Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2022

Face-à-face entre les leaders des partis politiques

Une occasion manquée pour savoir à quoi il est permis de s’attendre comme offre gouvernementale pour la prochaine ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic

J’ai consacré ma soirée du jeudi 15 septembre à écouter « Le débat des chefFEs ». Un débat est normalement une discussion qui correspond à un examen contradictoire entre certaines personnes sur des points précis. Mettons que cet examen contradictoire, autour d’enjeux spécifiques à la présente campagne électorale, a plutôt correspondu à un long et pénible échange trop souvent cacophonique durant lequel les Legault, Anglade, Nadeau-Dubois, St-Pierre-Plamondon et Duhaime s’autorisaient à se couper la parole, à parler en même temps ou pire encore, à se tendre des pièges en vue de faire mal paraître l’autre.

Voir à ce sujet l’injustifiable insistance avec laquelle le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre-Plamondon, a demandé au porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, de dire le titre de l’ouvrage de Pierre Vallières : Nègres blancs d’Amérique. Un seul mot pour qualifier l’attitude de Paul St-Pierre-Plamondon ici : lamentable[1] !

Ce genre d’échange oratoire télévisuel entre les figures de proue des partis politiques correspond, la plupart du temps, à une foire d’empoigne et relève de la « politique spectacle » qui nous distrait des véritables enjeux auxquels nous sommes confrontés collectivement. Nommons-en quelques-uns de ces incontournables enjeux de la présente période : les changements climatiques, l’accès à un logement décent et également abordable, l’inflation, la pénurie de la main-d’œuvre, l’appauvrissement de certaines catégories sociales, l’inéquitable redistribution de la richesse, la crise sociosanitaire de la COVID-19, le financement des services publics, les besoins criants en éducation et en enseignement supérieur, le financement des infrastructures (toutes catégories confondues), le racisme systémique, la privatisation annoncée de certains services en santé, le mauvais traitement salarial des 550 000 salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic (qui sont à environ 75% des femmes), l’avenir politico-constitutionnel du Québec, la question linguistique, l’élimination des exclusions et des discriminations, la représentation entre les femmes et les hommes dans les lieux de pouvoir, le mode de scrutin (qui devrait également préoccuper tous les membres de la classe politique), etc..

Le tumulte des voix dissonantes et discordantes de ce premier talk-show de la présente campagne électorale m’a subitement donné le goût, à la sixième minute de la confrontation verbale, de fermer mon appareil télé. Mais, puisque nous aurons à nous rendre au bureau de vote le 3 octobre prochain et étant donné qu’il est indéniable que les décisions du prochain gouvernement vont nécessairement se répercuter sur notre vie collective, j’ai écouté ce douloureux et pénible événement télévisuel - qu’on qualifie de « moment fort » de la campagne électorale- jusqu’à la fin. Il est clair comme de l’eau de roche pour moi que si nous ne nous occupons pas de la politique, les politicienNEs vont s’occuper de nous, pour le meilleur comme pour le pire, pour les quatre prochaines années. De cet échange de voix et de sons, trop souvent criards, j’ai retenu quatre choses susceptibles d’intéresser les personnes qui ont des intérêts dans la prochaine ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic.

1.0 15% d’augmentation salariale : vraiment ?

Monsieur Legault a mentionné qu’il a accordé, lors de la dernière ronde de négociation, une hausse salariale de 15% aux enseignantEs. 15% d’augmentation salariale, vraiment ? Il a omis de préciser qu’il a plutôt mandaté les négociatrices et les négociateurs du Conseil du trésor de convenir d’une entente favorisant un redressement salarial pour les enseignantEs de l’élémentaire et du secondaire en début de carrière dans le respect d’une enveloppe monétaire fermée. Il est vrai d’affirmer que le salaire de ces nouvelles et nouveaux enseignantEs est passé, pour la période allant de 2020 à 2023, de 46 115$ à 53 541$, soit une augmentation de 15%. Il faut par contre rappeler que plusieurs professeurEs, du niveau collégial surtout, n’ont eu droit qu’à une augmentation totale de 6%. Est-il nécessaire de mentionner que cette ridicule augmentation de 2% par année pendant trois ans (2% en 2020, 2% en 2021 et 2% en 2022) est largement inférieure à la hausse du coût de la vie constatée pour la même période. Se posent donc ici deux questions : monsieur Legault sait-il de quoi il parle en matière de hausse de salaire des enseignantEs ou lance-t-il en l’air des chiffres pour se montrer meilleur qu’il l’est en réalité ? Pourquoi n’avoue-t-il pas que les parties qui participent à la négociation (État employeur et syndicats) le font dans un cadre monétaire fixé à l’avance et qui ne peut pas être dépassé (les « enveloppes fermées » ) ?

2.0 Un rapport de force favorable aux travailleuses et aux travailleurs

En bon gestionnaire-comptable capitaliste, le premier ministre Legault, y est allé d’un énoncé qui mérite d’être souligné et qui est susceptible, espérons-le, de se retourner un jour contre lui. Nous le savons, nous traversons un moment caractérisé par une forte pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs d’emplois professionnels et techniques. À partir de ce constat, le rapport de force est réputé, comme l’affirment les spécialistes en relations industrielles, favorable aux travailleuses et aux travailleurs. Ces dernières et ces derniers sont en position pour se négocier de meilleures conditions de travail et de rémunération. François Legault a même affirmé, sans aucune hésitation, que et je cite : « les travailleurs ont le gros bout du bâton ». Il aurait été intéressant que l’animateur du débat et les leaders des quatre autres formations politiques demandent au premier ministre toujours en poste à quel pourcentage va s’élever l’augmentation salariale qu’il présentera en décembre prochain aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Ce pourcentage total va-t-il enfin avoir pour effet de combler l’écart observé, année après année, par l’Institut de la statistique du Québec entre les employéEs syndiquéEs de l’administration québécoise avec les employéEs des autres fonctions publiques (fédérale, municipale, etc.) et des grandes entreprises syndiquées ?

3.0 Le « bouclier anti-inflation »

Monsieur Legault a fait allusion à son fameux « bouclier anti-inflation ». Il y a derrière cette généreuse expression un piège pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic et un beau cadeau pour les employeurs des entreprises privées. Avec ce supposé rempart, monsieur Legault peut se présenter comme le grand défenseur de la totalité des salariéEs (syndiquéEs comme non-syndiquéEs) sans avoir à indexer automatiquement les salaires des employéEs des services publics du Québec et sans avoir non plus à augmenter substantiellement le salaire minimum. Le problème avec ce bidule monétaire improvisé en vue de supposément faire face à la présente poussée inflationniste est le suivant : le premier ministre entend utiliser l’argent de la caisse commune pour accorder une subvention salariale aux entreprises privées. Il faut mentionner que l’argent du trésor public doit servir certes à la redistribution de la richesse collective, mais aussi à une rémunération adéquate de la main-d’œuvre à l’emploi de l’État. Il est de la responsabilité des employeurs du secteur privé et du gouvernement du Québec d’assumer le coût de l’indexation des échelles de salaires de leurs propres employéEs. Ne nous trompons pas, le « bouclier anti-inflation », proposé par la CAQ, correspond en grande partie à un détournement de fonds public en direction des entreprises privées.


4.0 Un investissement majeur en éducation

Gabriel Nadeau-Dubois a été le seul à parler d’un investissement majeur en éducation devant servir, entre autres choses, à valoriser la profession enseignante. Il serait intéressant de connaître le détail et la ventilation de la position de Québec Solidaire, ainsi que celle des autres formations politiques, à ce sujet.

Conclusion

Il n’existe qu’une seule source de création de la richesse. Cette source est le travail. Dans une société et surtout une société capitaliste, le travail doit être payé à la hauteur de sa valeur réelle. Le ministère des Finances sait à combien s’élève le pourcentage des augmentations annuellement négociées dans les entreprises privées et même dans les autres entreprises publiques (fédérale, municipale, etc.). Pourquoi le gouvernement du Québec n’offre-t-il pas à ses propres employéEs syndiquéEs des augmentations salariales paramétriques à la même hauteur que ce qui est convenu dans les grandes entreprises privées ou dans les autres entreprises publiques syndiquées ?

Il appartient en ce moment au président du Conseil du trésor de déterminer, de concert avec le bureau du premier ministre et des ministres des Finances, de la Santé et de l’Éducation, les prochaines hausses de rémunération dans les secteurs public et parapublic. Il est grandement temps de mettre un terme à l’écart qui ne cesse de se creuser entre les augmentations salariales négociées dans les entreprises privées et les entreprises publiques (fédérale, municipale et autre secteur public) et celles imposées quasiment unilatéralement par le gouvernement du Québec à ses salariéEs syndiquéEs. Il faut sortir les négociations monétaires du cadre opaque qui caractérise l’opération de détermination de la rémunération et rendre le tout moins pénalisant pour les employéEs syndiquéEs du gouvernement du Québec. C’est derrière d’épaisses portes capitonnées que le pourcentage qui sera appliqué aux femmes et aux hommes qui sont les serviteurs de l’État du Québec est déterminé depuis des décennies et s’avère, dans les faits, plafonné à un maximum d’augmentation de 2% par année. Il est vraiment temps que les salariéEs des secteurs public et parapublic obtiennent enfin ce qui leur est dû et que leur salaire soit minimalement pleinement et régulièrement indexé. Surtout quand on sait que les finances publiques sont très saines[2] et que les provisions accumulées au Fonds des générations seront bientôt de l’ordre de 19 milliards de dollars[3]. Les citoyenNEs payent leur impôt et diverses taxes pour obtenir des services provenant de salariéEs dédiéEs, qualifiéEs et compétentEs. Il est impératif que cette précieuse main d’oeuvre, qui contribue au bien-être de toutes et de tous, soit reconnue et rémunérée à la hauteur de sa valeur réelle.

Les problèmes auxquels nous sommes collectivement confrontés sont nombreux. L’expertise requise et la quantité de personnes pour contribuer au bien-être du plus grand nombre sont des sujets qui doivent se discuter en tout temps, même durant une campagne électorale, mais dans un cadre moins survolté ou emporté que celui d’un débat-spectacle. Précisons en terminant que ce n’est surtout pas en promettant une alléchante et imposante baisse d’impôt de plusieurs milliards de dollars que la condition des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic pourra aller en s’améliorant. Cette réduction de l’impôt ne peut profiter qu’aux mieux nantis de notre société.

Yvan Perrier

17 septembre 2022

7h30

yvan_perrier@hotmail.com

Ajout

Il est possible de réaliser des débats contradictoires partisans dans un cadre respectueux du droit de parole des participantEs. Voir à ce sujet les débats organisés depuis le déclenchement de la présente élection générale à l’émission Les faits d’abord diffusée sur la Première chaîne de Radio-Canada.

17 septembre 2022

14h

1 J’ai très hâte de voir si St-Pierre-Plamondon aura l’audace de prononcer – advenant qu’il soit élu député - des mots lourdement chargés socialement ou des mots interdits d’être prononcés à l’Assemblée nationale. Cheap shot, comme ils disent dans la langue de Shakespeare.

2 Uniquement pour l’année en cours, les revenus du gouvernement du Québec sont en hausse de 4,7 milliards de dollars. https://plus.lapresse.ca/screens/082269a4-670d-4f33-b699-a706a8fdf264%7C_0.html. Consulté le 16 septembre 2022.

3 http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/fondsdesgenerations/. Consulté le 16 septembre 2022.

Titre : Augmentation salariale des enseignantEs de l’élémentaire et du secondaire
Sous-titre : « La vérif… » comme ils disent à Radio-Canada

J’ai sous les yeux un communiqué émis par la FAE au sujet du deuxième débat des chefs qui a eu lieu le 22 septembre dernier. Lors de ce show politique télévisuel, le premier ministre François Legault a répété (pour une deuxième semaine consécutive) que les enseignantEs avaient obtenu une augmentation salariale de 15% lors du renouvellement de leur convention collective.

https://www.pressegauche.org/La-FAE-reagit-au-deuxieme-debat-des-chefs. Consulté le 27 septembre 2022.

À la lecture de ce communiqué, vous serez en mesure de constater qu’étrangement il n’y a aucune allusion à cet énorme mensonge colporté par François Legault les 15 septembre (TVA) et 22 septembre (Radio-Canada). L’auteur des présentes lignes tente de rejoindre la direction politique ou une personne des communications de la FAE à ce sujet. J’attends toujours…

Du côté de la CSQ, au sujet de la supposée augmentation de 15%, la précision suivante a été apportée :

« Faux. Le salaire des enseignantEs n’a pas augmenté de 15%, mais plutôt de 11% en moyenne. Ça n’a même pas permis de rattraper la moyenne canadienne. C’était pourtant l’objectif. » (Source : CSQ).

Il me semble que la moindre des choses, quand une organisation syndicale entend un premier ministre mentir au sujet des conditions de travail et de rémunération de ses membres, consiste à rectifier sur le champ les faits. Morale de cette histoire ici : entre la FAE et la CSQ il y en a une qui a pris le temps de rétablir les faits avec célérité.

Yvan Perrier
27 septembre 2022
10h45
yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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