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DÉCOLONISER : Arguments pour un renouveau indépendantiste

Le blogueur solidaire | mercredi 2 août 2017

NB : Le texte qui suit constitue une tentative de résumé de l’argumentation qui sera développée en détail dans l’essai sur lequel je travaille depuis quelques mois. J’espère qu’il sera publié cet automne. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus. Le titre du billet serait celui du livre, jusqu’à ce que je trouve quelque chose de mieux...

Dans le mouvement indépendantiste québécois des années 1960 et 1970, le thème de la décolonisation était omniprésent. Ce qui s’explique par le contexte des mouvements de décolonisation du Tiers-Monde. Les indépendantistes s’identifiaient alors aux luttes menées du Viet Nam à Cuba en passant par l’Algérie. C’était aussi l’époque de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains et du American Indian Movement (AIM) : des luttes anticoloniales de l’intérieur tout près de chez nous. Dans ce climat de mobilisation et de remise en question des structures de pouvoir, le Québec vivait des transformations profondes qui s’exprimaient – outre dans le mouvement indépendantiste – dans un syndicalisme combatif, des luttes étudiantes incessantes et un mouvement féministe revendicateur. Pour plusieurs, c’était l’époque du slogan « indépendance et socialisme ».

Puis, la domination du Parti québécois sur le mouvement indépendantiste a conduit progressivement à l’abandon de la perspective anticoloniale jugée trop radicale, susceptible de faire peur à certains segments de la population (en particulier le patronat) et aux puissances étrangères dont on espérait obtenir l’appui ou la neutralité (États-Unis, France). En même temps, le mouvement de décolonisation faisait graduellement place à un néocolonialisme, moins violent mais tout aussi efficace. Les mobilisations intenses des années 1960 et 1970 n’ayant pas abouti à des victoires décisives, les forces sociales conservatrices ont repris l’offensive et imposé le néolibéralisme et la mondialisation.

En se ralliant à l’ordre politique et économique mondial, au sein duquel il ne cherchait plus qu’à obtenir une meilleure place pour le Québec, le mouvement souverainiste a perdu ses arguments les plus forts, autant historiques que démocratiques, ainsi qu’une bonne partie de sa capacité de mobilisation populaire et de rassemblement. Il n’en restait plus que l’ambition des élites provinciales (Québec inc., la haute fonction publique, les leaders politiques) à obtenir plus de pouvoirs pour appliquer le même programme néolibéral que le gouvernement du Canada… en français !

Ce vide a éventuellement été comblé par le virage dit identitaire opéré par le PQ sous le leadership de Pauline Marois à la suite de sa troisième place aux élections de 2007. Le retour au nationalisme ethnique, en continuité avec les courants politiques conservateurs dans l’histoire du Québec, s’est combiné avec l’imitation de la laïcité conservatrice développée par les élites politiques françaises pour donner la Charte des valeurs. Au nom de la laïcité, un principe politique développé pour assurer l’égalité de toutes et tous indépendamment des croyances, on a mis de l’avant des mesures discriminatoires ciblant des minorités et nourri tous les pires préjugés. Cette stratégie identitaire n’a conduit qu’à la division et à la démobilisation, en plus de discréditer le mouvement.

Aux racines du colonialisme

Le colonialisme est un produit de l’impérialisme, c’est-à-dire la compétition entre les États dans un monde à la fois unifié et divisé par le capitalisme. Ces deux aspects de l’organisation du monde à notre époque sont également inséparables du militarisme qui n’est au fond qu’une forme extrême de compétition. Une idéologie est toujours nécessaire pour justifier les ambitions impérialistes, les crimes de guerre et les politiques coloniales. Durant la Guerre froide, le communisme et l’anticommunisme ont occupé le devant de la scène. Depuis, on est revenu aux vieilles méthodes datant des débuts du colonialisme avec une recrudescence du racisme sous différentes formes. Celui-ci n’a rien à voir avec « les races » qui sont des constructions de l’esprit. Il peut très bien opérer sur la base de différences culturelles, notamment religieuses, et diviser des personnes en apparence fort semblables.

Le néocolonialisme est un ensemble de politiques permettant d’arriver aux mêmes objectifs que le colonialisme des siècles précédents mais en faisant l’économie d’occupations militaires hasardeuses ou d’une administration étrangère directe des territoires dominés. On se contentera d’utiliser une situation de dépendance économique pour intimider et corrompre. Résister à ce type de domination demande non seulement l’indépendance politique formelle, mais une capacité à résister aux pressions par des politiques économiques audacieuses, la mobilisation populaire et la solidarité internationale. Le cas de la Grèce, mise en tutelle par les institutions européenne qu’elle avait contribué à fonder, illustre avec force les défis d’une véritable indépendance dans un monde dominé par les marchés financiers et les grandes puissances.

Une bonne partie de l’opinion publique occidentale tombe dans le piège de l’islamophobie et attribue à la religion musulmane en général la responsabilité pour le développement récent de courants politiques ultra-conservateurs s’en réclamant. Cette interprétation idéaliste et mécaniste du fondamentalisme religieux (les mauvaises actions viennent directement des mauvaises idées) doit être critiquée à partir d’une approche historique et matérialiste (les mauvaises idées servent des intérêts et sont construites par des forces sociales).

Les phénomènes de la montée du fondamentalisme religieux et des idéologies autoritaires est loin d’être exclusif au monde musulman et affecte presque toutes les sociétés. Il s’agit de réponses réactionnaires à la crise de légitimité du capitalisme mondialisé dont les conséquences désastreuses (dérèglement climatique, guerres, famines, épidémies) sont de plus en plus évidentes. Plutôt que de remettre en question les intérêts économiques et les rapports de pouvoir en cause, les idéologies réactionnaires rejettent la faute sur des minorités (xénophobie) ou sur la décadence morale de la majorité (conservatisme). Dans le paysage idéologique et politique actuel, l’islamophobie joue un rôle clé pour justifier les politiques colonialistes et répressives, les crimes de guerre et les actes ou discours xénophobes. Il s’agit de la forme la plus sournoise du chauvinisme blanc, d’une idéologie aux racines séculaires en même temps que branchée sur l’actualité.

Une lutte pour ici et maintenant

Notre époque est également marquée par un retour de la pensée anticoloniale, sous de nouvelles formes. Le néocolonialisme et la mondialisation ont généré de nouvelles résistances, remarquables à partir du tournant du siècle, dont le mouvement altermondialiste et des révolutions démocratiques (Venezuela, Bolivie, Tunisie…). L’offensive impérialiste et colonialiste qui se cache derrière la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme » provoque aussi des résistances dont certaines prennent des formes rétrogrades et brutales (Al Qaeda, Daesh). Tandis que d’autres sont inspirantes et transforment le paysage politique par des mobilisation massives (mouvement contre la guerre en Irak).

En Amérique du Nord, la persistance du racisme institutionnalisé malgré l’obtention d’une égalité formelle des droits, en plus des politiques cruelles envers les migrants, ont été aussi l’occasion de développer de nouvelles formes de luttes (grèves des sans papiers, Black Lives Matter…). Du côté des peuples autochtones, la résistance séculaire aux politiques d’assimilation (et parfois d’extermination) et les luttes contre les projets économiques touristiques ou extractivistes (Standing Rock, Sun Peaks) et pour la justice élémentaire (pensionnats, femmes tuées et disparues…) ont fait ressortir la persistance de la domination coloniale malgré le discours officiel affirmant l’égalité et prônant la réconciliation.

Le Canada, passé depuis longtemps de succursale de l’empire britannique à puissance impérialiste secondaire mais autonome, le néocolonialisme constitue un des fondements du régime économique et politique. Donnons comme exemples la procrastination infinie dans les négociations avec les peuples Autochtones, la complicité avec les industries extractivistes ici comme à l’étranger et le rejet catégorique de toute réouverture du débat constitutionnel sur la base des demandes du Québec. L’unité des mouvements progressiste et des luttes sociales dans l’État canadien ne peut se réaliser que contre les fondements de cet État colonial, et non dans un effort futile pour le réformer.

Pour un mouvement indépendantiste anticolonial

Au Québec, l’émergence d’une nouvelle force politique (Québec solidaire) participe de ces mouvements contemporains de résistance au colonialisme et à ses partenaires l’impérialisme, le militarisme et le racisme. La crise stratégique que vit le mouvement indépendantiste constitue une occasion de renouveler l’argumentaire et de relancer la mobilisation pour une décolonisation du Québec, en solidarité avec les luttes des Autochtones ainsi qu’avec la lutte des minorités racisées contre la discrimination et la montée de l’extrême-droite.

Il n’y aura pas d’avenir pour le mouvement indépendantiste québécois en dehors d’une lutte acharnée contre toutes les formes de colonialisme, pas seulement celui du Canada envers le Québec, mais aussi celui du Canada et du Québec envers les Premières nations, celui de la société blanche contre les populations racisées, celui des peuples du Sud contre les entreprises coloniales et néocoloniales basées au Québec et au Canada. Dans cette lutte, une démocratie participative et une laïcité égalitaire seront essentielles. C’est à cette grande alliance pour la décolonisation et une révolution démocratique que cet ouvrage nous invite.

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