Édition du 16 avril 2024

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Négociation dans les secteurs public et parapublic : Gagner du temps et silence de l'opposition

À quand une véritable politisation de ces négociations ? À quand la fin de l’inéquitable pour les salariéEs syndiquéEs de ces secteurs ?

Les négociations dans les secteurs public et parapublic commencent à traîner en longueur. À la fin de l’hiver dernier et au début du printemps 2020, nous étions au commencement de cette pandémie du COVID-19. La population du Québec était invitée à se mettre sur « pause » pour une période de « deux semaines » (dixit François Legault).

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À cette époque, le premier ministre Legault (PM), exhortait ses partenaires syndicaux à conclure rapidement, avant la fin du mois de mars, les conventions collectives dans les secteurs public et parapublic. Six mois plus tard, au moment où s’annonce et où s’amorce la reprise automnale de l’activité politique parlementaire à Québec, ces négociations n’ont toujours pas été conclues et pire, elles ne figurent même pas sur la liste des priorités du gouvernement. À quand une véritable politisation de ces négociations ? À quand la fin de l’inéquitable pour les salariéEs syndiquéEs ?

La négociation

Replongeons-nous il y a un an, soit en septembre 2019, les coffres de l’État québécois (où ce qui existe de ce pouvoir politique de deuxième ordre dans l’État fédéral canadien) débordaient d’un surplus budgétaire pharaonique, un surplus de plusieurs milliards de dollars. Toujours à cette époque, quand même pas trop lointaine, les organisations syndicales n’avaient pas encore fait connaître leurs demandes d’augmentation salariale. Le 13 septembre 2019, le PM, en véritable rabat-joie, annonçait que les « syndicats » des secteurs public et parapublic ne devaient pas s’attendre à des hausses salariales supérieures à l’inflation.

https://www.pressegauche.org/Les-negociations-dans-les-secteurs-public-et-parapublic-au-Quebec-la-ronde-de

En septembre 2019, le gouvernement Legault avait déjà arrêté son cadre financier pour les négociations 2019-2020 dans les secteurs public et parapublic. Les arbitrages à trancher à ce sujet au Conseil du trésor avaient été effectués. L’État-patron connaissait ses objectifs stratégiques à atteindre, le tout disons-le sans réelle possibilité de révision significative à la hausse, à moins d’une solide opposition de la part des salariéEs syndiquéEs et de certains députéEs (devinez de quelle formation politique ?). Opposition également des médias d’information et de l’opinion publique. Pour ce qui en était du calendrier de négociation du gouvernement, il semblait arrêté (la fin de la négociation semblait prévue au plus tard en juin 2020).

Décembre 2019, le président du Conseil du trésor, monsieur Christian Dubé, publicise les offres du gouvernement du Québec à ses salariéEs syndiquéEs. Il leur propose, elles et eux qui sont sous-rémunéréEs, un contrat de travail d’une durée de 5 ans accompagné d’une offre de la rémunération, au total, de 7%. Cette augmentation salariale est inférieure à l’inflation anticipée par le ministre des Finances, monsieur Girard, dans son budget de 2020-2021. Quoi qu’il en soit, la présente négociation devait être celle qui allait permettre à certainEs enseignantEs de voir leur rémunération bonifiée (abolition des premiers échelons pour les nouvelles et les nouveaux qui entraient dans la profession et création d’une nouvelle catégorie de « professeurEs titulaires » mieux rémunérée). Elle devait aussi permettre aux préposéEs aux bénéficiaires d’obtenir une valorisation de leur travail.

https://www.pressegauche.org/La-negociation-des-rapports-collectifs-de-travail-dans-les-secteurs-public-et

https://www.pressegauche.org/Etude-comparative-annuelle-sur-la-remuneration-de-l-Institut-de-la-statistique

En deux jours, du 10 au 12 mars 2020 plus précisément, COVID-19 oblige, la situation s’est littéralement renversée. La négociation, qui devait être terminée à la fin du printemps 2020, n’a pas été conclue dans les délais initialement prévus. Nous sommes maintenant en septembre 2020 et il n’y a toujours pas d’entente de convenue entre les parties. De plus, fait inusité, depuis décembre 2019, le gouvernement a révisé un aspect majeur de son offre initiale. Il propose maintenant un contrat de travail d’une durée de 3 ans (plutôt que de 5 ans). Ce contrat s’accompagne d’une augmentation de 5% (et non de 7%). Fait important à souligner, au cours des derniers mois, il y a eu la conclusion d’une entente d’une convention collective à la SEPAQ (qui sera échue en 2024 et qui respecte les paramètres salariaux gouvernementaux). De plus, la FTQ (en juillet 2020) et la CSN (en septembre 2020) ont présenté au gouvernement une contre-proposition de règlement.

Mais voilà, la négociation avance à pas de tortue. Qui la fait traîner en longueur ? Selon nous, le gouvernement lui-même. Pourquoi ? Voici nos hypothèses à ce sujet.

Hypothèses sur la lenteur du processus de négociation en cours

La solution que le gouvernement du Québec envisage pour les préposéEs aux bénéficiaires (PAB) ne suscite pas l’adhésion des négociatrices et des négociateurs de la FTQ et de la CSN. De plus, la proposition gouvernementale ne semble pas répondre à ses obligations en matière de Loi sur l’équité salariale. Ajoutons que les organisations syndicales concernées ne veulent rien entendre d’une augmentation qui serait comblée par un ajout salarial sous la forme de « primes ». Tout comme d’ailleurs, il n’est pas question d’augmenter uniquement la rémunération des PAB dans les CHSLD. Le gouvernement a devant lui plusieurs problèmes à résoudre avant d’en arriver à une entente avec les syndicats du secteur de la santé. Sans parler des problèmes qu’il rencontre au sujet des primes, pour certaines catégories de salariéEs, qui arrivent à échéance le 30 septembre 2020. Ces primes, seront-elles reconduites ou non ? Le gouvernement veut les abolir. Les organisations syndicales s’objectent et s’opposent à cette volonté gouvernementale qui représente pour cetainEs de ses membres (des ouvriers spécialisés) une perte salariale substantielle.

La présente crise économique, qui accompagne la crise sociosanitaire, se répercute sur les finances publiques. Le surplus a fondu et c’est un déficit important qui s’accumule, jour après jour, dans le trésor public. Devant ce nouvel état de fait, de nouvelles questions surgissent : l’offre monétaire gouvernementale (5% pour 3 ans, plus certains montants forfaitaires), tiendra-t-elle jusqu’à la fin du processus de négociation ? Quand la nouvelle convention collective viendra-t-elle à échéance ? Le 30 mars 2023 ou plus tard ? À ce moment-ci, les négociatrices et les négociateurs du gouvernement et des organisations syndicales, souhaitent-elles et souhaitent-ils vraiment reprendre l’exercice de la négociation d’une nouvelle convention collective à compter de l’automne 2022 ?

Quoi qu’il en soit, les négociations dans les secteurs public et parapublic ne semblent pas vraiment intéresser, hormis les ministres concernés et impliqués par celles-ci, les membres de la classe politique qui se font réellement discrets sur le sujet. Elles et ils ont décidé, face à cet enjeu, de s’autoéclipser. Elles et ils se réfugient dans un mutisme irresponsable. Facile, dans ces circonstances, de comprendre pourquoi le premier ministre caracole au sommet dans les sondages depuis le début de la pandémie. Il est le seul à performer sur la scène politique. Or, la scène politique est une scène assez particulière. C’est le lieu par excellence où la population, en partie comme en totalité, exprime, en règle générale, ses insatisfactions. Il n’y a personne pour l’heure, dans les formations politiques de l’opposition à Québec, qui critique le gouvernement Legault. Personne, parmi les députéEs, pour défendre les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Personne autrement dit pour indiquer la voie de l’alternative aux politiques restrictives du gouvernement Legault face à ses salariéEs syndiquéEs. À Québec, aujourd’hui, nous retrouvons des politiciennes et des politiciens qui semblent bornéEs par l’horizon limité et restrictif de l’alternance gouvernementale. Un horizon qui, selon nous, ne répond pas aux exigences d’une véritable alternative aux politiques néolibérales du gouvernement Legault.

Pour une politisation de ces négociations

La négociation dans les secteurs public et parapublic va devenir politique dès que les députéEs des partis politiques de l’opposition vont commencer à traiter cet enjeu sur une base politique. Mais pour ce, il va falloir que des députéEs prennent position en regard des revendications mises de l’avant par les syndiquéEs. Il va falloir également que ces députéEs se prononcent et appuient les moyens d’action qui sont ou seront déployés par les syndiquéEs. Ce ne sera qu’à ce moment que les médias vont se faire le relais de syndiquéEs en mouvement. Ajoutons aussi qu’à partir de l’instant où les organisations syndicales vont acheter de la publicité dans les médias, elles auront peut-être droit à une plus grande couverture médiatique.

Conclusion

La présente ronde de négociation s’est amorcée sous des augures largement favorables aux syndiquéEs et à leurs organisations. Plus nous avançons dans le temps, plus s’érode cet avantage. Il nous semble que la nouvelle situation financière créée par la crise économique qui accompagne la COVID-19 vient conforter la position du gouvernement. Il se peut que d’ici la conclusion de la présente ronde, d’autres éléments nouveaux apparaissent dans la proposition gouvernementale. Ce serait d’une tristesse incommensurable que les salariéEs syndiquéEs n’obtiennent pas ce qui leur est réellement dû pour leur contribution au bien-être de la population du Québec. N’est-il pas juste de dire que dans une société capitaliste, le travail, ça se paie ? Est-il nécessaire de rappeler à combien s’est élevée l’augmentation salariale dans les secteurs public et parapublic en 2019 ? Réponse : à un famélique 0% d’augmentation. Combien de fois les salariéEs syndiquéEs de ces secteurs ont-elles et ont-ils reçu une augmentation nulle depuis qu’il y a des négociations dans ces deux secteurs essentiels à la société ? Réponse : à cinq reprises (1983, 2004, 2005, 2015 et 2019). Il serait intéressant que les organisations syndicales nous présentent le tableau des augmentations salariales paramétriques dans les secteurs public et parapublic depuis la fin du régime de Maurice Duplessis, ainsi que le taux annuel d’inflation depuis la fin des années cinquante. Il nous sera possible, sur la base de ces données chiffrées, de mieux mesurer combien de fois les salariéEs syndiquéEs de ces secteurs ont obtenu des gains salariaux égaux ou supérieurs à l’inflation.

En terminant, mentionnons que le cadre monétaire du gouvernement, depuis les années quatre-vingt-dix, n’a pas été réellement fissuré ou pulvérisé par les syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Dans les faits, il n’est pas arrivé souvent que les organisations syndicales aient été en mesure de « défoncer » (pour reprendre leur vocabulaire) la politique salariale du gouvernement. C’est ce qui explique pourquoi les salariéEs qui oeuvrent dans l’administration publique, la santé et l’éducation, qui sont autour de 75% des femmes, se font dire autour du 30 novembre de chaque année, par l’Institut de la statistique du Québec, qu’elles et qu’ils accusent un retard salarial non négligeable avec les autres salariéEs québécois et les autres syndiquéEs.

Se pose donc une incontournable interrogation adressée aux députéEs de l’opposition et à celles et ceux qui fabriquent l’opinion publique : À quand la fin du silence complice par les membres de la classe politique sur cette situation indécente et inéquitable ?

À suivre…

Yvan Perrier

13 septembre 2020

11h40

yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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