5 mai 2025 | tiré de pivot.quebec | Illustration : Version originale du formulaire « Témoignages et plaintes concernant la mutilation chimique et chirurgicale des enfants » mis en ligne par le département américain de la Santé. Montage : Pivot
https://pivot.quebec/2025/05/05/washington-a-tente-de-simmiscer-dans-les-soins-trans-du-canada/
Le 14 avril, alors que l’élection fédérale canadienne battait son plein, le Department of Health and Human Services (HHS) du gouvernement des États-Unis a discrètement mis en ligne sur son site Web (archivé ici) un formulaire de lanceur d’alerte permettant de dénoncer les fournisseurs qui offrent des soins d’affirmation de genre aux enfants, qualifiant ces soins de « mutilation chimique et chirurgicale » et disant vouloir mener des enquêtes à ce sujet.
Or, un menu déroulant contenu dans ce formulaire listait les provinces et territoires du Canada, de même que les Forces armées du pays, permettant ainsi de dénoncer des soignant·es situé·es de ce côté-ci de la frontière.

Capture d’écran : HHS
Ce n’est qu’onze jours plus tard, après de multiples demandes médiatiques de Pivot et The Breach, qu’une employée de HHS nous a finalement informées avoir retiré le Canada du formulaire, sans pourtant mentionner qu’il s’agissait d’une erreur. La page Web affiche toujours avoir été mise à jour pour la dernière fois en date de la mi-avril.
HHS avait initialement ignoré de manière répétée nos questions visant à clarifier si le choix d’inviter à dénoncer des médecins œuvrant dans le système de santé canadien était intentionnel et, si c’était le cas, dans quels objectifs le Canada était ciblé. HHS s’est d’abord contenté de nous référer à un communiqué de presse ne contenant aucune information sur le sujet.
« Les actions du gouvernement des États-Unis en matière de soins d’affirmation de genre aux enfants n’influencent pas la ligne directrice que s’est donnée le Québec pour ces soins. »
Ministère de la Santé du Québec
L’inclusion du Canada dans ce formulaire a provoqué des peurs à l’effet que les dénonciations compilées par HHS puissent être utilisées pour établir des listes de surveillance, pour détenir les prestataires de soins canadiens à la frontière, ou même pour entreprendre des démarches judiciaires contre des professionnel·les de la santé d’ici.
Tout cela aurait pu limiter la possibilité des citoyen·nes américain·es d’obtenir des soins au Canada, notamment pour contourner les interdictions imposées aux États-Unis concernant les soins d’affirmation de genre.
On ignore si les États-Unis mènent actuellement des enquêtes sur des médecins canadien·nes. HHS a fait la sourde oreille face à nos questions à ce sujet. Une demande d’accès à l’information a été déposée auprès de HHS pour tenter d’y voir plus clair.
Les soins d’affirmations de genre offerts aux mineur·es sont légaux et disponibles au Canada et les États-Unis n’ont « aucun pouvoir législatif » au Canada, souligne Florence Ashley, juriste et bioéthicienne.
Le site Web du gouvernement du Canada indique que les chirurgies génitales ne sont jamais offertes aux personnes de moins de 18 ans, en adéquation avec les standards de soins de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH).
Sur le site Web de GrS Montréal, une clinique offrant des chirurgies d’affirmation de genre, il est indiqué que l’âge minimum pour la mastectomie (masculinisation du torse) est de seize ans, toujours en conformité avec les standards de la WPATH.
Chez les enfants, les soins médicaux d’affirmation de genre se limitent typiquement aux bloqueurs de puberté et aux hormones.
Souveraineté canadienne défiée ?
Celeste Trianon, militante pour les droits trans, fait valoir que la version initiale du formulaire constituait une violation de la souveraineté internationalement reconnue du Canada. « Je crois que c’est la première fois que les États-Unis enfreignent la souveraineté des médecins canadien·nes, en tout cas par l’entremise d’un formulaire de lanceur d’alerte », dit-elle.
« HHS essaie d’utiliser son influence dans le but d’attaquer les prestataires de soins, pas seulement aux États-Unis, mais aussi ici au Canada. Ce n’est pas seulement absurde : c’est une menace dissimulée envers les personnes trans au Canada, incluant les personnes qui ont fui les États-Unis à cause des politiques anti-trans de Trump, et nous sommes les prochain·es », s’indigne Celeste Trianon.
« Si c’était n’importe quel autre groupe visé, on serait présentement en moment de scandale national. Mais vu que les personnes trans, dont les jeunes trans, sont vues comme jetables, notre société décide d’ignorer le tout. Quand est-ce qu’on va agir ? Se lever pour défendre les droits des personnes trans, c’est défendre nos valeurs canadiennes. »
Celeste Trianon fait remarquer que les attaques contre les droits trans aux États-Unis ne s’arrêtent pas aux enfants, et qu’« attaquer les soins trans des enfants, ça peut aussi engendrer des dommages collatéraux dans l’accès des adultes ».
« HHS essaie d’utiliser son influence dans le but d’attaquer les prestataires de soins, pas seulement aux États-Unis, mais aussi ici au Canada. »
Celeste Trianon
En réponse à nos questions, le ministère de la Santé du Québec affirme que « les actions du gouvernement des États-Unis en matière de soins d’affirmation de genre aux enfants n’influencent pas la ligne directrice que s’est donnée le Québec pour ces soins ». Québec a aussi souligné qu’aucune chirurgie génitale n’a été offerte à une personne mineure, malgré la mise en place d’un comité d’exception.
Un porte-parole des Forces armées canadiennes a affirmé de manière préliminaire, lors d’une conversation téléphonique le 17 avril, que « cette manœuvre ne fait pas de sens et [que] les États-Unis n’ont pas de pouvoir législatif ici. Ce que les autres pays font et disent ne nous influence pas », a-t-il ajouté.
« Fournir à tous les membres de l’équipe de la Défense un milieu de travail sain, respectueux et inclusif, exempt de harcèlement, de discrimination et de préjugés, est une priorité pour notre institution. La diversité des points de vue et des expériences vécues contribue à notre succès en tant qu’organisation », ont poursuivi les Forces par courriel, le 24 avril.
Un porte-parole de Santé Canada nous a dit que le gouvernement canadien examinait la situation plus en détail suite à notre demande médiatique.
Attaques anti-trans aux États-Unis
La mise en place du formulaire de HHS fait suite au décret (archivé ici) de l’administration Trump intitulé « Protecting Children from Chemical and Surgical Mutilation » daté du 28 janvier 2025, visant à mettre fin à l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les enfants, un point focal de sa deuxième campagne présidentielle. Ce décret est actuellement bloqué dans certains États.
La plupart des associations médicales majeures aux États-Unis, comme l’American Medical Association, l’American Academy of Pediatrics et l’American Psychological Association, sont en faveur de l’accès à ces soins pour les mineurs et s’opposent à leur restriction, a rapporté NBC News.
Un exode d’états-unien·nes trans et non-binaires vers le Canada commence à prendre forme depuis l’investiture du président Trump, certain·es allant parfois même jusqu’à demander l’asile, selon Newsweek et le Globe And Mail.
La clinique McLean, à Mississauga, en Ontario, offre de faciliter des mastectomies par-delà la frontière pour les citoyen·nes américain·es. Dans un article de blogue publié le 14 avril 2025, la clinique écrit : « Il y a une tendance naissante qui montre que plusieurs Américain·es traversent la frontière pour se faire opérer au Canada. La vérité est qu’il ne s’agit plus d’une nouvelle surprenante. Année après année, le gouvernement des États-Unis révèle qu’un nombre croissant de ses citoyen·nes voyagent hors du pays pour des traitements médicaux, incluant les procédures de réassignation de genre. »
La clinique McLean n’a pas souhaité commenter.
La récente manœuvre anti-trans outrepassant la frontière canado-américaine évoque le contexte des interdictions sur l’avortement entre les États américains, alors que des personnes cherchant à recevoir une procédure d’interruption de grossesse doivent parfois voyager vers des États où elle est restée légale. Certains États voudraient aller jusqu’à rendre illégal l’acte de voyager entre les États pour un avortement, selon The Conversation et The Atlantic, qui décrivent respectivement cette situation comme un « champ de mines » et un « champ de bataille » législatif.
En ce sens, les États-Unis pourraient vouloir criminaliser le fait pour des mineurs d’accéder à des soins d’affirmation de genre par-delà la frontière canadienne.
L’administration Trump serait également en train de mettre de la pression sur le Royaume-Uni pour mettre fin à certaines lois protégeant les personnes LGBTQ+, soutenant qu’elles limiteraient la liberté d’expression, en échange d’un accord commercial, a rapporté The Advocate. Le Canada pourrait ainsi faire face à des moyens de pression semblables, étant aussi en guerre tarifaire avec Washington, bien que le premier ministre Mark Carney se soit prononcé en faveur des droits trans.
Correction : Le formulaire de lanceur d’alerte a bien été mis en ligne le 14 avril, et non le 15 avril. (05-05-2025)
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