Édition du 26 mars 2024

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Canada

La bourse du carbone est une fausse solution typiquement néolibérale préconisée par le Protocole de Kyoto

Érigé au rang d’icône par le mouvement écologiste québécois, qui appelle régulièrement la population à « sauver Kyoto », ce protocole repose sur une logique de marché impropre à lutter efficacement contre le réchauffement climatique et s’avère potentiellement anti-écologique. La critique des solutions qu’il préconise reste ainsi dangereusement absente des tribunes. Malgré son manque flagrant de légitimité scientifique, les mêmes écologistes prétendent volontiers que le Protocole est un « premier pas » dans la « bonne direction ». Certes, le débat sur Kyoto dépasse largement le cadre scientifique. Et c’est précisément sur son incohérence politique qu’il faut se pencher.

Cet article est paru dans Relations no 724 
mai 2008. L’auteur, doctorant en sciences atmosphériques et océaniques à l’Université McGill, est membre du collectif Ressources d’Afrique. Il est aussi co-auteur avec Alain Denault de "Paradis sous terre", Écosociété, 2012.

Il appert en effet que le Protocole, signé en 1997, contient une série de mesures – les fameux mécanismes de flexibilité (MDF) – imposées par les États-Unis, le Japon, le Canada et l’Australie, et conçues pour éviter au maximum aux pays industrialisés de réduire leur consommation d’énergies fossiles.

« Droits à polluer »

Officiellement applicable à partir de cette année, le système est basé sur le commerce de crédits d’émissions de gaz à effet de serre (GES) se vendant par unité d’une tonne de CO2. Les MDF incluent : 1) des mécanismes de développement propre (MDP) autorisant une entreprise d’un pays signataire du Protocole à engranger des crédits d’émissions au moyen d’un investissement mené dans un pays non signataire (i.e du tiers-monde) ; 2) les mises en œuvre conjointes qui sont une transaction entre entreprises de pays signataires ; 3) les fameuses bourses du carbone qui ont pour rôle de faciliter et de sécuriser les transactions de crédits d’émissions entre les entreprises trop polluantes et celles capables de dégager de tels crédits.

Servi par une rhétorique ultralibérale qui ne craint pas de mélanger la maladie et le remède, mais conforme aux impératifs de la « croissance », Kyoto prétend que les lois du marché résoudront la crise en conduisant aux réductions de concentrations de GES nécessaires pour éviter toute évolution catastrophique du climat.

Mais une fois les quotas d’émissions attribués par les gouvernements, le recours aux MDF peut légalement se faire de façon illimitée. Ceci autorise une création non moins illimitée de crédits de carbone dont le réservoir est a priori inépuisable. Véritables « droits à polluer », ces derniers supposent de plus que l’atmosphère « appartient par défaut à ceux qui lui portent atteinte » – comme le fait justement remarquer le journaliste Aurélien Bernier dans Le Monde diplomatique de décembre 2007.

Une logique piégée

Avec la mise en place anticipée de bourses du carbone en Europe et aux États-Unis, cette approche a déjà donné lieu à des débordements catastrophiques. Si elle peut éventuellement conduire à une réduction des GES dans le cas où les quotas sont bas, la logique capitaliste de marché qui la sous-tend conduit nécessairement les entreprises à traiter les impacts écologiques de leurs activités (la génération de crédits d’émission) comme des « externalités ». Elles déplacent donc la contrainte anthropique vers d’autres composantes des écosystèmes et alimentent la crise écologique globale dont le changement climatique n’est qu’une composante. Une grande partie des crédits de carbone vendus aux pays industrialisés viennent ainsi de projets polluants et douteux, tels que des plantations d’arbres conduisant à des expropriations massives, à des déforestations, à des pertes de biodiversité et, possiblement, à l’augmentation du réchauffement planétaire !

Pendant ce temps, des multinationales polluantes comme Shell et Mitsubishi, qui investissent dans de tels projets avec l’appui du Fonds pour le carbone de la Banque mondiale, n’hésitent pas à se proclamer les « amies du climat ». Avec les MDP, le danger d’accroître les inégalités Nord/Sud est donc patent, alors qu’on attendrait d’un tel accord international qu’il inclue le concept de « dette écologique » (dont les pays industrialisés sont les débiteurs et les pays du tiers-monde, les créanciers).

Il apparaît ainsi urgent de remettre en cause l’esprit du Protocole de Kyoto et des MDF qui l’ont littéralement vidé de son sens. Une troisième voie s’impose, impliquant une économie localisée, une sobriété dans la consommation des matières premières et des énergies fossiles, soutenue par des réductions des dépenses énergétiques dans les domaines de l’armement, de l’extraction minière, des transports et de la consommation résidentielle.

William Sacher

Co-auteur de "Paradis sous terre" (Écosociété)

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