par Bush mais poursuivie par Obama, est la première cause de la crise actuelle. Elle contamine actuellement un vaste « arc-des-crises » qui passe par l’Asie à travers le Moyen-Orient jusqu’à l’Afrique, précipitant des catastrophes en cascades, dont des millions de gens cherchent à s’échapper.

Le problème principal n’est pas Daesh (l’Organisation de l’État islamique). Daesh, c’est la conséquence. La cause, c’est l’alliance mortelle entre les impérialismes, des forces régionales (notamment la Turquie, Israël et l’Arabie saoudite) et des larbins locaux qui font semblant de gouverner à Bagdad, Kaboul, Damas, Le Caire et ailleurs. Cette alliance a conduit à des régimes de terreur menés par des États déliquescents et des gouvernements de voyous. Une grande partie de la population, des confins du « Machrek » (l’est) jusqu’au bout du « Maghreb » (l’ouest) est totalement révoltée et par conséquent, va vers ce qu’il leur apparaît comme la seule force capable de s’opposer, soit les Islamistes. On pourra tuer 100, 1000 ou 10 000 combattants, on ne changera rien à cette situation car demain, il y aura 100 000 nouveaux moudjahidines recrutés parmi des masses de perdants et de désespérés dans les bidonvilles du monde.

En Syrie, la situation est plus compliquée. Pendant longtemps, le régime dictatorial de Bachar El-Assad a misé sur le jeu entre superpuissances, Russie (et URSS auparavant) d’un côté, États-Unis de l’autre. Durant la dernière période, Damas a surtout courtisé Washington et les capitales européennes, jusqu’à ceux-ci le laissent tomber au nom de la « démocratie », démocratie dont elles se moquaient (comme en Irak et ailleurs) quand les dictateurs s’avéraient plus « efficaces » pour appuyer la pax americana. 

Cette « erreur » des États-Unis et de leurs alliées-subalternes leur coûte maintenant très cher, notamment via la crise des réfugiés. D’où le résultat d’une politique totalement erratique. D’un côté, on affirme vouloir combattre Daesh. D’autre part, on veut isoler le principal ennemi des islamistes, soit le gouvernement syrien, qui par ailleurs, est le plus grand responsable des massacres actuels. Enfin, on laisse des aspirants à l’hégémonie régionale comme la Turquie (pays-membre de l’OTAN en passant) et l’Arabie saoudite (le grand ami de Harper) armer et financer Daesh et les autres factions islamistes, pendant qu’Israël prépare en douce de nouvelles agressions contre les Palestiniens et les Libanais. Ces États, alliés-subalternes de l’Empire, poursuivent leurs atrocités contre leurs propres populations et ailleurs dans la région. 
 
Au bout de la ligne, on aboutit aux 250 000 morts syriens, aux 10 millions de réfugiés, au carnage qui se poursuit en Irak, en Afghanistan, au Yémen, en Palestine.
 
Devant cela, l’État canadien, c’est-à-dire le centre névralgique du pouvoir, a toujours été commis depuis son avènement à la défense de l’« Empire » et cet Empire, on sait qui c’est aujourd’hui. L’OTAN, érigée pour éradiquer l’Union soviétique (maintenant la Russie), la Chine et d’autres pays « récalcitrants », est le moyen par lequel cette hégémonie américaine se déploie généralement, bien que les États-Unis (on l’a vu en 2003) n’ont aucune hésitation à intervenir unilatéralement. Cette stratégie passe par la subjugation du Moyen-Orient et d’autres régions, c’est aussi simple que cela.
 
Alors, terminons par le commencement. On voit bien que ce qu’on appelle « l’opposition » au Canada reste totalement enfermée dans le paradigme du « monde libre », défenseur de la liberté, sous la coupe des États-Unis, « mandatée » (par eux-mêmes) pour ramener la « paix » et la « civilisation » aux sauvages arabes, afghans et autres. Malheureusement, c’est dans ce même consensus inavouable que s’inscrit le Bloc Québécois, dont le chef affirme appuyer la politique de Harper dans cette situation.
 
Constatons donc l’impasse. Mais j’imagine qu’il y a encore quelques personnes au NPD qui ont des principes. Cela devrait peut-être ressortir comme cela vient de survenir dans le Labour Party en Angleterre. Pour le moment, ce positionnement consensuel autour des stratégies de l’impérialisme reste totalement inacceptable et nous devons le combattre.

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