Édition du 16 avril 2024

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Économie

Que sait-on de la crise qui vient ?

Depuis quelques mois, les pronostics alarmistes se multiplient : Christine Lagarde [1]énonce les « raisons d’être inquiets sur le front économique », et Jacques Attali [2] annonce que « le monde s’approche d’une grande catastrophe économique ».

En effet, la croissance mondiale ralentit, principalement dans les pays émergents hormis l’Inde. Ce phénomène s’autoalimente avec la baisse du prix des matières premières et se transmet aux pays avancés. Le commerce international ralentit lui aussi, au même rythme que le PIB mondial, comme si la mondialisation productive avait atteint un plafond. La zone euro enregistre une très timide et inégale reprise. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni tirent leur épingle du jeu, mais la croissance tend à ralentir dans un cas et apparaît artificielle dans l’autre.

Du côté de la « sphère financière », les politiques monétaires accommodantes ne réussissent pas à mordre sur l’activité réelle et nourrissent l’inquiétude et des sur-réactions fébriles des marchés financiers qui ont déjà conduit à des crises de paiement dans les pays émergents dont ils se retirent brutalement. Bref, « l’incertitude et des forces complexes pèsent sur la croissance mondiale », pour reprendre la formule du FMI dans ses dernières perspectives [3].

De ce panorama, on peut tirer trois caractéristiques essentielles de la conjoncture :

 l’économie mondiale est détraquée ;
 les « séquelles de la crise financière mondiale » (dixit Christine Lagarde) sont toujours présentes, sous forme d’endettement de niveaux élevés d’endettement ;
 la stagnation séculaire menace : c’est la « nouvelle médiocrité », toujours selon Lagarde.

La gestion de la crise, dont nous ne sommes pas vraiment sortis, est menée selon deux principes essentiels : ne pas solder les comptes (les « séquelles ») et reconstituer le modèle néo-libéral d’avant-crise, en cherchant à en contrôler les effets les plus délétères. Il s’agit en pratique de garantir les droits de tirage acquis par le « 1 % » et la liberté d’action des banques et des multinationales.

Mais il n’est pas possible de revenir au modèle d’avant-crise. Le trait le plus important et le plus lourd de conséquences est sans doute l’incapacité de reconstituer la « Chinamérique », autrement dit l’axe qui structurait l’économie mondiale avant la crise. La Chine est entrée dans une phase de transition, certes heurtée et difficile, vers un modèle de croissance centré sur la demande intérieure. Et les Etats-Unis ont pu réduire leur déficit commercial, en partie grâce à leurs nouvelles sources d’énergie. Cette rétraction, avec ses effets collatéraux sur les pays émergents et l’Europe, déséquilibre toute l’économie mondiale.

Une chose est sure à l’issue de ce (trop) rapide tour d’horizon : la « Grande récession » a ouvert une période de « régulation chaotique » à l’échelle mondiale. Une nouvelle crise semble aujourd’hui à peu près inévitable et il est difficile de discerner où se trouvera le point de rupture (bourse, banque, changes ?) mais cet épisode sera en tout cas le marqueur de profondes contradictions structurelles.


[1Christine Lagarde, « Gérer la transition vers une économie mondiale plus saine », 30 septembre 2015.

[2Jacques Attali, « La crise, Acte 2 », 17 août 2015.

[3 FMI, Uncertainty, Complex Forces Weigh on Global Growth, World Economic Outlook, October 6, 2015.

Michel Husson

Économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic. Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ État social", La Découverte.

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